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Jaume Roures « 25 euros par mois, ce n’est pas cher »
Après avoir raflé la majorité des droits télé de la Ligue 1 pour 2020-2024, le président de Mediapro assure qu’il va bien créer sa propre chaîne de foot. Avec un abonnement dont il évalue déjà le montant. ÉTIENNE MOATTI ET SACHA NOKOVITCH
En arrivant à Paris hier matin, Jaume Roures a parcouru la presse française afin d’évaluer l’impact médiatique du coup réalisé deux jours plus tôt avec l’appel d’offres sur les droits télé de la Ligue 1. De 2020 à 2024, pour 780 millions d’euros annuels, Mediapro, sa société, bénéficiera de huit des dix matches par journée de Championnat, qu’elle proposera sur une chaîne dédiée. Celle-ci ne porte pas encore de nom mais ce dernier sera « associé au foot français ». Pour le reste, le nouvel homme fort du PAF sportif explique sa stratégie dans un entretien qu’il nous a accordé, après sa conférence de presse à l’hôtel Bristol, à Paris.
« Vous allez devoir rencontrer le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) pour la création de votre chaîne 100 % foot. Êtes-vous certain d’obtenir une autorisation ? Avec le CSA, il s’agit surtout d’une procédure. C’est assez simple. On ne demande pas une fréquence puisque nous serons distribués via les opérateurs.
Quel est réellement votre projet ? Créer une chaîne de grande qualité, avec le plus de football français et surtout le plus de football européen possible. Il est important qu’elle soit distribuée par le plus grand nombre d’opérateurs afin de lui assurer de nombreux abonnés.
Un appel d’offres sur les droits de la Ligue 2 va être lancé d’ici la fin de l’année. Serez-vous candidat ? Nous sommes intéressés par la Ligue 2… Mais nous ne savons pas quelle concurrence nous aurons à affronter. Le foot féminin nous plaît aussi. Nous avons aidé à le développer en Espagne, et nous savons qu’en France il s’agit aussi d’un Championnat important.
En Espagne, beIN Sports est votre partenaire. Pour vous développer, il vous faudra peut-être entrer en compétition avec ce diffuseur concernant les grands Championnats européens dont il a les droits. Cela vous pose-t-il un problème ? Pourquoi cela m’en poserait-il ? Nous, on travaille avec tout le monde. On est associés avec eux sur le foot en Espagne. Mais on l’est aussi avec Canal + pour la production, par exemple, de la série The Young Pope.
Sur l’appel d’offres de la Ligue 1, vous avez répondu à cinq des sept lots proposés. Le seul pour lequel vous n’avez pas formulé d’offre est le troisième, attribué à beIN Sports. Est-ce un hasard ? Ce n’est pas la question. On avait un budget, on a misé sur les lots qui pouvaient nous permettre d’avoir presque tout le foot sans dépenser plus d’un milliard (Mediapro va payer 780 millions d’euros par an entre 2020 et 2024). D’ailleurs, beIN est allé sur le lot 4, comme Canal + et comme nous. Chacun a cherché son chemin.
Le fait que votre place soit menacée en Italie (1) vous a-t-il permis de miser plus fort sur la Ligue 1 ? Non. On a travaillé sur le budget que l’on avait depuis le début. Cela n’a rien à voir.
Vous annoncez un prix d’abonnement mensuel à 25 euros en France… (Il coupe.) C’est une référence, c’est de la mathématique simple (2). Si on divise le prix que l’on a payé par 3,5 millions d’abonnés, on obtient ce prix. La seule chose que je veux affirmer, c’est que nous ne vendrons pas un abonnement à 50 ou à 100 euros. Ce n’est pas nécessaire.
“Avec 15 millions d’euros, on peut créer une très bonne chaîne. On a pour ambition de proposer une belle production, avec de bons commentateurs et de bons programmes
Depuis votre annonce, les téléspectateurs français estiment que ce prix est trop élevé… On peut avoir toutes les opinions possible, mais on peut regarder les prix des abonnements pour le foot en France ou ailleurs et comprendre que 25 euros, ce n’est pas cher. Mais s’il y a beaucoup de monde qui s’abonne, le tarif diminuera.
