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Len Blavatnik, fondateur de DAZN et nouveau financeur du foot français
Après Vincent Bolloré pour Canal+, l'émir du Qatar pour beIN Sports et Jeff Bezos pour Amazon, un autre milliardaire, deuxième fortune du Royaume-Uni, se cache derrière DAZN, le nouveau diffuseur attendu de la Ligue 1.
La principale garantie financière de DAZN, nouveau diffuseur attendu de la majorité des matches de Ligue 1, c'est lui : Sir Leonard Blavatnik, plus communément appelé Len, actionnaire majoritaire de la plateforme surnommée « le Netflix du sport ». Ce n'est donc pas un hasard si, il y a un an, la direction de DAZN a pris l'habitude d'organiser ses rendez-vous parisiens dans un bâtiment cossu du neuvième arrondissement, celui de Deezer, l'une des nombreuses entreprises dont le sexagénaire milliardaire est propriétaire via sa multinationale, Access Industries. On y trouve des médias (le site de streaming musical et DAZN donc) mais aussi la major Warner Music, la société de production de cinéma AI Film (Le Majordome, Iron Claw, Bird...), de la pétrochimie, des biotechnologies ou encore de l'immobilier de luxe...
Deuxième homme le plus riche du Royaume-Uni (34,8 Mds €), derrière Gopi Hinduja selon le classement du journal Sunday Times, le citoyen américano-britannique vit à Londres dans son manoir de Kensington Palace Gardens, estimé aujourd'hui à 200 M£ (230 M€). Vingt ans plus tôt, il l'avait acheté 41 M£ offrant alors, selon certaines rumeurs, plus que son futur voisin, Roman Abramovitch. L'an passé, il y aurait reçu Maxime Saada, le président du groupe Canal+, son partenaire pour investir le marché français mais aussi Nasser al-Khelaïfi, président du PSG et de beIN Media Group. De sobres rencontres d'affaires.
Rien à voir avec les somptueuses fêtes dépeintes par l'un de ses amis, en 2014, dans le New Yorker : « Rupert Murdoch sortait quand je suis entré chez lui. Il y avait des danseurs de tango argentins, de grands interprètes de musique et des jeunes filles russes légèrement vêtues qui jouaient au tennis. C'est Gatsby ! » Gatsby le magnifique, imaginé par l'écrivain Scott Fitzgerald, dont il a produit l'adaptation en comédie musicale à Broadway, au coeur de New York, son autre lieu de résidence.
Il est pourtant né Leonid Valentinovitch Blavatnik à Odessa, dans l'Ukraine du régime soviétique, de parents universitaires juifs, avant de grandir ensuite en Russie, à Yaroslav, à trois heures de Moscou. En 1978, la modeste famille émigre à New York, dans Little Odessa, le célèbre quartier ukrainien de Brooklyn. Pour s'intégrer plus facilement, Leonid devient Leonard puis Len. Détenteur d'une maîtrise d'informatique à Columbia, il obtient la nationalité américaine en 1984 et fonde, deux ans plus tard, Access Industries, une société d'investissements. Dans sa promotion à Harvard, il rencontre un Français, Guillaume d'Hauteville, futur banquier d'affaires, aujourd'hui son conseiller et président de Deezer. « Quand je l'ai connu, il réalisait ses premiers investissements, plutôt dans l'immobilier à l'époque, se souvient son ami. On sentait déjà qu'il était très créatif, avec le goût du risque, et qu'il allait faire des choses. »
Sa fortune, Len Blavatnik la construit d'abord sur les ruines de l'empire soviétique, en surfant sur la privatisation de nombreuses sociétés étatiques. Après une prise de participation dans l'une des plus grosses entreprises de tracteurs de l'URSS, il investit dans l'aluminium puis le pétrole au sein du groupe TNK. La fusion de ce groupe en 2003 avec British Petroleum (BP) enrichit une première fois Len et ses co-actionnaires avant le rachat, en 2013, de TNK-BP par Rosneft. Cette opération aurait cette fois rapporté 7 Mds$ à Blavatnik.
Contrairement à ses premiers associés, il s'éloigne des investissements en Russie dans les années 2000 et prend soin de diversifier ses activités. D'abord avec une première participation dans Warner Music avant d'en prendre le contrôle en 2011 pour 3,3 Mds$. Puis dans l'immobilier de luxe avec notamment le rachat, en 2006, du Grand-Hôtel du Cap Ferrat (Alpes-Maritimes). Il ratera en revanche en association à l'époque avec le propriétaire de l'OM, Robert Louis-Dreyfus, l'acquisition de l'agence de marketing sportif Sportfive, se faisant doubler par Arnaud Lagardère. Son yacht de 73 mètres, Odessa II, mouille souvent en Méditerranée, dans la baie de Cannes lors du Festival. Pendant plusieurs années, s'y tenait notamment l'un des déjeuners les plus courus de la Quinzaine du cinéma, organisé avec... Harvey Weinstein, le célèbre producteur hollywoodien. Quand éclate l'affaire Weinstein, Blavatnik rompt tout contact et réclame à son studio le remboursement d'un prêt de 45 m$...
Devenu citoyen britannique, en 2010, Len Blavatnik déclare cette année-là au Financial Times vouloir construire « la plateforme médiatique du XXIe siècle ». Netflix se lance alors au Royaume-Uni et le milliardaire veut l'équivalent dans le sport et crée DAZN en 2016. « C'est vraiment un très gros projet pour lui, il y tient beaucoup », assure Guillaume d'Hauteville. Et quand on évoque les 6 Mds€ de pertes depuis la création, le Français réplique : « C'est un investissement. Des entreprises comme Netflix ou Spotify ont mis parfois dix ans avant de faire des bénéfices... DAZN arrive déjà au point de rentabilité. »
Anobli par la reine Elizabeth II pour sa philanthropie
Il y a six ans, DAZN accélère sur les droits premiums. Avec des paris pas toujours relevés comme la signature, en mai 2018, d'un contrat mirifique d'1 Md$ avec le promoteur d'Anthony Joshua pour diffuser ses combats aux États-Unis. Un an plus tard, le boxeur britannique chute face au Mexicain Andy Ruiz Jr. La conquête de l'Amérique se complique et les dépenses s'envolent pour essayer de faire décoller la plateforme en Europe. La Liga en Espagne, la Bundesliga en Allemagne, la Serie A en Italie, DAZN cherche à s'installer sur des marchés clés avec les championnats de foot domestiques.
Au Royaume-Uni, Len Blavatnik tente, en 2022, de racheter BT Sport, diffuseur de la Premier League... Warner Bros Discovery le prend de vitesse. « Nous sommes des investisseurs disciplinés. C'était la bonne décision de ne pas proposer un prix déraisonnable », justifie alors le milliardaire qui a pourtant toujours rêvé de faire décoller son activité médiatico-sportive au Royaume-Uni. Là où la reine Elizabeth II l'a anobli, en 2017, pour sa philanthropie : il avait versé 58 M£ à la Tate Modern de Londres et donné son nom à la nouvelle extension du musée. Là où il finance aussi à hauteur de 75 M£ la « Blavatnik School of Government » à Oxford, depuis 2010. Il a également fait de généreux dons au British Museum ou au Museum of Modern Art. En France, Blavatnik a en toute discrétion versé 1 M$ à l'Opéra de Paris pour financer un programme sur la santé des danseurs, sans jamais l'avoir officialisé. Mais sa plus généreuse « donation » - un deal à 2 Mds€ sur cinq ans avec la Ligue 1 - cette fois, ne restera pas secrète.