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Mediapro veut faire " grandir " le foot en France
Le groupe espagnol espère lancer une chaîne et conquérir 3,5 millions d'abonnés à 25 euros par mois
Nous sommes là pour faire grandir le foot en France, a d'emblée lancé, jeudi 31 mai, Jaume Roures, l'emblématique -président catalan de Mediapro, le groupe inconnu qui vient de rafler les droits de la Ligue 1. Il n'y a aucune raison que le football français soit le dernier en Europe et n'atteigne pas les niveaux de l'Espagne ou l'Italie, en fréquentation ou en poids économique. "
Devant un parterre de journalistes très curieux – voire sceptiques – le groupe audiovisuel venu d'Espagne a déroulé une stratégie claire : alors que tous anticipaient que Mediapro souhaite revendre certains des lots de matches de championnat qu'il a acquis, M. Roures a assuré que ce n'était pas son intention, sans pour autant l'exclure totalement. " Notre but, comme en Espagne, c'est de créer nous-mêmes une chaîne 100 % foot et de la faire distribuer par tous les opérateurs possibles ", a expliqué le dirigeant, citant Orange, Altice ou le rival Canal+. Et, pourquoi pas les grandes plateformes numériques comme Google, Facebook ou Amazon, qui s'intéressent de plus en plus au sport.
Le point le plus délicat de la démonstration est la rentabilité du modèle : M. Roures a présenté son calcul. " Si on divise 800 millions d'euros, le prix que nous avons payé, par 3 à 3,5 millions, le nombre de fans de football en France, on obtient un prix de 25 euros par mois, environ. " Mediapro a ensuite projeté de pouvoir faire grandir la base de fans à 5 millions, par exemple, ce qui ferait mécaniquement baisser le prix de l'abonnement (à 16 euros/mois). Mais il a insisté : " 25 euros par mois, ce n'est pas cher. "
Cette hypothèse d'un abonnement à 25 euros suscite de l'incrédulité car elle est décalée par rapport au marché français : BeinSports coûte 15 euros par mois, pour une bonne part de la Ligue 1, plus la Ligue des champions, les championnats espagnol, allemand et italien, et d'autres sports… Or la chaîne qatarie n'a conquis " que " 3,5 millions d'abonnés depuis 2012 et encore elle a bénéficié de l'effet Coupe du monde 2014. Dix à quinze euros/mois, c'est aussi le prix du service de VOD par abonnement Netflix, que M. Roures considère comme un concurrent dans le " divertissement ". Et Canal+ propose désormais une offre de base à 19,90 euros/mois, pour sa chaîne historique combinant les plus belles affiches de la Ligue 1, du rugby, de la boxe, de la Formule 1, ainsi que des films récents et des séries.
Une méthode éprouvéeMais M. Roure affiche sa confiance et promet d'entraîner tout le secteur, des opérateurs aux clubs. En Espagne, sa chaîne est vendue entre 16 et 25 euros par Telefonica, Orange, Vodafone, a-t-il exposé. Et Mediapro y est passé de 1,8 à 4,6 millions d'abonnés en huit ans. Il n'y a pas de " raison structurelle " que la France, plus riche, ne donne pas les mêmes résultats, a-t-il argué.
Implicitement, Mediapro a donné des leçons aux acteurs français. Tout en restant diplomate, notamment vis-à-vis de Canal+, qui le dépeint en courtier de droits détenu par un fonds chinois et déraisonnable économiquement. " Canal+ a été notre modèle depuis le début des années 80 ", a dit M. Roure, assénant : " la Ligue 1 a une valeur plus élevée que ce que les opérateurs en tirent actuellement. Un travail n'a pas été fait. "
Le producteur a vanté sa méthode éprouvée en Espagne : outre une réalisation soignée des matches avec des " spidercams " et autres ralentis " 360 degrés ", utilisés lors du Clasico entre le Real Madrid et le FC Barcelone, il a évoqué l'adaptation des horaires des matches, les week-ends, en accord avec la Ligue, mais aussi la disponibilité des joueurs et entraîneurs pour des interviews les soirs de matches et toute la semaine, ainsi que des événements et happenings…
Pour se crédibiliser, l'original patron, favorable à l'autodétermination de la Catalogne, a glissé dans sa conférence de presse – en Français – des noms connus, de Woody Allen, dont il a produit un film, en passant par son " ami " Pep Guardiola, célèbre catalan parti entraîner à Manchester, en passant par Pierre Lescure, patron du festival de Cannes ou… Arnaud de Puyfontaine, le président du directoire de la maison mère de Canal+, Vivendi, croisé la veille.
Mediapro a aussi assuré ne pas avoir " perdu " les droits du championnat de football italien, malgré l'annulation récente d'une partie de l'appel d'offres qu'il a remporté. Et il a promis d'essayer d'acheter pour la France d'autres droits : ceux de la Ligue 2, mais aussi du football féminin ou des équipes cadettes, ainsi que d'autres championnats européens. M. Roure n'a pas non plus exclu la " possibilité " de discuter avec SFR-Altice, détenteur des droits de la Ligue des champions notamment. D'ici au début de la diffusion par Mediapro, en 2020, s'ouvre une longue période de négociations avec les acteurs en place. De ce poker dépendra la réussite du pari de Mediapro. Et l'avenir du secteur.
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