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Véronique Rabiot : «Adrien est prisonnier !»
La mère et conseillère du joueur s'insurge contre la mise à pied de son fils, dernier épisode de son conflit avec le Paris-SG, que le milieu de terrain quittera en juin, libre.
Les échanges ont duré avant d'avoir une réponse. Au départ, le rendez-vous était prévu pour discuter et faire connaissance. Peut-être pour briser la glace aussi, face à la barrière qu'elle a mise avec les médias. Véronique Rabiot se méfie « beaucoup et de plus en plus de l'environnement du foot ». Le climat est aussi de plus en plus pesant autour de la situation de son fils Adrien, déclaré persona non grata au PSG avec cette dernière mise à pied, le dernier - et ultime - épisode d'un mauvais film qui n'en finit plus. Ce lundi en fin d'après-midi, Mme Rabiot est pile à l'heure au rendez-vous. Il a lieu en plein centre de Paris, dans un appartement qui sent l'ancien et au parquet qui couine. La mère du milieu parisien est sur la réserve, pour ne pas dire la défensive au départ. Son regard bleu acier est fixe. Il devient même électrique quand on enclenche la conversation sur cette dernière mise à pied de son fils par le PSG. Puis Mme Rabiot accepte notre magnéto et, donc, le principe de l'entretien. L'interview, qui se transformera ensuite en conversation, durera plus de deux heures. Avec de grands moments d'émotions, sincères, très touchants quand elle raconte le mois de janvier funeste traversé par sa famille et son fils.
« Le PSG a mis à pied votre fils.Comment vit-il cette situation ?
Je n'ai pas envie de faire pleurer dans les chaumières, ni de fragiliser encore plus Adrien en disant qu'il n'est pas bien. On s'attaque au versant humain. Nous sommes pudiques. Je peux simplement vous dire qu'il vit très mal tout ce qui se passe.
Quel est son quotidien depuis presque une semaine et cette décision du PSG de le mettre à l'écart ?
Adrien s'entraîne, mais je ne veux pas vous dire où, avec qui et comment. Mais bien sûr qu'il s'entretient. Il est obligé. Un footballeur de haut niveau comme lui, qui n'est pas blessé, ne peut pas rester treize jours sans s'entretenir. Et comme l'accès de Saint-Germain (du Camp des Loges) lui est totalement interdit, il a bien fallu s'organiser.
Regrette-t-il d'être sorti en boîte de nuit le soir de l'élimination de son club par Manchester United (1-3, en C 1) et d'avoir "liké" une vidéo de Patrice Évra qui était plutôt pro-MU ? Pour le PSG, ce sont des "fautes graves"...
Déjà, sur la vidéo qu'on lui reproche d'avoir transférée, ce n'est pas celle qu'on essaie de faire croire. Ce n'est pas celle où Patrice Évra "célèbre" l'élimination de Paris. Après, il y a cette sortie en boîte de nuit... Mais le PSG veut s'occuper aussi de la vie privée d'Adrien, alors qu'il n'en veut plus ! Il veut qu'il se mette en pyjama à neuf heures, avant le match, devant sa télé, pour aller au lit à onze heures ! Ces gens-là ne connaissent pas le rythme de vie des joueurs ? Quand un joueur joue, ce qui est son métier, il a un rythme d'entraînement. Là, il ne se passe plus rien pour Adrien. Adrien ne va pas se mettre à la poterie en attendant que ça se passe. Il faut bien qu'il s'occupe, qu'il vive ! On lui reproche de sortir (en boîte) alors qu'on ne veut plus le faire jouer. C'est contradictoire. Ce n'est pas possible de l'enfermer. Il faut qu'il évacue toute cette énergie qu'il a en lui, qu'il n'utilise plus. Il la dégage de cette façon. Il faut supporter tout ce qui se passe et se dit autour de lui.
Et quel est votre état d'esprit personnel ?
Je suis révoltée !
Depuis quand ?
Depuis qu'on l'a envoyé s'entraîner avec la réserve. En fait, depuis qu'il ne joue plus. Depuis le 5 décembre exactement (date de son dernier match avec le PSG, à Strasbourg, 1-1).
