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Maxime Saada : « MultiChoice sera l'acquisition la plus ambitieuse de l'histoire de Canal+ »
Le Figaro
Le président du directoire détaille la stratégie de consolidation du groupe audiovisuel, qui entend dépasser d'ici 2027 les 60 millions d'abonnés dans le monde grâce à l'apport de l'opérateur sud-africain.
Pour la première fois de son histoire, le groupe Canal+ a franchi la barre des 6 milliards de revenus en 2023. Et son Ebitda dépasse à présent les 500 millions d'euros. Depuis l'arrivée il y a huit ans de Vincent Bolloré à la tête de Vivendi, sa maison mère, Canal+ a vu le nombre de ses abonnés progresser de 80 % pour atteindre aujourd'hui 26,4 millions de personnes dans plus de 50 pays. La profonde transformation opérée par Maxime Saada, le président du directoire du groupe audiovisuel français, est en train de porter ses fruits. Mais elle n'est pas achevée. Résolument tourné vers l'international, Canal+ s'est engagé dans une course à la taille et va continuer à se consolider dans les années à venir.
LE FIGARO. - Où en est l'acquisition de MultiChoice, le plus puissant acteur de la télévision payante en Afrique ?
MAXIME SAADA. - Canal+ détient à ce jour plus de 42 % du capital de MultiChoice. Nous avons obtenu l'appui du conseil d'administration et sommes désormais dans l'attente d'un vote formel de ses administrateurs indépendants d'ici fin mai. L'opération devra ensuite obtenir l'aval de l'antitrust. Nous nous efforçons d'avancer en nous attachant le soutien de toutes les parties prenantes : actionnaires, institutions, gouvernement sud-africain d'un côté, management et équipes de l'entreprise de l'autre. Nous sommes très volontaristes sur ce dossier, au regard du potentiel considérable que ce rapprochement représenterait.
Canal+ accélère sa mue pour devenir un géant mondialisé du divertissement ?
Il s'agit là de la prise de participation stratégique la plus ambitieuse de notre histoire qui, je l'espère, nous permettra de créer avec nos partenaires sud-africains un formidable ensemble, avec une base d'abonnés mondiale toute proche des 50 millions, dont 30 millions en Afrique, et de devenir le seul acteur non-américain dans le top mondial du secteur. Canal+ est désormais en situation de rivaliser avec les plus grands acteurs mondiaux du secteur. En Europe du Nord, nous sommes montés au capital de la plateforme Viaplay à hauteur de 30 %. En Asie, nous détenons aussi 30 % du capital de Viu, une plateforme de streaming qui compte 13 millions d'abonnés en Asie du Sud-Est. Et nous disposons d'une option pour en prendre le contrôle. Si tout se passe bien, fin 2026, début 2027, nous serons au-dessus des 60 millions d'abonnés. Nous avons un enjeu de taille critique. La consolidation de Canal+ va se poursuivre. Elle nous offrira la capacité d'investir encore davantage dans les contenus, puisque nous pourrons amortir nos investissements sur une base d'abonnés bien plus large. Nous dépensons déjà 3,5 milliards d'euros dans les contenus, quand TF1 et M6 dépensent 1,5 milliard d'euros à eux deux. MultiChoice investit de son côté 1,2 milliard d'euros. D'ici douze à dix-huit mois, nos investissements dans les contenus pourraient ainsi s'élever à près de 5 milliards d'euros.
StudioCanal va multiplier les projets cette année ?
À mesure qu'il se développe, notre groupe doit être en capacité de mieux s'autoalimenter. Nous détenons 26 sociétés de production dans le monde. L'an dernier, nous avons pris une participation minoritaire dans le studio américain The Pictures Company, qui produit notamment les films de Liam Neeson. Le prochain enjeu de Canal+ sera autour de StudioCanal, qui produit déjà une cinquantaine de films et autant de séries par an. Cette année, StudioCanal sortira son film français le plus ambitieux, L'Amour ouf de Gilles Lellouche et sa production internationale la plus ambitieuse, Paddington 3 . Nous créons également un nouveau label, StudioCanal Stories, inspiré par le rapprochement de Vivendi et du groupe Lagardère, qui intègre Hachette Livre, troisième éditeur mondial. Son premier projet sera l'adaptation de la franchise de bande dessinée Astérix , personnage français le plus populaire à travers le monde, dont StudioCanal développera le prochain film en live action.
Certains craignent une mainmise sur tous les droits d'adaptation chez Hachette...
Hachette sort 15 000 livres par an ! Que l'on réfléchisse à mieux travailler ensemble, évidemment. Mais nous allons chercher les meilleures oeuvres là où elles sont, et très souvent à l'extérieur du groupe. Pour preuve, la série à succès D'argent et de sang est tirée d'un livre qui n'est pas édité chez Hachette. Il est de surcroît écrit par le journaliste de Mediapart, Fabrice Arfi, dont on ne peut pas dire qu'il est un fervent admirateur de Vivendi...
Vivendi poursuit l'étude d'une éventuelle scission du groupe. Le projet d'introduction en Bourse du groupe Canal+ avance-t-il ?
L'étude se poursuit. La nouvelle entité regrouperait notamment Canal+, Dailymotion et GVA, opérateur télécoms spécialisé dans la fourniture d'accès internet à très haut débit en Afrique. L'opération pourrait intervenir entre le premier et le second trimestre 2025. Si elle aboutit, notre groupe sera probablement double coté, à Johannesburg en Afrique du Sud, et en Europe.
Après des années de pertes, Canal+ est-elle profitable en France ?
