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Vincent Labrune (président de la LFP) : « Il faudrait être fou pour refuser Amazon »
Vincent Labrune, le président de la LFP, défend l'attribution de 80 % de la L1 au géant du numérique. Et ne craint pas que le lot comprenant les deux matches de Canal+ soit remis en cause.
Vincent Labrune, président de la LFP. (A. Réau/L'Équipe)
Élu à la tête de la Ligue de football professionnel le 10 septembre, Vincent Labrune a dû immédiatement affronter une première tempête avec la défaillance de Mediapro, qui avait promis la lune (830 millions annuels entre 2020 et 2024) et a tout arrêté au bout de quelques semaines.
Après des mois de recherche d'une solution alternative, la LFP a finalement fait affaire avec Amazon, mastodonte du e-commerce. Un choix « d'avenir » parfaitement assumé. Mais cela a déclenché la fureur de Canal+, qui a annoncé son intention de « se retirer de la Ligue 1 ».
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« Après des mois d'incertitude, les droits du Championnat pour les trois prochaines saisons ont enfin été attribués en fin de semaine dernière. Êtes-vous soulagé ?
Pour la première fois depuis notre arrivée, on a eu un sujet positif. Avant, depuis la défaillance de Mediapro, on subissait en permanence les événements. Là, on avait deux bonnes propositions et c'était appréciable d'avoir les cartes en main avant de prendre une décision aussi importante pour l'avenir du football français.
Amazon devient le principal diffuseur de la L1. Comment l'avez-vous convaincu ?
Nous les avons contactés en janvier. Mon premier contact téléphonique a été avec Frédéric Duval, le président d'Amazon.fr dans le cadre de l'appel d'offres de février. Je lui ai parlé d'un projet de moyen et long terme, avec des perspectives d'évolutions fortes pour notre produit. Ils ont été assez sensibles à notre discours. Après février, on a maintenu le lien avec eux, comme avec les autres. On était en négociation de gré à gré prioritairement avec Canal + et beIN, qui étaient les acteurs principaux et les seuls à même, d'après nous, d'amener un montant satisfaisant. Il y a trois semaines, mon équipe a repris langue avec Amazon pour voir avec eux s'il n'y avait pas moyen d'anticiper leur venue. Notre objectif était qu'ils arrivent pour le cycle suivant. Mais on a su créer les conditions pour qu'ils s'engagent finalement plus tôt.
« Le football aujourd'hui, c'est la sidérurgie il y a quarante ans. On est exsangues financièrement, tout le monde le sait »
Qu'est-ce qui les a décidés à ne pas attendre trois ans ?
J'imagine qu'ils ont vu une opportunité de court terme liée à notre situation, au fait que les discussions avec Canal + ont plus que traîné en longueur. Ils se sont dit que le meilleur moyen de préparer la suite était de gagner du temps et de venir maintenant. Ils ont la volonté de faire de la France et de la Ligue 1 un modèle qu'ils pourraient développer ailleurs dans le futur. C'est une chance pour nous.
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La Ligue 1 va-t-elle être leur laboratoire ?
Il n'y a pas de connotation péjorative dans ce terme de laboratoire. Avec la L1, une Ligue malgré tout majeure en Europe, ils vont pouvoir expérimenter leur savoir-faire dans le monde du sport pour le futur.
Avec Amazon, ne craignez-vous pas une sous-exposition du Championnat ?
Canal + et beIN avaient objectivement un atout majeur : la visibilité de notre produit à court terme. Mais, à la LFP, notre job ce n'est pas de gérer le quotidien de façon minimaliste et conservatrice. Notre boulot c'est de préparer le futur à travers des réformes ambitieuses sur le moyen terme. Dans cette logique-là, Amazon est le choix de la raison. Il faut arrêter de dire qu'Amazon est invisible. De notre point de vue, c'est tout le contraire. On se projette sur 2025-2030. Amazon va remettre la Ligue 1 au centre de la vie quotidienne des Français. On semble oublier qu'Amazon est le carrefour du mode de consommation des fans qui ont moins de moyens. Amazon, ce n'est pas un acteur qui n'existe pas, ce n'est pas Téléfoot (la chaîne lancée et arrêtée très vite par Mediapro) qui part de zéro. C'est un outil qui est reçu par 10 millions de foyers en France, le double des foyers abonnés à Canal +.
On peut imaginer qu'Amazon est davantage solvable que Mediapro...