Comment lui a-t-on signifié cette mise à pied ?
(Antero) Henrique (le directeur sportif) est arrivé dans le vestiaire pour lui remettre la lettre officielle. C'était le (jeudi) 14 mars. Il a demandé à Adrien de la signer. Adrien n'a pas voulu. On était juste avant le début de l'entraînement. Henrique lui a dit qu'il ne pouvait pas rester. Il lui a répété qu'il fallait signer. Adrien lui a redit non, qu'il était venu pour s'entraîner. Il a mis ses chaussures et est allé sur le terrain. Il a fait la séance. À la fin, en salle de gym, c'est le team-manager qui est venu le voir pour lui dire qu'il ne pouvait plus rester là. Il lui a répété sa mise à pied, qu'il ne pouvait plus revenir au centre d'entraînement et que, dorénavant, on ne le laisserait plus rentrer.
Et alors ?
Adrien a revu Henrique pour lui demander la lettre. Il n'a pas voulu lui donner s'il ne la signait pas. Il ne l'a pas eue. Dans la soirée, Adrien l'a reçue par mail. On a reçu ensuite un recommandé.
Le PSG n'a visiblement pas été échaudé par la première décision de la commission juridique de la LFP, qui avait déjà recommandé sa réintégration dans le groupe professionnel ?
Il s'en moque ! Il y a un nouvel abus de pouvoir de la part de la direction du PSG. Je pense qu'aujourd'hui ils veulent aller à la rupture de contrat. Mais Adrien n'a pas commis de faute.
Avez-vous l'impression que votre fils est prisonnier du PSG ?
Ce n'est pas qu'une impression. Adrien est prisonnier. Il est même otage du PSG. Bientôt c'est au pain sec, à l'eau et au cachot ! Ce milieu est cruel... Un footballeur est fait pour jouer, pas pour rester au placard. Adrien ne joue plus depuis décembre, et probablement jusqu'en juin. Ramené à une carrière professionnelle, six mois c'est énorme ! On le prend en otage parce qu'il ne veut pas re-signer, alors qu'il ne fait que respecter son contrat. Adrien ne demande que ça : respecter son contrat.
Quel type de prolongation lui a proposée le PSG ? Quelle est la genèse des tractations ?
La genèse, la genèse... C'est tellement loin, la genèse... Cette histoire est une succession de directeurs sportifs au PSG, de discours différents. Si vous voulez, je vous écris un livre... Et Henrique est arrivé (en juin 2017). Il a déjà dit qu'il voulait recruter un numéro 6. Il ne l'a jamais fait. Et il a dit d'autres choses. (Elle souffle profondément.) Quand Henrique débarque, jeudi dernier, dans le vestiaire du Camp des Loges en disant à Adrien qu'il manque de respect à l'équipe... Moi, j'ai une autre vision.
Laquelle ?
Que c'est lui qui a manqué de respect à l'équipe.
Pourquoi ?
Parce qu'il n'a pas fait ce qu'il avait dit et le recrutement nécessaire. Il n'a pas fait ce qu'il avait dit non plus pour qu'Adrien puisse jouer à son poste.
Votre gros problème est surtout avec Antero Henrique. À la fin du mercato hivernal, à décoder certains propos de Thomas Tuchel, l'entraîneur parisien était pour la réintégration de votre fils et la possibilité de le faire rejouer...
Je ne veux pas me prononcer là-dessus. En interne, je ne sais pas ce qui se passe entre eux. Ou tout du moins, j'ai mon idée... C'est un peu comme dans le football en général : tout le monde ment, et tout le monde sait que tout le monde ment. Mais oui. J'ai observé. J'ai appris sur le tas. La vérité d'aujourd'hui n'est pas celle du lendemain. Je ne crois plus aux paroles. Je crois aux actions.
Quand le PSG vous propose de prolonger (cet été), leur avez-vous dit tout de suite que vous vouliez aller au bout du contrat actuel ?
