Information
Le directeur des affaires publiques du groupe Canal +, Christophe Witchitz, fait le point sur la problématique du streaming sportif illégal.
Comment expliquez-vous la bonne forme du streaming ?
« C’est une question de mutations technologiques. C’est de plus en plus facile de récupérer des flux légaux pour ensuite les mettre à disposition illégalement. D’autant plus que les utilisateurs possèdent des connexions de plus en plus rapides, avec la fibre, permettant un streaming en direct de bonne qualité. Il faut d’ailleurs reconnaître que les pirates font du bon boulot, avec des images tout à fait agréables… Ainsi, depuis deux ou trois ans, on assiste à une explosion de ce mode de partage, particulièrement adapté à la consommation du sport, avec sa spécificité liée à la valeur du direct. »
Quel impact à cette tendance ?
« On parle de centaines de milliers d’internautes qui ne payent pas pour regarder et qui ne sont donc pas abonnés… Pour Canal, le piratage, pas uniquement celui sportif, représente un manque à gagner de 250 millions d’euros. Et dans un secteur ultra-concurrentiel, au sein duquel on assiste à une forte inflation des droits, de plus en plus compliqués à amortir, on ne peut pas se permettre de laisser de la valeur se dissiper. »
Comment luttez-vous contre ?
« Avec d’autres ayants droit, mais aussi des fédérations, on a créé l’Association pour la protection des programmes sportifs. En 2018, on a rencontré les différents intermédiaires techniques, c’est-à-dire les fournisseurs d’accès à Internet (FAI), les moteurs de recherche, les hébergeurs ou encore les réseaux sociaux, afin qu’ils nous aident à endiguer cette catastrophe industrielle. Et on a identifié le meilleur moyen de s’attaquer à ce problème, c’est-à-dire passer par la voie législative. »
Pour faire quoi ?
« La solution est très simple. Elle existe déjà dans d’autres pays européens, avec des résultats efficaces : il faut bloquer l’accès aux sites. Pour faire simple, vous cartographiez les cinquante plus gros, ce n’est pas très difficile, et après il faut se débrouiller pour trouver un mécanisme juridique afin de faciliter les blocages de manière rapide. Aujourd’hui, les procédures sont beaucoup trop longues, alors que la spécificité sportive tient dans l’urgence, car la valeur d’un match de foot, par exemple, dure quatre-vingt-dix minutes… Cela demande donc une adaptation du cadre législatif et juridique. »
Dans quels délais ?
« Une réforme de l’audiovisuel s’annonce. Et, dans les débats publics, des signaux montrent que le piratage sportif sera bien pris en compte. Après, ça va prendre du temps. Mais, dans une bonne année, on espère avoir un dispositif qui fonctionne. »
Pour cela, il faudra que
les FAI jouent le jeu…
« Ils ne sont effectivement pas tous sensibles au problème. Chez SFR, ils comprennent, car ils ont RMC Sport. Le piratage n’était pas une priorité, mais ça le devient. Chez, Orange, ils ont OCS (service consacré aux séries), donc ils ont compris le souci, mais c’est moins urgent pour eux, car ce n’est pas du sport. Ils n’ont pas mis 350 millions par an comme SFR l’a fait pour la Ligue des champions. Mais les deux autres, Bouygues et Free, ne voient que des emmerdes là-dedans. Leur business, c’est de vendre de la bande passante. S’ils bloquent certains sites, leurs abonnés ne vont pas être contents et ils vont changer de fournisseur. D’où l’intérêt d’un dispositif juridique qui obligerait l’intégralité des fournisseurs à bloquer. »