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NEYMAR
LʼAN I DU ROI
Un an après un transfert qui avait bouleversé la Ligue 1, la star brésilienne rejoint ses équipiers en Chine pour relancer son aventure avec Paris. Elle avait commencé fort mais s'est moins bien poursuivie. Régis Dupont
Il ne s’agit pas de réveiller la bête. Neymar reste un immense joueur, les spectateurs de Ligue 1 se le verront sans doute rappeler bien avant la fin du mois d’août. En France, il n’y en a qu’un pour lui faire de l’ombre, après une Coupe du monde de très haut niveau, et il évolue sur l’autre aile de l’attaque du Paris-SG. Mais l’immense joueur (26 ans), qui va rejoindre aujourd'hui ou demain ses coéquipiers à Shenzhen, pour le Trophée des champions, est-il le très grand champion que les dirigeants de la capitale avaient présenté en grande pompe, le 4 août 2017 ? Retour sur une année qui a semé le doute.
Ce vendredi-là, Paris est une fête. Débarqué en fin de matinée de Barcelone, Neymar passe quelques examens complémentaires à la visite médicale dans une clinique de Neuilly-sur-Seine, puis il donne une première conférence de presse officielle avant d’être brièvement présenté à des milliers de fans venus tout spécialement au Parc des Princes. Il égrène les phrases que les supporters du PSG ont envie d’entendre : « Être la star numéro 1 ici, à Paris, n’est pas la chose qui a pesé dans mon choix. J’ai signé au PSG parce que je voulais vivre de nouvelles choses. Je suis venu chercher un nouveau défi. Mon cœur m’a dit que c’était le moment de signer ici […] J’avais envie de venir au PSG. Mon choix a été très difficile, j’ai énormément réfléchi, mais je suis très heureux de l’issue finale. » Un petit mot, un peu sec, pour les socios du FC Barcelone : « Nous ne sommes pas obligés de rester dans un club. Quand tu penses que c’est l’heure de partir, tu pars, c’est tout. »
Et un petit mensonge, parce que c’est l’heure des bons sentiments : « L’argent n’a jamais été une source de motivation. Je suis toujours mon cœur, indépendamment de l’argent. Et je regrette d’ailleurs qu’il y ait des gens qui pensent de cette façon. » Personne ne s’arrête vraiment sur l’information principale de ce passage d’une demi-heure dans l’auditorium du PSG : Neymar confirme qu’il n’a pas parlé avec l’entraîneur, Unai Emery, avant sa signature. Il ne fera connaissance avec le technicien que durant l’après-midi qui suit, au Camp des Loges. Un simple détail, à ce moment de l’histoire.
Une semaine plus tard, le Brésilien débute à Guingamp (3-0), où il est impliqué sur les trois buts du PSG (il marque le dernier), et s’impose d’entrée comme la nouvelle référence dans le jeu parisien en touchant 128 ballons, son deuxième meilleur total depuis son arrivée en Europe en 2013. Il en donne douze à Edinson Cavani. Le gage, pense-t-on alors, d’une belle entente technique entre les deux Sud-Américains. « Bon courage aux autres équipes », lâche Lucas Deaux, le milieu costarmoricain, victime d’un sombrero de la star. De fait, Neymar rallie très vite l’opinion à lui. Même quand il tente l’humour face aux micros : « Être le joueur le plus cher n’est pas un poids pour moi. Je fais toujours 69 kilos… »
Et dans ces colonnes, au lendemain de cette première, nous avons la faiblesse de croire que le plumage sera à la hauteur du ramage : « Le service après-vente est impeccable. Ce jeune homme n’est pas secret, il est bien élevé, il parle volontiers et il ne se prend pas pour un autre. »
Un mois et demi plus tard, le vernis craquelle déjà. Neymar a été rejoint au sein de l’effectif parisien par Kylian Mbappé pour 180 millions d’euros, mais ce n’est pas la possible rivalité avec l’ex-Monégasque qui inquiète. Au contraire. La complicité entre les deux attaquants, sur le terrain, devient vite évidente. Seulement, dès septembre, le grand public découvre une autre facette du Brésilien : il possède un ego à la hauteur de son statut.
Lors de la victoire face à Lyon (2-0), le 17 septembre, sa chamaillerie avec Edinson Cavani éclipse en partie le succès difficilement obtenu. À la 57e minute, sur l’injonction de Daniel Alves, l’attaquant est contraint de laisser Neymar tirer un coup franc (bloqué par Anthony Lopes). Vingt minutes plus tard, Kylian Mbappé obtient un penalty. Cette fois, Cavani refuse de céder au Brésilien et frappe : le gardien portugais s’interpose de nouveau. Au coup de sifflet final, l’Uruguayen file directement au vestiaire sans masquer sa frustration. Le « penaltygate » est déclenché, sur fond de questionnement à propos de l’autorité du coach. Contre Saint-Étienne (3-0, le 25 août), déjà, les deux joueurs se sont disputé un penalty. Cavani avait marqué et l’affaire n’était pas allée plus loin. Mais Unai Emery, l’entraîneur parisien, n’avait pas tranché. Ou alors pas assez en faveur du Brésilien. C’est ce qui ressort de ses explications alambiquées. « On en a parlé. On a besoin de travail en commun. Après, on va arranger ça entre nous, dit le technicien basque après PSG-OL. J e laisse les joueurs s’entendre sur le terrain pour savoir qui frappe. Mais si ce n’est pas le cas, je vais trancher et faire en sorte que les deux puissent tirer les penalties. » Au-delà du clash, ce qui saute aux yeux ce jour-là, sur le terrain, c’est la relation technique quasi inexistante entre Cavani et Neymar.
