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Catastrophe
Fauché, Mediapro veut une ristourne sur la Ligue 1
La déclaration fait l’effet d’une douche froide pour le football français. «Nous voulons rediscuter le contrat de cette saison», lance dans l’Equipe ce jeudi Jaume Roures. Le patron du groupe espagnol Mediapro, qui diffuse l’essentiel des matches de Ligue 1 et Ligue 2 depuis la reprise des compétitions en août, demande ainsi une ristourne sur son contrat. «On n’a pas un montant concret. On veut renégocier le prix.»
Le tarif est connu, depuis que Mediapro a remporté il y a deux ans l’appel d’offres des droits TV pour la période 2020-2024 : 780 millions d’euros par saison pour la Ligue 1, 34 millions d’euros pour la Ligue 2. A l’époque, beaucoup de présidents de clubs s’étaient réjouis, quasi-incrédules, d’avoir fait grimper le nouvel entrant au cocotier. D’autres, comme le concurrent défait Canal+, avaient dit que c’était de la folie et mettait en doute la solidité financière de l’acheteur. Ce jeudi, on commence à se dire que les seconds avaient raison, même quand Jaume Roures tente de rassurer : «On ne remet pas en cause le projet en tant que tel.» Car, trois questions après, il ajoute : «Dans la situation actuelle, tout le monde est inquiet.»
Garanties financières insuffisantes
Mediapro est-il dans la panade financière ? Une indication, qui trompe rarement : mardi, le groupe n’a pas honoré sa deuxième échéance financière de l’année, d’un montant de 172 millions d’euros, et demandé un délai. Il y a deux mois, il avait payé avec retard. Naturellement, Jaume Roures pointe l’effet de la crise économique et sanitaire : «[La saison] est très affectée par le Covid, tout le monde le sait car tout le monde souffre. […] Les bars et les restaurants sont fermés, la publicité s’est effondrée…»
La conjoncture est affreuse, c’est vrai, et l’entreprise est loin d’être un mastodonte économique : un chiffre d’affaires de 1,8 milliard d’euros en 2019, en baisse de 8 % ; un petit excédent brut d’exploitation de 224 millions d’euros ; une grosse dette de 727 millions d’euros… Mediapro traîne une sale réputation depuis que les droits du foot italien lui ont été retirés en 2018, à cause de garanties financières insuffisantes. Le mystère entourant son actionnaire majoritaire, Orient Hontai Capital, n’arrange rien.
Le grand problème du groupe espagnol est que le nombre d’abonnés à sa chaîne Téléfoot, qui diffuse la Ligue 1, ne décolle pas. «C’est tiède, admet Jaume Roures. […] La situation est plus compliquée qu’on ne l’imaginait il y a deux ans quand on a acquis les droits.» Face à sa très grosse ligne de coûts, Mediapro voit celle des recettes ne pas frémir. Depuis le début de la saison, le monde de la télé sportive échange en douce, effaré, les chiffres d’audience – impossibles à confirmer – très bas de Téléfoot. Etait-il judicieux de fixer le prix de la chaîne, toujours pas distribuée par Canal+, à 25,90 euros par mois ? Apparemment non.
Des droits TV fondamentaux
Pour les clubs français, c’est une catastrophe qui se profile. Structurellement faiblards, ils ont été fortement affectés au printemps par le Covid-19 et l’annulation de la fin de la Ligue 1. Lors de la fenêtre de transferts qui vient de se fermer, la Ligue 1, exsangue, a beaucoup moins dépensé que les années précédentes (434 millions d’euros selon Transfermakt, contre 718 millions l’an dernier). Elle a aussi moins vendu de joueurs que d’habitude à ses clients étrangers. Les «opérations mutation», comme on dit dans le jargon, sont pourtant ce qui permet au foot professionnel français de combler ses pertes : elles lui ont rapporté 740 millions d’euros en 2018-2019 (Ligue 1 et Ligue 2 confondues).
Les présidents comptaient beaucoup sur la manne promise par Mediapro à partir de cette saison, une hausse substantielle par rapport au précédent contrat, pour passer un palier économique. Mais le bienfaiteur sino-espagnol s’avère, au bout de deux mois, moins prodigue que prévu. C’est très, très embêtant. Les droits TV sont fondamentaux dans l’économie du foot professionnel. En 2018-2019 (bien avant la promesse de grandes liquidités de Mediapro), ils représentaient, à 1 milliard d’euros, 48 % de ses revenus. Loin, très loin devant le sponsoring, la billetterie, le merchandising. On mesure le stress qui saisit la Ligue 1 ce jeudi.
Jérôme Lefilliâtre