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Droits TV du football français : de la folie des grandeurs à la dure réalité
À moins de trois mois du coup d'envoi de la prochaine saison, la Ligue 1 n'a toujours pas trouvé de diffuseur.
Avis de gros temps sur le football français. Le match des droits TV de la Ligue 1 vient d'entamer des prolongations à l'issue plus qu'incertaine. Alors que la prochaine saison de la Ligue 1 démarre dans à peine deux mois et demi, le week-end du 16 août, les clubs n'ont toujours pas trouvé de diffuseurs. Où regarder le prochain Clasico entre le PSG et l'OM ? L'affrontement entre Lille et Lens ? À ce stade, nulle part.
Après un appel d'offres infructueux en octobre 2023, la Ligue de football professionnel (LFP) s'était lancée dans des discussions de gré à gré avec les principaux acteurs du marché, espérant décrocher le milliard d'euros pour la commercialisation des droits TV du cycle 2024-2029, France et étranger cumulés. Aujourd'hui, elle se retrouve bien seule sur le terrain.
Qui veut dépenser des millions ? Plus grand monde. Selon Le Parisien, même beIN Sports, que l'on disait encore dans la course, aurait reculé. La LFP réclamerait 700 millions d'euros par saison pour les seuls droits domestiques, soit 3,5 milliards d'euros au total pour les cinq prochaines saisons. Dans la mesure où beIN Sports n'a aujourd'hui aucune garantie concernant le renouvellement et le montant d'un nouveau contrat de distribution avec Canal+, -l'accord actuel, d'environ 250 millions d'euros par an, court jusqu'en 2025 -, pas question d'être le dindon de la farce en se retrouvant à devoir assumer seul le sauvetage du football français.
Après avoir perdu beaucoup d'argent au lancement de la chaîne en France, beIN Sports est parvenu à stabiliser son modèle économique. Le groupe qatarien s'en tient à un plan d'affaires désormais rationnel, proportionné et rentable. Et il n'a aucunement l'intention de casser sa tirelire. « Le dernier chèque qu'il a signé pour diffuser une partie des matchs de Ligue 1 se chiffrait à 330 millions d'euros. C'est-à-dire la moitié des 700 millions d'euros dont on parle dans le processus actuel, rappelle un spécialiste des droits sportifs. Preuve que même ce montant était trop élevé pour être rentabilisé, la chaîne en a sous-licencié les droits à Canal+. Depuis près d'un an, tout le monde dit que beIN Sports est au centre de tout. Or beIN n'a même pas participé à l'appel d'offres initial. Il n'a pas davantage acheté les droits internationaux », fait remarquer un bon connaisseur du dossier.
Selon nos informations, la chaîne n'a jamais eu l'intention de se positionner sur l'intégralité de la compétition. « En février dernier, tout le monde a commencé à fantasmer lors de cette fameuse réception à l'Élysée en l'honneur de l'émir du Qatar, Tamim bin Hamad Al-Thani. Mais le sujet n'était pas le foot », sourit une source bien informée. Interrogé, beIN Sports n'a pas souhaité commenter. « Lors de cette soirée, il y a bien eu une pression amicale pour inciter la chaîne à se positionner », assure toutefois une autre source.
Certains acteurs du marché avancent que beIN n'a pas intérêt à voir le montant des droits TV s'effondrer : une partie de la somme va directement dans la poche du PSG, propriété, comme la chaîne, du Qatar. Mais cette manne est loin de constituer l'essentiel des revenus du club.
Pour la Ligue de football, les options sont minces. « Il peut toujours y avoir une décision politique. Dans ce cas, le Qatar investira en sachant que beIN Sports perdra de l'argent », explique un bon connaisseur du dossier. Faire revenir DAZN, qui a formulé une offre autour des 500 millions d'euros et qui reste motivé, après avoir balayé la proposition de la plateforme de streaming ? Pas évident. Quant à Amazon, qui avait opportunément récupéré 80 % des matchs du championnat moyennant la somme modique de 250 millions d'euros, il a abandonné la stratégie du volume. Le géant de l'e-commerce pourrait tout au plus récupérer un ou deux matchs événementiels. Faute de trouver un diffuseur, la LFP réfléchirait à lancer sa propre chaîne pour retransmettre les matchs de Ligue 1. Pour financer ce plan B, la ligue pourrait nouer des accords de distribution avec les opérateurs télécoms.
« La clé, en vrai, c'est Canal+. Depuis le début. Ce n'est ni Emmanuel Macron, ni l'émir du Qatar, ni beIN Sports, ni la création d'une chaîne », conclut un expert de l'audiovisuel. Mais ce n'est pas gagné. Début mai dans les colonnes du Figaro, Maxime Saada avait averti : « Canal+ ne rachètera pas la Ligue 1 à la casse. Cela ne serait bon pour personne : ni pour les clubs, ni pour la compétition. » Ni d'ailleurs pour la chaîne cryptée elle-même. La filiale de Vivendi a acquis l'intégralité des Coupes d'Europe de l'UEFA jusqu'en 2027, dont la prestigieuse Ligue des champions. Elle a donc besoin d'équipes locales performantes pour intéresser le public français.
BeIN a sans doute un coup à jouer. Mais pas sans avoir renégocié au préalable son accord de distribution avec Canal+... qui attend la fin du processus de vente des droits pour aviser. La filiale de Vivendi n'a pas l'intention de faire de cadeau à la Ligue, qui a privilégié Mediapro puis Amazon, lors des dernières négociations, au détriment du diffuseur historique du football... « À ce stade, personne ne gagne. Mais la Ligue, elle, est sûre de perdre », estime le spécialiste des droits sportifs. Elle doit en effet commencer à rembourser le fonds d'investissement CVC, actionnaire (13 %) de la nouvelle société commerciale de la LFP, dès la saison prochaine.
« La bulle de la LFP est en train d'exploser. On nous avait promis Apple et ses milliards, qui n'est jamais venu. Amazon a remporté des matchs à un prix sacrifié et se retire finalement, bien qu'il s'agisse de l'une des entreprises les plus riches de la planète. Puis on a sorti du chapeau beIN en expliquant que le Qatar allait acheter 100 % des droits », déplore l'expert de l'audiovisuel. Ce dernier a pour autant un coup à jouer. « Cette histoire va se finir dans le sang », craint un expert des médias.
Le Figaro