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Dans les coulisses de DAZN au Vel'; La plateforme, nouveau diffuseur de la L1, a retransmis l'OM pour la première fois dimanche soir face à Reims. Entre chorégraphie télévisuelle, trio de commentateurs et "fan expérience" au programme, plongée chez ce nouvel acteur contesté.
Lovés dans les confortables fauteuils de la salle de presse du stade Vélodrome, Smail Bouabdellah et Benoît Cheyrou passeraient presque pour des écoliers modèles à moins de deux heures du coup d'envoi d'OM-Reims. Les deux compères qui ont, tour à tour, travaillé ensemble sur Téléfoot ou Amazon ces dernières années, écoutent sagement les dernières directives avant la prise d'antenne prévue à 20h15, entourés d'autres journalistes inclus dans le dispositif comme le commentateur Luigi Colange ou Ambre Godillon.
La soirée est d'importance pour la fine équipe. Pour la première fois depuis le début de la saison, et donc de son histoire, DAZN, le nouveau diffuseur de la L1, retransmet un match des Olympiens. Débats, sujets, interviews, pauses publicitaires, questions du tchat à relayer directement aux acteurs de la rencontre... Ce dernier filage pour mettre en place cette chorégraphie télévisuelle de 30 minutes ne laisse rien au hasard, même si certaines séquences ont été abandonnées pour des impératifs particuliers.
Micro-trottoir zappé
"Pas de micro-trottoir avec les supporters ce soir, on n'allait pas envoyer Ambre le faire", sourit Jonathan, le chef d'édition, ce qui provoque des rires dans la petite assemblée. Et pour cause, la journaliste vient tout juste de quitter PSG TV pour rejoindre la plateforme britannique, ce que certains supporters très indélicats, et surtout insultants, n'ont pas oublié de rappeler sur les réseaux sociaux d'ailleurs. Autre séquence d'importance, qui n'est pas tombée à l'eau cette fois-ci, le "Entre nous..." juste avant l'entrée des équipes, sorte de pastille télévisuelle où une ambiance intimiste doit s'installer entre Cheyrou et Bouabdellah. Le thème du soir ? L'entrée des joueurs dans le volcan du Vel' et les souvenirs de l'ex-Olympien (2007-2014). Problème, la nouvelle entrée n'est pas accessible aux équipes de DAZN, Cheyrou trouve alors la solution. "Et si on allait du côté de l'ancienne trappe dans l'angle du Virage Nord ? Il y a des choses à dire..." Banco. Fin de réunion et début d'un marathon de quatre heures.
Ambre Godillon file interviewer les coaches pour l'avant-match, Luigi Colange rejoint son poste commentateurs perché au milieu de la tribune Jean-Bouin, tandis que Johnny Séverin, le rédacteur en chef, fonce au car régie. À l'intérieur de cette minuscule cabine, des dizaines de techniciens s'affairent pour récupérer le conducteur et préparer les derniers réglages. À la baguette, le chef d'orchestre Fred Godard, un des réalisateurs les plus connus en France, doit, ce soir-là, gérer une quinzaine de caméras. "C'est le réacteur, souligne Séverin. On peut même monter à une vingtaine de caméras pour un OM-PSG. Sur la réalisation à proprement parler il n'y a pas de 'patte' DAZN, si ce n'est les incrustations pour demander aux abonnés d'interagir sur le tchat de la fan zone et l'utilisation d'une steadicam en avant-match pour avoir une impression d'immersion."
" Je ne vais pas dézinguer pour dézinguer"
Loin des coulisses techniques plongées dans l'obscurité, les incarnations sont au bord de la pelouse, en pleine lumière. De quoi en intimider certains, comme Walid Acherchour. Intervenant régulier dans l'After Foot sur RMC, réputé pour son franc-parler, il vient d'être recruté pour occuper un rôle de consultant au sein d'un trio de commentateurs. Il découvre le Vélodrome pour la première fois de sa vie. "C'est gigantesque, un bonheur, un rêve qui devient réalité", confie-t-il. Mais le chroniqueur peut-il déployer toutes ses critiques au sein d'un groupe qui paye 400 millions par an les droits de la Ligue 1 ? Réponse du tac au tac. "C'est pour ça que je suis venu, on me laisse autant de liberté qu'ailleurs. Mon rôle est d'avoir un avis différent, quand on est déçu on le dit, quand c'est extraordinaire on le valorise aussi. Je suis l'homme qui est sans filtre, je dirai toujours ce que je pense mais je ne vais pas m'enfermer dans une caricature, je ne vais pas dézinguer pour dézinguer..." À côté de lui, un homme bien plus rodé à l'exercice médiatique et au contexte marseillais.
Nouvelle tactique
Benoît Cheyrou savoure ses retrouvailles avec son ancien jardin. "Je joue à domicile, sourit-il. Ça me fait toujours quelque chose de revenir ici." Pour sa première chez DAZN, il doit jongler avec une nouvelle disposition tactique puisqu'il est aux commentaires en trio avec Colange et Acherchour. "Une mécanique différente, mais intéressante", note-t-il tout en avouant être content "d'avoir pu voir les autres le faire lors de la première journée." Dans cette profusion de journalistes et de consultants - ils sont cinq à intervenir au cours d'une rencontre - le risque de foire d'empoigne existe. "Il n'y a pas de concurrence. On ne va pas jouer des coudes mais se faire des passes décisives", assure Godillon, Bouabdellah en profite également pour filer la métaphore footballistique. "Il faut sentir le jeu, c'est comme les joueurs, on doit sentir le commentaire, mais ça passe bien, distille ce dernier, la voix couverte par les décibels du stade. Plus on va être en difficulté à cause du bruit du Vélodrome mieux ce sera, ce n'est pas grave, ça ne me dérange pas."
Dans un média où le storytelling est assumé et revendiqué, où l'on insiste sur la proximité entre les fans et les acteurs d'une rencontre, au risque de voir les intervenants jouer les utilités afin de passer uniquement les plats, et les questions d'un tchat (la fameuse "fan zone"), la place laissée à la parole journalistique n'est pas évidente. "Le journaliste est au service des fans, il doit relater, raconter, développer les sujets qui intéressent les fans, ce n'est pas un remplacement mais une extension", assume Stefano Bernabino, directeur des contenus et de la production. Chose faite au cours d'OM-Reims.
L'expérience DAZN, qui diffusera encore 25 matches des Olympiens cette saison, a-t-elle séduit ses supporters ? Et surtout, a-t-elle déclenché des abonnements alors que la polémique autour des tarifs pratiqués par le "Netflix du sport" ne désenfle pas depuis le début du championnat (39,99 € par mois sans engagement ou 29,99 € par mois pour un engagement sur 12 mois, Ndlr) et que les achats d'IPTV explosent ? Aucun chiffre n'a été communiqué, encore moins celui des audiences. La plateforme devra multiplier ces soirées, et surtout abaisser ses tarifs, pour convaincre les aficionados de troquer un bon repas au restaurant contre un abonnement.
La Provence