Deux semaines plus tard, et une semaine après le triste nul concédé sans lui à Montpellier, Neymar brille et inscrit le penalty obtenu contre Bordeaux (6-2). « Ils se sont arrangés avec le coach. S’il y en avait eu un deuxième, ça aurait été pour Edi », commente Thomas Meunier. La polémique est enterrée. Mais, en dépit de prestations régulièrement emballantes du Brésilien, le voile demeure.
Le 17 janvier, quand Neymar réussit un match exceptionnel contre Dijon (8-0), il ne s’est pas dissipé. Le numéro 10 parisien, auteur de quatre buts et deux passes décisives, est le huitième joueur à être crédité d’un 10 dans L’Équipe. Ce que sa note ne dit pas, c’est qu’il a été sifflé par une bonne partie des supporters parisiens. Encore pour une histoire de penalty. À la 83e minute, le PSG mène déjà 7-0 quand Cédric Yambéré fauche Edinson Cavani dans la surface. Le stade imagine que l’Uruguayen va le frapper et battre le record de buts inscrits sous le maillot du PSG, détenu par Zlatan Ibrahimovoc (156). Alors que des « Cavani, Cavani » descendent des tribunes, Neymar s’avance et s’offre un quadruplé. « Quand tu mets quatre buts, que tu mets deux passes décisives, et tout ce que tu apportes pour l’équipe, te faire siffler juste pour un penalty, je trouve ça un peu ingrat de la part des supporters, défend Thomas Meunier. C’est vrai que cela aurait été un beau geste de Neymar, maintenant c’est lui qui était cité pour le tirer. Il a fait ce qu’il devait faire, en réalité. »
Légitimiste quand ça l’arrange, l’ancien Barcelonais ? Pas assez chevaleresque en tout cas aux yeux des fans parisiens, qui l’attendent quand ça comptera vraiment, c’est-à-dire en huitièmes de finale de Ligue des champions contre le Real Madrid.
Le grand rendez-vous dans la capitale espagnole (3-1 pour le Real) est une terrible désillusion pour le PSG et pour Neymar. Pour le PSG, parce qu’il a dominé l’essentiel de la rencontre, mais s’est écroulé dans les dix dernières minutes. Pour Neymar, parce qu’il n’a rien accompli de notable un soir où Cristiano Ronaldo, sans réussir grand-chose dans le jeu, a inscrit un doublé qui l’envoie à des hauteurs statistiques improbables (101e but en C 1 sous le maillot madrilène). Il reste le retour ? Même pas : à la 77e minute d’un Classique déjà plié contre l’OM (3-0), Neymar, à la lutte avec Bouna Sarr, s’écroule. Nous sommes le 25 février, personne ne veut encore croire qu’on ne reverra plus de la saison le Brésilien sous le maillot parisien. Six jours avant le huitième de finale retour, la décision d’opérer le joueur d’une fracture du cinquième métatarse du pied droit est pourtant officialisée par le club, quelques heures après que Neymar Senior, le père, a annoncé à la télévision brésilienne une indisponibilité de « six à huit semaines ».
Le PSG espère encore récupérer son attaquant pour une éventuelle demi-finale de C 1. Mais sans son étoile, l’équipe étale son impuissance au retour contre le Real (1-2), et, du point de vue brésilien, cela clôt le débat. Sur Instagram, Neymar cite Michael Jordan, en légende d’une photo où il est allongé sur la pelouse du Parc des Princes : « Les obstacles ne doivent pas t’arrêter. Si tu rencontres un mur, n’abandonne pas. Trouve un moyen de l’escalader. » Il est opéré le 3 mars à Belo Horizonte par Rodrigo Lasmar, le médecin de la Fédération brésilienne. Il passera toute sa convalescence de l’autre côté de l’Atlantique et quand il pose à nouveau le pied en France, deux mois après son opération, sa priorité ne fait plus le moindre doute : s’il achève sa rééducation à Paris, Neymar pense à la Coupe du monde, rien qu’à la Coupe du monde. Le PSG, malgré les 40 M€ annuels qu’il lui verse, passe après.
