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Ménès, Riolo et ces commentateurs de ballon rond qui défendent leur précarré
Le football est un monde à part, qui a ses propres règles. Quelques journalistes médiatiques sont devenus si aveugles au milieu, qu'ils ne s'offusquent même plus de pratiques illégales comme un « banal » fichage ethnique.
Le football est un monde à part. Où les supporters sont susceptibles de tout nier, balayer, relativiser. D’insulter et de menacer : ce n’est pas rien l’amour du maillot.
On ne s’y fait pas, mais on s’y habitue.
Plus surprenant : quelques commentateurs sportifs, souvent les plus médiatiques, surfent sur cette colère et la légitiment.
On n’est pourtant pas entrain de s’écharper sur les bienfaits du 4-4-2. On parle, trois fois rien, du fichage ethnique d’enfants de 12 ou 13 ans, et de leur non-recrutement en raison de leur couleur de peau. Même le PSG a reconnu que le procédé était choquant, illégal.
Cela n’empêche pas un Pierre Ménès, ancien journaliste à l’Equipe, d’écrire dans Cnews : « Qu’il y ait eu une appellation sur une fiche issue du domaine privée, mais de là à en faire tout un pataquès. Mais à qui profitent le crime et cet acharnement ? Pourquoi s’attaque-t-on au PSG ? Parce que cela fait vendre.»
Il affirme aussi sur Canal + que ce type de système existe partout. Pourquoi ne pas l’avoir écrit avant ? Pourquoi ne pas en dire plus à présent ? « Parce que c’est le monde du football. Et que je ne dis pas tout ce que je sais. Je n’ai pas toujours envie de foutre la merde.»
C’est très spécial les liens qui unissent certains commentateurs sportifs à leurs sources, à leur milieu.
En quelques clics, on découvre ainsi que Pierre Ménès a récemment écrit dans le magazine du PSG. Bénévolement, précise-t-il. Mais l’argent n’est pas tout. Il y a d'autres façons de se rendre prisonnier de son milieu.
A un twittos qui s’étonnait poliment de ce mélange des genres, Ménès, qui aime donner des leçons de journalisme, a répondu : « Je ne suis pas journaliste non plus je fais ce que je veux avec qui je veux et je t’emmerde.».
C’est bien noté, mais transposons. Imagine-t-on un chroniqueur politique discourir la semaine dans les grands medias, et écrire le week-end pour le journal du Parti socialiste ? Ce n’est plus un ménage : c’est un conflit d’intérêts. A l’évidence, le club s’attire la sympathie d’un homme dont l’opinion compte. Il en attend un renvoi d’ascenseur, si ce n’est tous les week-end, au moins sur les dossiers les plus chauds, quand la direction joue sa tête.
Dans les Football Leaks, Pierre Ménès apparaît d'ailleurs dans un fichier Excel du club comme un « influenceur ». A ce titre, le club prévoit de lui envoyer un maillot, affiche son ambition de nouer « une relation plus forte » avec ce chroniqueur du Canal Football Club, planifie dans son plan de communication intitulé « une passion intacte » d’utiliser au mieux la relation Pierre Ménès/Thiago Motta (le joueur du PSG lui avait rendu visite à l’hôpital).
Pierre Ménès relativise, il assure qu'il n'y peut rien s'il est suivi par 2,5 millions de followers sur Twitter. Il assure que son maillot, c’est en fait lors d'une opération Nike qu'il l'a reçu, et que s’il profite occasionnellement des deux places offertes que lui offre le club dans la corbeille (la tribune des VIP du Parc des princes), c’est parce qu’il ne peut pas aller ailleurs dans le stade (vu sa notoriété et ce qu’elle génère).
Pour décrire nos enquêtes, Pierre Ménès et ses acolytes n’ont qu’un mot à la bouche : l’« acharnement », dont Mediapart ferait preuve contre le PSG. Il n’ont visiblement pas lu nos articles sur Monaco, Manchester City, le Bayern Munich, la Juve, Barcelone. Tout ce qu’on a déjà écrit sur Ronaldo, Messi, Pogba…
Sans compter que ce serait compliqué si, à chaque fois qu’on dispose d’informations sur une entreprise, on nous rétorquait : « Pourquoi vous écrivez des articles sur Gucci et pas sur LVMH, Chanel, L’Oréal ? Vous vous acharnez.» S'il fallait s’autocensurer en attendant d’avoir des informations sur l’ensemble des clubs de Ligue 1…
L’hypocrisie est totale. A un twittos qui lui fait remarquer que le nom du Racing club de Lens figure aussi dans l’article, il répond : « À cause de Mamadov (NDLR : ancien président azéri du RC Lens). Dès qu’il y a un étranger quoi. » C’est bien connu : Mediapart est xénophobe. Ses enquêtes visent les étrangers.
