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Comment la Ligue 1 a perdu la moitié de ses téléspectateurs
Jamal Henni Publié le 21/01/2021 à 9h04 Mis à jour le 21/01/2021 à 12h36
L’audience du championnat de France avait chuté bien avant que Telefoot n’en devienne diffuseur. Lors de la saison 2019-2020, l’audience moyenne des matches sur Canal Plus est tombée à 851.000 téléspectateurs, deux fois moins qu’en 2008/09.
EXCLU CAPITAL
Combien de téléspectateurs regardent la Ligue 1? La question est cruciale à l’heure où ses droits sont remis sur le marché, mais la réponse s’avère difficile à trouver. La Ligue de football professionnel (LFP), les chaînes diffusant les matchs (à commencer par Canal Plus), et l’institut de mesure Médiamétrie refusent tous de communiquer ces données. Toutefois, Capital est parvenu à obtenir les audiences de la dernière saison (cf graphe ci-dessous). On comprend alors pourquoi ces chiffres sont un des secrets les mieux gardés du foot français : ils ne sont pas bons du tout, quelque soit l’indicateur que l’on regarde. L’audience moyenne des matchs de Ligue 1 diffusés sur Canal Plus ? Elle est tombée à 851.000 téléspectateurs sur la saison 2019/2020, soit deux fois moins que lors de la saison saison 2007/08. L’audience cumulée de tous les matchs diffusés sur Canal Plus? Elle atteint péniblement 54 millions de téléspectateurs sur la saison 2019/20, deux fois moins que lors de la saison 2006/07. L’audience du match phare du dimanche soir sur Canal Plus ? Elle atteint seulement 1,207 million de téléspectateurs en moyenne lors de la saison 2019/20, soit un tiers de moins que lors de la saison 2007/08. La meilleure affiche de la saison ? Un “classique” PSG-OM n’a attiré que 1,892 million de téléspectateurs, bien loin des 2,93 millions réunis le 17 mai 2009 pour OM-Lyon.
Cet effondrement peut avoir plusieurs explications. D’abord, l'audience mesurée par Médiamétrie ne tient compte que du téléviseur, mais pas (encore) des tablettes qui sont en plein essor (l'audience hors domicile ayant été intégrée en mars 2020). Ensuite, le principal diffuseur de la ligue 1, Canal Plus, a perdu des abonnés, mais toutefois dans des proportions bien moindres : le nombre d’abonnés à la chaîne premium a baissé d’une quinzaine de pourcents, tombant de 4,5 à 3,75 millions entre 2007 et 2016, avant de remonter à 4,1 millions fin 2018. En outre, le rachat du PSG par le Qatar en 2011 a certes permis de ramener sur les pelouses françaises quelques stars mondiales (Neymar Jr, Zlatan Ibrahimovic, David Beckham…), mais a aussi ôté beaucoup de suspense au championnat. Parallèlement, le piratage des matchs s’est aussi développé. Une étude de Médiamétrie pour l’Alpa recense ainsi 626.000 spectateurs pirates de la Ligue 1 en moyenne par journée de championnat l’an dernier. Enfin, plus généralement, les jeunes délaissent de plus en plus le petit écran -et peut être aussi le football. Selon le cabinet Morning Consult, seulement 8% de la génération Z (née entre 1996 et 2012) regarde du sport tous les jours sur le petit écran, contre 15% pour les millenials (nés entre 1981 et 1996). En Italie, la part des 14-34 ans qui regardaient la Serie A chaque semaine est passée de 44% à 35% depuis 2001/02, selon le cabinet italien Stageup.
Paradoxe : ces matchs de moins en moins vus sont vendus aux chaînes de plus en plus cher. Les matchs de la saison 2008/09 -le pic d’audience de la Ligue 1- avaient été octroyés pour 576 millions d’euros. Ceux de la saison actuelle ont été vendus 1,15 milliard d’euros, soit deux fois plus.
A ce prix là, rentabiliser les droits de la ligue 1 par les seules recettes d’abonnements apparaît évidemment impossible. Personne n’y est d’ailleurs arrivé, que ce soit Mediapro ou ses prédécesseurs TPS, Orange et BeIn Sport. L’équation économique imposée au Catalan apparaissait d’emblée comme intenable. Pour honorer son chèque à la LFP, la chaîne espagnole voulait conquérir 3,5 millions d’abonnés… soit quatre fois plus que le nombre de spectateurs de la Ligue 1 la saison précédente sur Canal Plus (sans tenir compte du fait qu’un abonnement correspond à plusieurs téléspectateurs). En réalité, Mediapro n’a engrangé que 600.000 abonnés selon ses propres dires -et même seulement 460.000 selon un audit révélé par l'Équipe. A cela s’ajoutent les téléspectateurs des quelques matches restés sur Canal Plus : 635.000 en moyenne pour le match du samedi soir, et 460.000 pour le match du dimanche à 17 heures, toujours selon l’Equipe. Bref, cette saison 2020/21 s’annonçait à la fois comme la plus chère et la moins regardée de l’histoire de la Ligue 1. La LFP, en confiant ses droits à une chaîne encore inexistante, a clairement préféré maximiser ses recettes plutôt que l’exposition de son produit phare.
Logiquement, cette inflation des droits télévisés s’est traduite par une augmentation des sommes à débourser par le spectateur. La Ligue 1 est ainsi devenue hors de prix pour de nombreux aficionados, et beaucoup se sont réfugiés dans l’illégalité : une étude de Médiamétrie indique que la première motivation du piratage est avant tout la cherté des abonnements aux chaînes payantes. Autrement dit, un cercle vicieux s’est installé : des droits de plus en plus chers, entraînant des tarifs d’abonnement de plus en plus élevés, entraînant des téléspectateurs (légaux) de moins en moins nombreux.
Certes, le système a tenu tant que les droits étaient achetés par un “pigeon” (TPS, Orange, BeIn Sport) qui acceptait de payer de sa poche pour combler le déficit entre droits et abonnements. Mais l'équation est devenue intenable avec Mediapro, qui, lui, n’a pas pu compter sur un actionnaire aux poches profondes.
Contactés, Médiamétrie a refusé de communiquer ses chiffres d’audience, tandis que Canal Plus et la LFP se sont refusés à tout commentaire.