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« Les fonds d'investissement sont les nouveaux nababs du football mondial »
Alors que la LFP devrait connaître ce mardi l'identité des candidats aux enchères pour les droits de diffusion à la télévision de la Ligue 1, Christophe Bouchet, ex-journaliste et ancien président de l'OM, révèle dans un livre les coulisses de l'arrivée d'un fonds d'investissement dans le foot français.
Lorsque la Ligue de Football professionnel (LFP), présidée par Vincent Labrune depuis 2020, a décidé de faire entrer un fonds d'investissement dans le football français, elle a reçu différentes propositions. Parmi les financiers d'une des équipes candidates s'était glissé... un profileur : il devait traquer les attitudes de Vincent Labrune, ses mimiques, ses réactions, afin de dresser son profil psychologique. Il en a conclu que son principal moteur est l'argent. De manière insatiable. « A ce point, c'est rare », a-t-il confié à Christophe Bouchet, auteur de « Main basse sur l'argent du foot français » publié récemment chez Robert Laffont.
C'est finalement un autre fonds, le luxembourgeois CVC Capital Partners, qui a décroché le pompon : en 2022, il est entré à hauteur de 13 % dans la société commerciale de la Ligue, en échange de 1,5 milliard d'euros en cash. Bénéficiaires collatéraux de l'opération : les intermédiaires (banques d'affaires, avocats...) ont touché 37,5 millions d'euros, dont un bonus de 3 millions d'euros pour Labrune. La LFP bénéficiant d'une délégation de service public, le politique a eu son mot à dire. Un tel bonus choque-t-il la ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castéra ? « Vous savez, moi, répond-elle à Bouchet, je viens de la finance. Il est usuel d'être récompensé par des gratifications lorsque de bons deals sont signés. »
« Bon deal » : c'est précisément ce que conteste Christophe Bouchet. « Il a la beauté du diable, écrit-il. Un hold-up où les braqués remettent avec le sourire aux braqueurs leurs bijoux de famille pour placer au mieux tout cet argent. » L'arrivée de CVC marque un changement de paradigme absolu. Les patrons des clubs de Ligue 1, qui ont voté comme un seul homme, ont-ils saisi l'enjeu ? Et les politiques, qui ont changé la loi en 2022 pour permettre l'arrivée de CVC ? L'auteur en doute. L'ex-ministre des Sports, Roxana Maracineanu, était fermement opposée à l'opération. Mais, providentiellement, elle a eu le Covid-19 le jour d'un vote fatidique. L'exigence de rentabilité ne pourra pas être sans conséquences sur l'organisation même du championnat, la clé de répartition des droits entre les clubs va creuser des écarts considérables, prédit l'auteur qui connaît comme personne le monde du foot.
Christophe Bouchet a eu plusieurs vies : dans la première, il était journaliste à France-Inter (l'une des voix du multiplex de foot), à l'Agence France-Presse puis au « Nouvel Observateur » (rebaptisé « l'Obs » en 2014). Dans la troisième, il deviendra homme politique, notamment comme maire (centriste) de Tours. Mais, dans l'intervalle, il a été coactionnaire et président de l'Olympique de Marseille (OM) - poste qu'occupera plus tard Vincent Labrune -, il a siégé à la LFP et travaillé dans les droits sportifs chez Sportfive puis Infront. Bref, il est du bâtiment, comme on dit. Ce qui confère beaucoup d'intérêt à son livre - où ses inimitiés affleurent -, car il connaît tous les présidents de club et beaucoup de petits secrets plus ou moins avouables de ce milieu.
« Des réveils douloureux, très douloureux »
Son livre paraît alors que la LFP doit connaître ce mardi 17 octobre les réponses à l'appel d'offres pour les droits de diffusion à la télévision du championnat de Ligue 1 sur la période 2024-2029. Selon Christophe Bouchet, ils sont chiffrés à 863 millions d'euros dans le business plan de la LFP. Sans compter les droits internationaux qui, jusqu'à présent, étaient vendus pour des nèfles (l'instance table désormais sur 200 millions d'euros). Mais le business plan sera-t-il respecté ? Le groupe Canal+, partenaire historique du championnat de foot français, s'est retiré de l'affrontement. La plate-forme mondiale de streaming DAZN, une sorte de « Netflix du sport » créé outre-Manche, s'est déclarée candidate dans « l'Equipe ».
Que feront Amazon, qui est actuellement le principal détenteur des droits par le biais de sa filiale Prime Video, et la chaîne qatarie BeIN Sports, qui a occupé ce rôle pendant une partie des années 2010 ? Les précédents appels d'offres montrent qu'il peut y avoir des rebondissements. La dernière fois, Mediapro (la description, dans le livre, de l'arrivée de l'outsider que personne n'avait vu venir au tournant des années 2020 est savoureuse) puis - dans un second temps, après la défaillance du diffuseur espagnol - Amazon avaient créé la surprise. Il y a vingt ans, les droits des championnats français et anglais étaient équivalents. Depuis, ceux de l'Hexagone ont sérieusement décroché.
Fallait-il ouvrir la porte à un fonds ? « Après les Russes, les Qataris et les Chinois, les fonds sont les nouveaux nababs du football mondial », analyse Christophe Bouchet. Le Real Madrid et le FC Barcelone ont refusé cette solution, les clubs allemands de la Bundesliga aussi, notamment sous la pression des supporters. A Dortmund, par exemple, ceux-ci avaient déployé une banderole impressionnante : « Nein zu Investoren in der DFL » (« Non aux investisseurs dans la Ligue »).
Au Corail, café populaire de Belfort : « Si demain le FC Sochaux n'existe plus, ici il n'y aura plus rien » Sur la forme de ce contrat, il y a un loup : théoriquement, un fonds entre dans une entreprise pour une période déterminée. Dans l'accord avec les instances françaises, c'est... ad vitam, révèle Bouchet. Soit, juridiquement, « quatre-vingt-dix-neuf ans », selon l'avocat de la LFP. « Comment les pouvoirs publics ont-ils pu laisser passer une telle aberration ? », s'interroge l'auteur qui détaille le mécanisme financier : « Jusqu'en 2032, CVC se remboursera du 1,5 milliard payé aux clubs. Après 2032, CVC percevra chaque année plus de 200 millions d'euros sans forcer son talent. Un distributeur automatique de pognon. » « Les clubs, estime une de ses sources, n'ont pas très bien compris l'ensemble du système. Il va y avoir des réveils douloureux, très douloureux ».
Main basse sur l'argent du foot français, de Christophe Bouchet (Robert Laffont, 384 pages, 21 euros).
Le Nouvel Observateur