A un autre twittos qui lui reproche de trop parler du PSG dans ses émissions, il répondra le lendemain : « Que ça plaise ou non le PSG est le club phare en France et il gagne tous ces matchs. Donc on en parle ». Que Mediapart s’intéresse à « un club phare », c’est en revanche suspect.
Daniel Riolo ( de RMC), qui évoque une « tartufferie monumentale » à propos de notre traitement journalistique du recrutement ethnique du PSG, estime lui aussi que cela se pratique partout ailleurs.
En 2011, quand nous avions sorti l’affaire des quotas, on nous avait rétorqué que nous montions en épingle un simple projet, une discussion de travail, qu’il était impossible qu’un tel projet de blanchir les équipes soit mis en œuvre.
Sept ans plus tard, ce n’est toujours pas bien grave, mais au motif, cette fois, que tous les clubs le font. Quel succès. Qui aurait pu imaginer, en 2011, après les excuses publiques de Laurent Blanc, que cela donnerait envie à toute la Ligue 1 de se mettre instantanément aux quotas ?
Pierre Ménès le dit sans ambages : « Le problème est que ces enquêtes sont certainement faites par de très bons journalistes, mais qui ne connaissent rien au milieu du football professionnel.»
Nous sommes illégitimes. Quand on enquête sur l’évasion fiscale de Alain Ducasse, personne ne nous fait pourtant le reproche de ne pas être critique gastronomique. Quand on écrit sur la discrimination ethnique chez Airbus, on ne nous rétorque pas qu’on ne comprend rien au monde des transports aériens.
Mais le foot, voyez-vous, c’est spécifique. C’est un milieu qui a ses propres lois.
Un journaliste d’investigation prend des mois pour enquêter, ce flemmard, alors qu’eux mouillent leur chemise tous les week-end sous les spots des plateaux TV. Et il va jusqu’à s’offusquer que des éducateurs justifient leur recrutement ethnique par la peur du communautarisme : il ferait mieux de fréquenter les terrains.
Et comment pourrait-il savoir, lui qui ne traine pas aux bords des pelouses, que les noirs sont bien « grands, puissants, costauds » comme l’expliquait Laurent Blanc en 2011 ? Parce qu’il a vu jouer Ngolo Kanté (1,68m) lors de la coupe du monde, il en tire de grandes conclusions et croit savoir que la couleur de peau ne fait pas nécessairement le physique, la vitesse, la puissance.
Le journaliste d’investigation ne veut pas comprendre qu’il faut de tout sur un terrain, et donc qu’il faut aussi recruter des joueurs avec une certaine intelligence de jeu. Des blancs. Des « Français » quoi, comme on dit dans les fiches du PSG.
Parce qu’il ne passe pas sa vie en salle de presse à Clairefontaine, ce journaliste s’imagine que la binationalité est un problème mineur, que ce n’est pas si dramatique si quelques joueurs choisissent un jour de jouer pour une autre équipe nationale. Est-il aveugle pour comparer ce choix à celui que ferait le diplômé d’une grande école française, dont la scolarité aurait été financée par la France, et qui choisirait d’aller gagner sa vie à Londres ?
Dans l’affaire du PSG, le physique supposé des joueurs ou la problématique de la binationalité ne servent même plus de prétexte à la discrimination. Le PSG a le mérite de la clarté : « Il y a trop d’Africains et d’Antillais » dans les effectifs.
Alors ? Alors, ces quelques journalistes vedettes reprennent toute la communication du PSG. Ce processus de discrimination à échelle industrielle, ces milliers de fiches, ces témoignages unanimes des recruteurs : tout cela se serait fait dans le dos des dirigeants. Et les comptes-rendus de réunion que nous avons publiés ? Ils s’en fichent. « Attention au suicide de Westerloppe », gronde Pierre Ménès, alors que ce sont les journalistes-avocats du PSG qui parlent sans cesse de responsabilité individuelle dans cette affaire, quand nous publions tous les éléments démontrant la responsabilité du club.
Lorsqu'on débat avec eux sur les plateaux, on s'aperçoit vite certains ne se sont même pas donnés la peine de lire les articles. A quoi bon, leur opinion est déjà faite. Eux connaissent les hommes dont nous parlons. Ils savent qu’ils ne peuvent avoir cautionné tout cela, même si, il ne faut pas non plus exagérer, ce n’est pas si grave, une fois qu’on a remis les choses dans leur contexte.
Ces journalistes font partie de la grande famille du football. Ils peuvent faire semblant d’être franc, courageux, indépendants. Mais sur les sujets d’importance, on ne trahit pas sa famille.