On peut plus que l'imaginer. J'en profite pour dire qu'Amazon était mieux-disant financièrement. Dans la situation où se trouvent les clubs, il était difficile d'expliquer que 60 millions garantis de plus par an, c'était moins bien que 78 millions hypothétiques, comme le proposait Canal +. Sur 600 millions d'euros de droits, ça fait quand même un écart de 10 %. Il faut comprendre le traumatisme vécu par les clubs avec l'affaire Mediapro. On passe d'un acteur qui n'était pas réputé pour sa solvabilité, c'est le moins que l'on puisse dire, à la deuxième plus grosse entreprise mondiale qui pèse plus de 1 600 milliards de capitalisation boursière. Amazon a vocation à devenir l'un des plus gros acteurs du marché des droits sportifs dans les vingt ans qui viennent. Et c'est accessoirement un partenaire que toutes les ligues du monde entier s'arrachent et rêvent d'avoir pour le futur. Il faudrait être fou pour refuser Amazon, laisser passer ce train, et prendre le risque qu'il ne revienne pas la prochaine fois.
Vincent Labrune et Maxime Saada, le patron de Canal +, en pleine discussion. (JB Autissier/Panoramic)
Qu'est-ce qui manquait à l'offre commune de Canal + et beIN Sports pour être retenue ?
60 millions ! On l'a dit depuis neuf mois : on est dans une situation financière dramatique. Le football aujourd'hui, c'est la sidérurgie il y a quarante ans. On est exsangues financièrement, tout le monde le sait. 60 millions d'euros d'écart, soit 180 millions sur trois ans, pour des clubs qui ne savent même pas comment ils vont finir l'exercice, c'est beaucoup d'argent.
« Canal + n'a pas laissé tomber le foot français, mais a peut-être été frileux dans la dernière ligne droite »
Les présidents de club ont peu apprécié l'attitude de Canal+, qui a donné le sentiment de profiter de la situation. Est-ce que Canal+ a trop traîné ?
On discute avec le groupe Canal+ depuis huit mois et on a essayé à maintes et maintes reprises d'accélérer un accord pour rassurer nos clubs, nos partenaires et nos banquiers. Les dirigeants de Canal+, pour des raisons qui leur sont propres, ont fait le choix d'attendre. Ils ne sont pas les seuls responsables. Ils ont aussi attendu que beIN se mette en action et la décision de l'Autorité de la concurrence. Ils ont tiré un peu sur la corde en termes de calendrier et ils ont pris un risque. Mais je n'ai pas le sentiment que les clubs étaient revanchards. Canal+ n'a pas laissé tomber le foot français, mais a peut-être été frileux dans la dernière ligne droite.
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Canal+ a annoncé son intention de se retirer de la L1. Quelle est votre réaction ?
Les déclarations d'intention, les menaces ou la politique-fiction, tout ça c'est très bien. Mais à un moment donné, il y a les faits et le monde réel. La réalité est très simple. On a un contrat avec beIN Sports (332 millions d'euros annuels et une sous-licence à Canal +) qui n'a pas manifesté, à date, sa volonté de le résilier. J'ajouterai à ce sujet, comme l'a rappelé le gouvernement, qu'un contrat est fait pour être respecté. Les dernières décisions de justice sont toutes en notre faveur. Et quand on est un acteur de télévision sportive payante, il est quand même difficile de soutenir que le fait de bénéficier des droits nationaux du football est contre-productif pour l'audience et les abonnements. Je n'ai pas envie de polémiquer avec quiconque et surtout pas avec Canal+, qui est un partenaire majeur et que j'apprécie particulièrement à titre personnel, mais je pense sincèrement que la stratégie systémique des contre-feux juridico-médiatiques a ses limites. Et qu'il serait plus sain et constructif que le bon sens et la raison l'emportent.
C'est quoi le bon sens et la raison ?
Canal+ a la chance d'avoir un lot qui reste très attractif avec 28 choix n°1 et la case du samedi soir, celle où le PSG est éligible de façon récurrente en raison de son parcours européen. Il s'agit d'une belle offre pour les abonnés de Canal +.
« Ça va être aux clubs et à la Ligue de se prendre en main pour réduire la voilure »
Le contrat n'a pas de chances d'être remis en cause ?
La justice nous a donné raison. Mais de façon plus métaphorique : si vous achetez un appartement et que deux ans après le marché de l'immobilier s'écroule, vous ne pouvez pas dire à celui qui vous l'a vendu que c'était trop cher... Il faut être sérieux. Donc, de notre point de vue, il n'y a pas de chance que ce contrat soit remis en cause.
