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LFP-CANAL+
Des relations sous haute tension
Alors que l’appel d’offres des droits de la L1 est lancé aujourd’hui, la chaîne cryptée n’a toujours pas digéré l’accord signé entre la Ligue et Amazon en juin 2021 pour racheter à prix cassé les droits abandonnés par Mediapro. ÉTIENNE MOATTI et SACHA NOKOVITCH
Canal+ participera-t-il à l’appel d’offres des droits de diffusion de la Ligue 1 ? Avant même son lancement aujourd’hui pour la période 2024-2029, la question est sur toutes les lèvres depuis plus de deux ans. Exactement depuis le 11 juin 2021, lorsque la Ligue a signé un accord avec Amazon pour la reprise des droits abandonnés par Mediapro, soit 80 % des matches de Ligue 1, contre 250 M€ par saison. Dans le même temps, Canal+ devait continuer à régler 332 M€ pour les 20 % restants, sur la base d’un accord de sous-licence signé avec beIN Sports en décembre 2019.
Après s’être sentie une première fois trahie en 2018 lors de l’attribution à Mediapro, le coup est rude pour la chaîne cryptée et son président Maxime Saada. Ce dernier a en effet cette fois formulé une offre commune avec beIN (incluant une part variable), proche du montant global validé par la LFP... À l’annonce du choix d’Amazon, piquée, Canal+ annonce dans un communiqué lapidaire « se retirer de la Ligue 1 ». « Un coup de sang… mais qui reflète un état d’esprit, reconnaît Saada dans un podcast mis en ligne prochainement sur L’Équipe Explore retraçant l’histoire du foot et de la télé payante. On souhaite alors faire savoir qu’on ne peut pas continuer à investir dans un Championnat, dans une relation avec des clubs et une Ligue qui vous déconsidèrent à chaque opportunité. »
Un divorce consommé
Le choix de la LFP n’est pas anodin. Son président, Vincent Labrune, a un plan en tête. Faire en sorte que Canal+ ne soit plus l’interlocuteur prioritaire. L’idée est de montrer les muscles en durcissant les rapports avec la chaîne cryptée et de s’ouvrir aux acteurs étrangers. Furieux, le groupe Canal+ multiplie les procédures pour « iniquité » de prix... Aucune n’aboutit, l’obligeant à poursuivre le règlement des échéances et la diffusion.
Mais cette dernière est dégradée depuis l’été 2021 : les deux matches de L1 sont programmés sur des chaînes moins exposées, au profit notamment du « fidèle » Top 14. Dans le même temps, Saada poursuit sa politique d’agrégation avec Paramount, Apple TV+ et récemment DAZN, prolonge la Premier League, la F1, la moto et surtout s’offre toutes les Coupes d’Europe, dont la nouvelle Ligue des champions pour la période 2024-2027.
La démarche est claire : tout faire pour devenir le moins dépendant possible de la Ligue 1... et donc de la LFP. Pendant ce temps, la Ligue signe, elle, avec le fonds d’investissement CVC un deal à 1,5 Md€ contre 13 % de la société commerciale LFP Médias, dont Vincent Labrune prend également la présidence. Avec en tête le prochain appel d’offres... et beaucoup moins Canal+.
“Rends-moi l’argent et j’arrête de bouder
Maxime Saada répondant à un message de Vincent Labrune
La première fois que Saada et Labrune se revoient, c’est en décembre dernier à Doha, au Qatar, en pleine Coupe du monde. Ironie du sort, lors d’un transfert en voiture, tous deux se retrouvent ensemble au côté... d’un représentant de Mediapro. Après cette reprise de contact courtoise, Labrune envoie un texto à Saada : « Le jour où t’arrêteras de bouder, dînons ensemble. » Réponse de l’intéressé : « Rends-moi l’argent et j’arrête de bouder. » Le dîner n’aura pas lieu...
Quelques semaines plus tard, les deux hommes se croisent furtivement à la remise de Légion d’honneur de Jean-Claude Darmon, l’ex-argentier du foot français. Fin janvier, le hasard les réunit encore. Labrune déjeune dans un restaurant italien à Paris avec Joseph Oughourlian, le président du RC Lens. Saada entre en compagnie de Pierre-Antoine Capton, célèbre producteur, président de Caen (L2) et grand ami du boss de la LFP. Il s’approche des deux hommes attablés et lance dans un sourire : « À cette table, il y a un ami, je vous laisse deviner lequel. » À la fin du repas, en voyant Labrune quitter l’établissement, il le chambre une seconde fois : « Tu me laisses la note, comme d’habitude ? » Une allusion à peine voilée aux fameux 332 M€...
Les deux hommes se ressemblent : stratèges, malins, chambreurs. Ils seraient volontiers copains dans la vie s’il n’y avait cette histoire de gros sous... et de tels enjeux. Outre les blagues et les clins d’œil, aucune discussion sérieuse n’est amorcée sur l’appel d’offres à venir.
Le 6 juin, Labrune annonce publiquement dans L’Équipe, pour l’ensemble de ses droits (nationaux et internationaux), « viser aux alentours du milliard d’euros » (contre un peu plus de 740 M€ par saison aujourd’hui pour la L1, la L2 et les droits internationaux). Un brin provocateur, il espère une réaction de Saada.
Elle interviendra dans nos colonnes, le 30 juin : « Plus rien ne me surprend avec la LFP et certainement pas cette obsession du milliard qui a conduit au désastre Mediapro, avec des comparaisons fantaisistes avec ce qui a pu être atteint dans d’autres territoires. Donc le montant en tant que tel ne m’a pas nécessairement surpris... Ce qui m’a vraiment surpris, c’est que Vincent Labrune l’annonce et qu’il déclare dans le même temps que Canal+ ne participera pas. C’est quand même une première ! Quand on combine ces deux informations, c’est à se demander s’il n’y aurait pas déjà un accord avec un diffuseur ou une plateforme. Voilà ce qui m’est venu en tête en lisant cette déclaration (…) Il a pris contact avec moi pour me proposer des rencontres informelles, ce que je ne souhaite plus faire. J’ai vu où elles m’avaient mené… À un accord totalement déséquilibré pour Canal+. Mais on a eu un premier rendez-vous formel avec la LFP. » Quelques jours avant cette interview... ce que nous a confirmé Labrune.
Récemment, juste avant le lancement de la saison, les deux hommes ont aussi échangé par téléphone. Pour les droits de la L1... du contrat en cours. Après s’être accordé avec la plateforme DAZN pour codiffuser les deux matches sous-licenciés par beIN, afin d’alléger sa facture, Canal+ se voit refuser cette « sous-licence de sous-licence » par la Ligue, non autorisée sans son consentement. Par courrier comme par téléphone, Labrune ne cède pas, restant fidèle à son plan.
Pour boucler malgré tout son alliance, Canal+ trouve une parade et lance une chaîne numérique Canal+ Ligue 1, reprise par DAZN. Un accord commercial découvert le jour même de l’officialisation par la Ligue. « Canal+ a toujours été un partenaire important, assure Labrune aujourd’hui. Ils ont jusqu’au 17 octobre pour analyser notre appel d’offres et décider d’y participer. » C’est à cette date que Canal et la LFP devraient se retrouver… ou pas.