Sur quoi vous basez-vous pour espérer attirer 3,5 millions d’abonnés ? Ce sont les abonnés que beIN et Canal attirent avec le football. Nous, on estime que ce sont 1,8 million chez l’un et 1,8 million chez l’autre.
Avez-vous entamé des discussions avec les opérateurs pour distribuer votre future chaîne ? Non, pas encore, mais tout est possible. On pourrait par exemple voir avec SFR les possibilités pour la Ligue des champions, cela pourrait être une combinaison comme une autre. (SFR Sport a les droits de la Ligue des champions et de la Ligue Europa à partir de la saison prochaine pour un montant de 350 millions d’euros par an).
À quelle hauteur situez-vous vos investissements pour la création de votre chaîne ? Nous avons des moyens techniques de captation basés en France. Avec 15 millions d’euros, on peut créer une très bonne chaîne. On a pour ambition de proposer une belle production, avec de bons commentateurs et de bons programmes.
Si vous avez des discussions avec des opérateurs comme Canal +, porteront-elles uniquement sur la distribution ou aborderez-vous aussi la revente de matches ? Ce sera sur la distribution… Et je crois qu’il sera difficile de ne pas parvenir à un accord. Notre objectif n’est pas de céder des matches. On n’est pas venus pour acheter à 10, revendre à 12 et rentrer à la maison.
“La Ligue française a inventé un mécanisme un peu démoniaque. La seule chose que j’avais en tête, c’est que si je perdais le lot 1, j’arrêtais. Si on n’a pas le meilleur match, on ne peut pas proposer une chaîne sérieuse
Mais Canal + est aussi éditeur. Et sa chaîne n’aura peut-être plus de raison d’être avec la perte de la Ligue 1… Ce n’est pas quelque chose de terrible. C’est substituer une chose par une autre. Si on peut travailler ensemble pour créer une chaîne atomique de haut niveau, c’est bien. Nous allons discuter dans ce sens.
Aujourd’hui, vous avez les cartes en main…
Ce n’est pas du black-jack. (Sourire.) C’est une négociation normale, traditionnelle, tranquille.
Il y a eu des interrogations sur la garantie financière que vous pouviez apporter au Championnat d’Italie. Laquelle avez-vous apportée à la LFP ? Pour le foot français, on a apporté la garantie que l’appel d’offres établissait, de la même façon qu’on fonctionne avec la Liga ou l’UEFA. Nos amis italiens nous demandent des garanties (1 milliard d’euros) que je ne pense pas raisonnables, mais on travaille pour les avoir et on a jusqu’au 7 juin pour les apporter.
Vu les montants proposés par votre société, étiez-vous confiants lundi pour les droits de la Ligue 1 ?
C’était un appel d’offres compliqué. Habituellement, c’est une enchère classique, on dépose une enveloppe et on attend de voir si on l’emporte. La Ligue française a inventé un mécanisme un peu démoniaque. La seule chose que j’avais en tête, c’est que si je perdais le lot 1, j’arrêtais. Si on n’a pas le meilleur match, on ne peut pas proposer une chaîne sérieuse.
Quel est votre objectif pour 2024 ? C’est d’être à la retraite. (sourire.) À part ça, pour Mediapro, j’espère avoir convaincu tous les partenaires que notre projet était le meilleur.
Qu’est-ce qui vous pousserait à quitter la Ligue 1 ? Pourquoi partirait-on ? On est voisins, en plus. On est déjà ici et bientôt on le sera avec un peu plus de force. On espère développer plein d’autres projets. »
(1) En février, M ediapro avait acquis les droits de la Serie A, sur la période 2018-2021, pour 1,05 milliard d’euros. Mais depuis, un tribunal de Milan a statué que le contrat plaçait « Mediapro dans une position de monopole, en inhibant la liberté des autres opérateurs et en les forçant à payer davantage ». Résultat, les clubs italiens ont dénoncé l’accord et exigé le dépôt d’une garantie d’un milliard d’euros de la part du groupe espagnol. (2) Les prix actuels sont pour Canal + : 19,90 € / mois pour deux des trois affiches de chaque journée (la troisième est diffusée sur Canal + Sport) ; beIN Sports : 15 €/mois pour sept matches de chaque journée ;
Pack sport de Canal + : 34,90 € par mois pour tous les matches de L 1 (Canal + beIN Sports).
L'Equipe