Non. Il faut remonter à plus loin, connaître l'historique des relations. Ça ne se passe pas en un claquement de doigts. Ça a déjà été compliqué au moment de la première prolongation, en octobre 2014 (il avait été écarté du groupe pro quelque temps). La situation s'est progressivement dégradée. Adrien a observé pas mal de choses. Il a vu que ce n'était pas ce qu'il attendait, ce qu'on lui a dit parfois. Il a donc décidé d'aller au bout de son contrat pour avoir cette liberté. Il est quand même arrivé au PSG libre, en 2010, après une préformation au pôle espoirs de Castelmaurou (Haute-Garonne). Il a signé professionnel en 2012, prolongé en 2014 jusqu'en juin 2019. C'est un joueur qui n'a pas été acheté par le PSG, qui a donc coûté zéro euro en indemnités de transfert et qui a fait plus de deux cents matches professionnels (240 toutes compétitions confondues) pour son club. Ce n'est pas dur à comprendre. Et ce n'est pas le premier joueur qui va au bout de son contrat, qui a envie d'être libre pour aller voir ailleurs et choisir son prochain club. Son but est de découvrir autre chose, un autre Championnat, et d'être libre de ce choix. Ne pas comprendre ça, c'est ne pas connaître le monde du football, les joueurs. Ou faire semblant de ne pas le comprendre.
Le PSG n'accepte sûrement pas de laisser partir gratuitement un joueur formé chez lui et qui était "estimé", en début de saison, à 70 M€ sur le marché...
Mais Adrien demande du respect. Il faut se mettre dans la peau d'un footballeur. Il a envie d'aller jouer ailleurs, et à son poste. Adrien veut que son contrat soit respecté comme il a respecté, pendant ses sept saisons professionnelles, le maillot parisien sur le terrain. On ne peut pas dire qu'il n'a pas défendu son club. Il a gagné de nombreux titres (17). Il a vingt-trois ans, commencé à dix-sept ans chez les pros. Il a fait plus que "rembourser" ses deux ans de formation au PSG. En plus, quand il était au centre, il a tout le temps vécu chez nous. Il était externe. Mais les dirigeants actuels du PSG ne supportent pas tout ça. Adrien n'est pas hors la loi. Au contraire, il veut qu'on la respecte ! On est bien dans un État de droit. Le foot n'est pas au-dessus des lois en France ? Et personne ne s'offusque de ça. On est dans l'arbitraire d'un club qui veut faire ce qu'il veut de son joueur, de son salarié.
Avez-vous beaucoup de soutien dans cette situation ?
Il n'y a que l'UNFP (Union nationale des footballeurs professionnels). Ils sont là depuis le début pour faire respecter le droit. Après, tout ça ne dérange personne. Y compris en haut lieu... Je suis surprise que les ministres des Sports (Roxana Maracineanu) et du Travail (Muriel Pénicaud) ne s'indignent pas. Beaucoup de personnes sont au courant de cette situation, mais aucune ne se lève. Il y a une cascade de sanctions pour Adrien, mais personne ne bouge. Ils lui enlèvent en plus des primes, une partie de son salaire, mais personne ne dit rien.
Justement. Combien de primes d'éthique mensuelles lui ont été enlevées et quel motif a invoqué le PSG ?
Il y en a eu plusieurs. La dernière en janvier... Et on lui retire celle-ci au prétexte qu'il n'est pas allé en stage au Qatar (du dimanche 13 au jeudi 17 janvier). Mais sa grand-mère venait de décéder et son père était mourant... On tombe là dans l'abject. On tire sur l'ambulance ! Ma mère est morte le 5 janvier. Elle a été inhumée le 11. Il aurait fallu qu'Adrien parte au Qatar... Et on m'a reproché ensuite de ne pas avoir demandé assez rapidement de le libérer... Et on lui supprime ensuite sa prime d'éthique... Mais c'est sordide. Sor-di-de ! L'équipe est partie le dimanche à Doha. La grand-mère d'Adrien a été inhumée le vendredi. Et si, quand bien même, Adrien était parti au Qatar dès le dimanche, j'aurais été obligée de téléphoner le lundi pour dire au club de le renvoyer rapidement...
Pourquoi ?