La star est en tribunes pour la finale de la Coupe de France et la commémoration du titre de champion. Mais, au bout de deux semaines et de quelques séances de reprise individuelle, il retourne au Brésil. Alors que le Championnat n’est pas encore terminé. Un communiqué du PSG annonce : « Neymar Jr. a repris partiellement l’entraînement collectif avec ses coéquipiers aujourd’hui au Parc des Princes et a commencé sa préparation physique avec ballon. Sa non-disponibilité pour le match à Caen (le dernier de la saison) justifie qu’il a été autorisé à partir au Brésil ce soir pour poursuivre son programme de reprise, comme c’était prévu à l’avance et organisé par les staffs médicaux du Paris-Saint-Germain et de la sélection brésilienne. » L’allusion finale à la CBF rappelle l’essentiel : ce sont bien les dirigeants brésiliens et le clan Neymar, entièrement tournés vers la conquête d’un sixième titre mondial, qui décident. À aucun moment le n° 10 parisien n’a laissé penser qu’il voulait vraiment revenir disputer quelques minutes avec son club avant la fin de la saison.
À Paris, Neymar s’est donc éclipsé sans y mettre complètement les formes, faisant presque oublier tout ce qu’il a réussi de bien. Ces 103 ballons touchés par match en moyenne, ces 19 buts et 13 passes décisives en vingt apparitions en L 1, ces dizaines d’actions merveilleuses. Un bilan assez formidable, pour qui saurait mieux le vendre. Mais avec la Seleçao, il va se révéler encore plus piètre VRP de lui-même. Quand commence la préparation brésilienne à Granja Comary, mi-mai, le degré de forme de Neymar est le sujet de préoccupation essentiel. Voire le seul.
Tite, le sélectionneur, développe un discours rassurant et théorise sur les « cinq matches » dont son numéro 10 a besoin pour retrouver son meilleur niveau. Le 3 juin, 97 jours après sa blessure et trois mois après son opération, Neymar est redevenu officiellement un footballeur. Une entrée à la mi-temps contre la Croatie à Liverpool (2-0). Un but, fêté comme s’il s’était agi d’un événement mondial par le joueur et son père, présent en tribunes. Et cet aveu, dans les couloirs d’Anfield : « Ça faisait trois mois que j’attendais ce moment. J’ai beaucoup travaillé. Ce furent trois mois douloureux. » « Quand il a marqué, c’est évident que ça l’a libéré de la pression qui lui pesait sur les épaules », ajoute Thiago Silva.
En fait, le soulagement ne viendra jamais complètement. Ce que Neymar montre quand la Coupe du monde commence face à la Suisse (1-1), le 17 juin à Rostov-sur-le-Don, c’est un joueur surtout attentif à son propre sort. Depuis 2016, il s’est auto-déchargé de la fonction de capitaine. Thiago Silva, Miranda, Marcelo, les joueurs qui portent le brassard à tour de rôle, le défendent en zone mixte. L’intéressé s’arrêtera une seule fois devant les micros, hors obligation de la FIFA : pour se plaindre du traitement infligé par les défenseurs helvètes.
Dans une curieuse inversion des rôles, il laisse Thiago Silva tout assumer. Le défenseur, raillé pendant le Mondial 2014 pour ses larmes lors d’une séance de tirs au but (face au Chili en huitièmes de finale, 1-1, 3 t.a.b. à 2), redevient en Russie le patron de l’équipe. C’est lui qui la dirige et se révèle son meilleur élément sur la durée, quand Neymar devient sa propre caricature. Il boite après le premier match. Il quitte une séance d’entraînement prématurément après s’être fait mal à son fameux pied droit. Il en rajoute des tonnes, surtout, après chaque contact sur le terrain. Et s’attire les moqueries de la planète entière. Même ses essais capillaires, certes discutables, sont raillés. Au Brésil, l’attitude très envahissante de son clan – qui s’est installé dans l’hôtel de la Seleçao à Sotchi au mépris des règles instituées par la CBF – est dénoncée.
Le pays semble retrouver le gamin capricieux, velléitaire et immature qu’il avait connu lors des premières années à Santos. Enfermé dans son personnage de victime, Neymar brouille sa propre image dans des proportions qu’il peine à appréhender. L’échec en quarts de finale contre la Belgique (1-2) est évidemment le sien. C’est en partie injuste : après trois mois sans jouer, le Parisien a réussi une Coupe du monde très honorable. Mais son rendement sportif n’est plus vraiment le problème.
L’intéressé en a-t-il conscience ? Pas sûr. Après avoir communiqué via les réseaux sociaux ou des opérations liées à sa fondation depuis un mois, essentiellement pour s’apitoyer sur lui-même, Neymar a tenté de se justifier il y a deux jours dans une campagne de publicité pour Gillette, où il assure : « Vous pouvez penser que j’exagère. Et parfois, j’exagère. Mais la vérité est que je souffre sur le terrain. Quand je pars sans donner d’interviews, ce n’est pas parce que je veux juste les lauriers de la victoire. C’est parce que je n’ai pas encore appris à vous décevoir […]. Vous pouvez penser que je suis trop tombé, mais la vérité est que je ne suis pas tombé, je me suis effondré, et cela fait plus mal que n’importe quel coup sur une cheville opérée. » « Il s’est encore tiré une balle dans le pied », a réagi le tout-puissant site O Globo, qui ne pouvait mieux résumer le dernier semestre de Neymar. À partir de cette semaine, alors qu'il va enfin redevenir un joueur du PSG à part entière, le Brésilien doit enfin renouer le fil de son histoire avec Paris. Elle avait si bien débuté.
L'Equipe