Il est vrai que la profitabilité du groupe Canal+ est tirée depuis des années par nos activités à l'international, mais nos équipes ont largement redressé nos activités françaises et celles-ci sont désormais proches de l'équilibre. En 2023, nous avons enregistré une huitième année de croissance consécutive. Et nous totalisons 10,6 millions d'abonnés. Nous avons conquis plus de 500 000 abonnés de moins de 26 ans et rajeuni notre audience. Nous sommes convaincus qu'il existe encore un potentiel de croissance en France. Pour l'adresser, nous lancerons d'ailleurs une nouvelle offre avant l'été.
Distribuer Warner et Amazon vous aiderait à consolider votre position de super-agrégateur. Où en sont les négociations ?
Cette stratégie de super-agrégateur opérée sur de nombreux territoires a changé la perception de Canal+ et accéléré notre croissance. À cet égard, l'intégration d'Apple TV+ à Canal+ a été particulièrement appréciée par nos abonnés. Nous sommes très avancés avec Warner. Quant à Amazon, ils se passent de nous et nous nous passons d'eux. Nous serions néanmoins très favorables à l'idée de les distribuer, comme les autres plateformes. Nous regardons également la possibilité d'intégrer d'autres offres de streaming, plus ciblées. En France et à l'international, nous allons continuer à agréger des offres, sur un modèle hybride et convergeant, mixant gratuit et payant. Nous voulons avoir un pied sur ces deux marchés. Cette stratégie pourrait aboutir potentiellement à l'intégration de Dailymotion avec Canal+.
La vente des droits TV de la Ligue 1 de football pour la période 2024-2029 est toujours en cours. Des rumeurs indiquent que vous pourriez revenir dans le jeu. C'est le cas ?
Sur la Ligue 1, à chaque jour sa rumeur. Une chose est certaine, celle-ci est totalement erronée. Nous n'avons pas participé à l'appel d'offres. Nous ne participons pas aux discussions de gré à gré. Nous n'avons pas d'accord avec DAZN ou beIN sur la suite. Lorsque le processus de vente des droits de la ligue sera finalisé, nous aviserons.
Si la Ligue 1 ne trouve pas preneur, Canal+ viendra-t-il à la rescousse ?
En 2018, lorsque le championnat de foot a été attribué à Mediapro, nous avons engagé une stratégie de diversification de nos contenus, afin de ne plus nous retrouver dans une situation de dépendance. Nous avons regagné un certain nombre de droits, comme la Premier League anglaise et la Champions League. Nous avons investi dans le MotoGP, renouvelé la Formule 1, le golf et signé une nouvelle fois le Top 14. La réalité, c'est que Canal+ a réinvesti les ressources historiquement disponibles pour la Ligue 1 dans d'autres droits et d'autres accords avec des plateformes comme Netflix, Disney+ ou Apple TV+. Il n'est pas question de racheter la Ligue 1 à la casse. Cela ne serait bon ni pour la compétition ni pour les clubs. Je veux être très clair sur ce point : Canal+ ne sera pas le fossoyeur du football français.
Le rugby a lancé son appel d'offres pour les droits 2027-2031 du Top 14. Canal+, le diffuseur historique, est-il sur les rangs ?
Canal+ et le rugby français ont noué une relation de confiance, qui s'inscrit dans la durée. Nous sommes candidat et comme pour les autres à l'appel d'offres, rien n'est jamais gagné d'avance.
Début 2023, vous avez proposé au cinéma français un accord de 1 milliard d'euros sur cinq ans. Où en êtes-vous ?
Je regrette le peu d'avancées. Je persiste malgré tout à penser que notre offre est une chance pour le cinéma français et qu'un accord est possible. Nous sommes les seuls à investir autant dans la filière, plus que tous les autres réunis. Les plateformes de vidéo à la demande, désormais soumises à des obligations d'investissement dans la création française, ont toutes adopté un régime qui flèche leurs dépenses à 80 % dans les séries et à 20 % seulement dans le cinéma. Permettez-moi de faire un parallèle avec le football. Amazon semble se détourner de la Ligue 1, car c'est un produit accessoire à ses yeux. Cela devrait servir d'indication au cinéma français. Avec tout le respect que j'ai pour lui, le cinéma français constitue, au même titre que la Ligue 1, un produit accessoire pour les géants américains et même pour certains acteurs français. Il ne faut pas se leurrer sur la capacité des films hexagonaux à séduire de larges audiences internationales, à l'égal du cinéma américain ou même coréen. Si nous ne parvenons pas à renouveler nos accords avec le cinéma français, Canal+ s'adaptera, comme il l'a toujours fait.
Une députée écologiste veut interdire C8 et CNews. Êtes-vous inquiet à l'idée de perdre leurs fréquences ?
Nous allons présenter les meilleurs dossiers possibles au régulateur de l'audiovisuel. C8 est leader des chaînes de la TNT et CNews se classe deuxième, voire certains jours première, des chaînes d'info. Ces deux antennes sont proches de l'équilibre, CNews est même rentable depuis quelques semaines. Certains veulent les interdire, mais manifestement, les Français adhèrent à ces deux chaînes.
Que vous inspire le rachat, par le milliardaire Rodolphe Saadé, de BFMTV, leader des chaînes d'info face à CNews ?
Je me réjouis toujours lorsque des acteurs français prospèrent. CNews a vu son audience progresser régulièrement et fait désormais jeu égal avec BFMTV. Cela dit, le changement probable d'actionnariat de BFMTV ne nous concerne pas. De notre côté, nous avons la chance d'avoir un actionnaire de référence de plus de 200 ans, qui nous permet de viser le très long terme