Dès le lundi matin, je recevais un appel du médecin de l'Hôpital Américain qui me prévenait que la situation du papa d'Adrien était en train de se dégrader fortement. Il m'a dit : "Le père des garçons va très mal. Je pense que c'est la fin..." Comment peut-on lui reprocher et le sanctionner de ne pas être allé au Qatar avec deux décès à vingt jours d'écart en janvier ? Sa grand-mère est morte le 5. Son papa le 25. Et on lui enlève sa prime d'éthique. Mais on est encore plus que dans le sordide ! Il faut oser ! Et on lui a également enlevé les cinq jours de salaire de ce séjour au Qatar. Plus les primes d'éthique de novembre et de décembre...
Pourquoi celles-ci aussi ?
C'est pour ses six minutes de retard à la causerie avant OM-PSG (2-0, le 28 octobre). Il était en train de dormir, dans sa chambre, à l'hôtel... Il n'est pas arrivé en retard à la causerie parce qu'il était en train de faire du shopping ! Il ne s'est pas réveillé à temps. Mais personne n'est monté frapper à sa porte. On dit que l'on veut responsabiliser les joueurs... Les règles ont changé au PSG. C'est comme arriver directement au Parc des Princes à 19 heures le jour d'un huitième de finale de Ligue des champions... C'est du bon coaching. Je veux bien si c'est ça du bon coaching ! C'est pour ça qu'on lui a fait sauter ses primes d'éthique. Il y a deux poids, deux mesures.
C'est-à-dire ?
Il y a des joueurs qui se loupent pour six minutes à cause de la sieste, et d'autres qui sont blessés mais qui peuvent aller faire la fête à l'autre bout du monde, au carnaval de Rio...
Avez-vous l'impression qu'Adrien est devenu un bouc émissaire auprès des supporters, surtout après la désillusion parisienne face à Manchester United ?
C'est très clair. On balance un rideau de fumée avec Adrien. On lui tape dessus pour ne pas affronter les vrais problèmes. Je pense que le PSG, au lieu de s'occuper du fait qu'Adrien est allé en boîte de nuit le 6 mars au soir, devrait mieux se préoccuper de ses véritables problèmes. Mais c'est plus facile de parler de nous, de faire l'actualité autour d'Adrien, que de voir les choses en face, de trouver des solutions pour que ce club soit performant et efficace sur le terrain. (Ironique.) On se demande vraiment pourquoi les dirigeants parisiens essaient de le faire re-signer, si c'est vraiment un si mauvais garçon que ça ! Mais vous pouvez demander à tous les entraîneurs, à commencer par Carlo Ancelotti, qui l'a lancé, si Adrien n'est pas un vrai professionnel. J'ai eu trois entretiens avec M. Ancelotti, qui l'a sorti à dix-sept ans. Il m'a toujours répété qu'Adrien était un vrai pro.
Comment voyez-vous l'avenir immédiat ?
On est obligés d'attendre la fin de la mise à pied (le 27 mars). Je pense que, vu ce qui se passe, il y aura une rupture de contrat. Après, c'est compliqué de se projeter. Dans tous les cas, Adrien sera libre en juin.
Et alors ?
Tout le monde dit qu'on a déjà signé avec un club. Mais on n?a signé nulle part ! On n'a vraiment pas eu l'occasion de s'en préoccuper. En fin d'année dernière, j'avais dit que je ne parlerais avec aucun club avant le 1er janvier. J'ai été hors du monde pendant plus de deux mois, avec tous nos malheurs. Il y a des priorités dans la vie. Elles étaient ailleurs pour nous jusque-là.
Avez-vous reçu beaucoup d'appels d'agents ?
Pas tant que ça. Certains ont compris que notre situation personnelle était difficile. J'ose croire qu'il y a quand même quelques personnes élégantes dans ce milieu. J'ai peut-être la faiblesse de le croire.
Pourquoi acceptez-vous de prendre la parole aujourd'hui ?
Parce que d'autres footballeurs vivent aussi la même situation qu'Adrien mais qu'on n'en parle pas. Comme nous, ils sont seuls contre tous à part l'UNFP. C'est un problème plus général qu'on le croit. La notion de respect est importante pour moi. On est dans un État de droit. Adrien a un contrat. On demande simplement qu'il soit respecté. »