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LE JACKPOT SANSCANAL +
Les droits de la Ligue 1 atteindront la somme record de 1,153 milliard d’euros annuels à partir de 2020. Présente depuis 1984, la chaîne cryptée est exclue du jeu. ÉTIENNE MOATTI
Trop sûr de lui, le diffuseur historique n’a pas vu le coup venir. Après trente-quatre ans de diffusion de la Division 1, puis de la Ligue 1, Canal + sort bredouille de l’appel d’offres sur les droits du Championnat de France d’élite pour la période 2020-2024. À l’issue d’une consultation diabolique mise au point par la Ligue et le cabinet d’avocats Clifford Chance, c’est le groupe espagnol Médiapro (voir par ailleurs), beIN Sports et Free qui s’adjugent l’essentiel du gâteau pour 1,153 milliard d’euros par an. Dans le détail, Mediapro va régler 780 millions d’euros, beIN Sports 320 millions et Free une somme proche de 50 millions d’euros. Ce montant record dépasse toutes les espérances et couronne la stratégie de la LFP, que ce soit en termes de timing (remettre sur le marché les droits deux ans avant le terme des contrats) ou de procédure. À l’arrivée, les recettes télévisées de la L 1 vont augmenter de 60 % par rapport aux montants actuels (726,5 millions d’euros par an, dont 540 millions payés par Canal + et 186,5 millions réglés par beIN Sports), hissant le Championnat français sur le podium européen des mieux rémunérés. Une réussite totale et inattendue.
Dans le jeu de poker menteur que constitue un appel d’offres, le groupe Canal + a voulu jouer au plus malin, mais s’est piégé tout seul. Sur le premier lot, il a fait une offre de 260 millions d’euros, mais s’est incliné face à un adversaire (Mediapro) qu’il n’avait pas vu venir et qui a proposé 330 millions. Première catastrophe, avant une avalanche de mauvais choix qui vont précipiter la perte de Canal +. Sur le lot 2, les dirigeants de la chaîne cryptée décident de miser seulement 10 millions d’euros pour torpiller l’appel d’offres et faire en sorte que le prix de réserve global ne soit pas atteint. Mais cette tentative un peu désespérée échoue, ce lot tombant lui aussi dans l’escarcelle de Mediapro.
Stratégie perdante pour Canal +
La Ligue s’attend alors à ce que Canal + se réveille enfin et frappe un grand coup sur le lot 3. Pas du tout… Et rebelote avec une offre de 10 millions d’euros qui permet cette fois-ci à beIN Sports de le récupérer. Pour le lot 4 (des matches de moindre importance), Canal + finit par sortir de sa réserve et propose 170 millions d’euros, mais se fait encore doubler pour seulement 20 millions d'euros… Et finalement fait chou blanc et disparaît pour le moment du paysage. Radieuse, Nathalie Boy de la Tour, la présidente de la LFP, s’est réjouie de l’issue « d’une journée longue, riche en suspense et en émotion ». Mais c’est surtout Didier Quillot, le directeur général exécutif de l’institution, architecte de cet appel d’offres avec Mathieu Ficot, le directeur médias de la LFP, qui a pris la parole. Sans en rajouter. « On est extrêmement satisfaits. C’est une augmentation significative des revenus que va recevoir le football. Cela va permettre d’accélérer le cercle vertueux que nous avons commencé à créer depuis deux ans, avec l’amélioration de la qualité du spectacle, des affluences dans les stades, des audiences télé, et en faisant venir des investisseurs étrangers. On est aussi ravis d’avoir choisi le bon timing et Dieu sait si nous avons eu des débats sur le sujet (Noël Le Graët, le président de la FFF, et Jean-Michel Aulas, celui de l’OL, étaient au départ partisans d’attendre un peu avant de lancer la consultation). Nous avons beaucoup travaillé pour faire un appel d’offres que certains trouvaient compliqué, mais que nous jugions simplement sophistiqué. Nous avons dit depuis le début que si nous faisions les choses correctement, nous atteindrions des chiffres élevés. C’est ce qui s’est passé. Et avec Mediapro, nous avons une société très importante qui prévoit de faire une chaîne 100 % football, comme elle le fait en Espagne. »
L’arrivée de Mediapro pose quelques questions. Car l’opérateur espagnol n’est pas obligé de programmer, à partir de 2020, les huit matches acquis hier. Il a en effet le droit de sous-licencier certaines rencontres pour alléger sa facture. Et pourquoi pas les revendre à prix d’or à… Canal +, qui sera peut-être obligé de débourser cher pour sauver sa peau. Maxime Saada, le président du directoire de Canal +, seul aux commandes depuis peu et grand perdant du mécano d’hier, se raccroche à cet espoir (voir par ailleurs). Mediapro devra aussi obtenir l’accord du CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel) pour lancer sa chaîne. « Pour l’instant, Mediapro n’a engagé aucune discussion avec le CSA, reconnaît Mathieu Ficot. Mais son offre est irrévocable. Et si par extraordinaire, cette société n’avait pas l’accord du CSA, elle pourrait sous-licencier ses droits. » Didier Quillot ne veut pas envisager cette hypothèse. « Le football est le sport le plus populaire en France. Personne ne comprendrait que l’on prive les Français du spectacle de la Ligue 1. Nous avons lancé cet appel d’offres deux ans avant le terme des contrats actuels. Nous sommes très sereins. » La Ligue assure ne pas craindre, non plus, d’intervention politique qui chercherait à remettre en cause le résultat de l’appel d’offres afin de sauver le soldat Canal, l’un des bailleurs de fonds du cinéma français. « Nous avons conduit ce chantier avec beaucoup d’encadrements juridiques, assure Quillot. Nous n’avons aucune inquiétude. »
L'Equipe