Avec 663 millions d'euros annuels, le football français peut-il s'en sortir ?
Ça va être difficile. On n'était pas en position de force pour négocier depuis neuf mois. On a juste martelé un chiffre : 600 millions. En dessous de 600 millions de minimum garanti, Jean-Marc Mickeler, le président de la DNCG (Direction nationale du contrôle de gestion), l'a rappelé aussi souvent que moi, on était en très gros risque de dépôt de bilan généralisé. Aujourd'hui, le risque est toujours là, mais on a 663 millions. On a aussi les 75 millions de droits internationaux et ça va être aux clubs et à la Ligue de se prendre en main pour réduire la voilure.
Vous avez finalement obtenu le versement intégral par Mediapro de l'indemnité de 100 millions d'euros. Est-ce une bonne surprise ?
Cela reste décevant par rapport à ce qu'étaient les ambitions de la Ligue avec Mediapro... C'est une satisfaction que Jaume Roures (le président de Mediapro) respecte sa parole dans la dernière ligne droite. Mais je rappelle que l'on est le seul pays d'Europe à avoir vécu un triple tsunami. On a eu la crise sanitaire comme tout le monde, mais aussi l'arrêt des compétitions en 2019-2020 et la défaillance de Mediapro qui nous a mis dans une situation très compliquée.
« Il faut sacraliser la formation à la française. Il n'est pas normal que nos meilleurs talents quittent le pays à 17 ans »
Le passage à 18 clubs en L1, acté pour la saison 2023-2024, était-il vraiment indispensable ?
J'ai dit le lendemain de mon élection qu'il fallait profiter de la crise pour inventer le football français de demain. On n'a pas chômé. Nous avons fait une réforme statutaire, la fusion syndicale, la société commerciale, on a remplacé Mediapro par Amazon. Et effectivement, on est passé à 18 en L1. C'est fondamental pour mille raisons : permettre à nos clubs d'aborder les compétitions européennes dans les meilleures conditions, se mettre en harmonie avec les calendriers internationaux, avoir plus de matches attractifs... C'est le sens de l'histoire. Quand on vient nous dire : "Les Anglais jouent à 20 et ça ne les empêche pas de gagner", je réponds qu'ils ont des investisseurs qui ont mis des centaines et des centaines de millions d'euros depuis une quinzaine d'années dans leurs clubs. Ils ont des droits trois fois supérieurs aux autres. Si vous regardez nos concurrents européens, les Portugais sont à 18 et vont passer à 16, tous nos rivaux européens sont à 16 voire à 14.
Nos concurrents européens ne sont plus les quatre grands Championnats ?
J'adore l'idée du Big Five européen. Mais sportivement, on n'y est pas. Il y a un Big Four et les autres. Cela fait vingt-cinq ans que l'on n'a pas gagné une compétition européenne (la C2 remportée par le PSG en 1996). Et heureusement que depuis dix ans, nous avons le PSG et son président Nasser al-Khelaïfi qui a énormément aidé le football français et nous a porté à bout de bras sur la scène européenne. Sinon, je ne sais pas où on serait. Nos concurrents, aujourd'hui, ce ne sont pas les Anglais, les Italiens, les Espagnols et les Allemands, mais plutôt les Portugais, les Russes et les Ukrainiens. Il faut prendre conscience de la réalité ! Mais il n'y a pas de fatalité et j'espère bien que le champ de réformes que nous avons lancées nous permettra de retrouver la place qui est la nôtre.
Vous souhaitez aussi une réforme de l'arbitrage...
Le passage à 18 est la première brique d'une réforme plus globale qui vise à améliorer notre produit. Cela passera par un effort tout particulier sur la réalisation des matches, avec aussi des contenus "inside". Et comme il n'y a pas de sujet tabou, évidemment qu'il faut ouvrir un sujet sur l'arbitrage. Sous réserve d'accord de la FIFA, il faut une sonorisation des arbitres pour qu'il y ait moins d'ambiguïtés sur certaines décisions. Et il faut un dialogue social beaucoup plus fort pour des réformes essentielles, comme le contrat de cinq ans pour les jeunes joueurs. Il faut sacraliser la formation à la française. Il n'est pas normal que nos meilleurs talents quittent le pays à 17 ans. Il faut aussi une limitation du nombre de joueurs pros par effectif. Et enfin, réfléchir à la mise en place d'un salary cap global par rapport au budget des clubs. Toutes les pistes qui vont permettre d'avoir un Championnat plus attractif, on va les accélérer. »