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Maxime Saada : «Pour Canal+ , la Ligue 1 a perdu beaucoup de valeur»
INTERVIEW EXCLUSIVE - Après le fiasco de Mediapro, la chaîne cryptée a décidé de rendre elle aussi ses matchs et demande à la LFP de lancer rapidement un nouvel appel d’offres. Le président du directoire du groupe Canal+ prend un gros risque mais estime que la valeur du foot s'est dégradée.
LE FIGARO.- Après le retrait de Mediapro, LFP attend un accord avec Canal+. Où en êtes-vous ?
Maxime SAADA. - La Ligue de Football Professionnelle (LFP) vient de récupérer les lots de Mediapro depuis seulement quelques jours. Nous sommes finalement arrivés à la conclusion côté Canal+ qu'il était dans l'intérêt pour toutes les parties prenantes de passer par un appel d'offres. Nous avons donc adresse un courrier à la LFP pour lui indiquer la restitution du lot 3 que BeIN Sports nous a sous-licencié.
- Avez-vous examiné la possibilité d'une offre de gré à gré ?
Bien sûr. Mais nous n'avons jamais fait d'offre dans ce sens à la LFP car, après réflexion, nous avons conclu qu'il était impossible de passer par cette procédure. Et ce pour trois raisons. La première est qu'il y a incontestablement une perte de confiance entre Canal+ et les responsables du football français. Nous n'avons pas été traités correctement ces dernières années. Nous n'oublions ni le report des matchs par la LFP sans concertation lors du mouvement « gilets jaunes », ni l'argent supplémentaire demandé pour décaler le coup d'envoi du match du dimanche soir de 15 minutes, et encore moins les réjouissances de nombreux présidents lorsque Canal+ est rentré bredouille de l'appel d'offres de 2018. Je précise que Vincent Labrune n'y est pour rien. Il est d'ailleurs probablement l'un des seuls à pouvoir restaurer la confiance. Mais ce sont des évènements qui ne peuvent s'oublier. La deuxième raison est juridique. Tout accord de gré à gré pour la reprise des lots de Mediapro serait juridiquement contestable d'un point de vue concurrentiel car il serait contraire au code du sport. Celui-ci spécifie qu'il ne peut y avoir de gré à gré qu'en cas d'appel d'offres infructueux. Or il n'y en a pas eu. Même si nous parvenions à un accord, celui-ci serait dès lors contestable.
- Le Foot est-il trop cher pour les diffuseurs ?
La troisième raison est effectivement économique. Mediapro a fait la démonstration que la L1 ne valait pas 1,156 milliard d'euros. Mais combien vaut-elle ? Il n'y aura visiblement pas de consensus. Certains présidents de club se sont exprimés. Jean-Pierre Caillot « n'imagine pas descendre sous les 800 millions d'euros », pour Jean-Michel Aulas «les clubs ne vont perdre qu'une partie de la croissance de l'appel d'offres ». Côté Canal+, nous pensons que la Ligue 1 est subventionnée depuis de nombreuses années. Aucun diffuseur n'a réussi à la rentabiliser. Ni TPS, ni Orange Sport, tous deux disparus, ni beIN Sports, ni Mediapro, ni même Canal +. La Ligue 1 est même doublement subventionnée puisqu'un club comme le PSG, qui représente incontestablement une partie substantielle de la valeur intrinsèque de la Ligue 1, investit à perte. Il n'y a qu'un moyen de matérialiser de manière objective et transparente la valeur de marché de la Ligue 1, c'est l'appel d'offres.
- Quelle serait la juste valeur de la L1 selon vous ?
J'estime que le produit L1 a été dégradé dans l'absolu. Pour des raisons conjoncturelles tout d'abord. La diffusion sur Téléfoot (la chaîne de Mediapro) a fortement réduit l'exposition de la compétition. Selon le fameux adage, «loin des yeux, loin du cœur». Le Classico PSG-OM qui rassemblait auparavant plus de 2 millions de téléspectateurs sur Canal+, avec des pics à plus de 3 millions, n'en a rassemblé que 400 000 sur Téléfoot. Le même soir, Canal+ a fait mieux avec un match du Top 14 de Rugby. Inédit ! Par ailleurs, l'arrivée de Mediapro a contribué à la croissance exponentielle du piratage. Un problème conjoncturel qui deviendra probablement structurel sans dispositif législatif efficace puisqu'il sera difficile de changer les habitudes.
La valeur de la Ligue 1 a également baissé pour Canal +. Suite à l'appel d'offres de mai 2018, nous nous sommes adaptés. Nous avons modifié notre grille pour valoriser la diversité de notre offre sportive en particulier avec le Top 14 et le lancement du MotoGP (j'ai d'ailleurs une pensée pour Pierre Lelong notre directeur des acquisitions qui vient de nous quitter), nous avons signé un accord de distribution exclusive avec beIN Sports et Disney+, et nous avons récupéré la Ligue des Champions à partir de 2021. Tout ceci a conduit à un taux de satisfaction record de nos abonnés, témoin de la perte d'importance de la Ligue 1 pour Canal +.
Enfin, il y a un problème structurel d'attractivité pour la Ligue 1. Ce n'est pas un hasard si nous avons fait l'acquisition du « PSG – OM » diffusé ce soir sur CANAL+. C'est le type de match qui attire nos abonnés. Malheureusement, on ne peut pas en dire autant de toutes les affiches. Bien sûr, on ne peut pas avoir que des classicos à l'antenne. Ce ne serait même pas souhaitable. Mais le football français peut-il encore supporter un système à plus de 40 clubs professionnels, dont 20 en Ligue 1 ? Les championnats ne génèrent manifestement pas suffisamment de recettes pour faire vivre l'ensemble des clubs. Face à ce problème, il est souhaitable que les clubs se posent la question de l'attractivité de leur produit et acceptent de se réformer. Le monde du rugby l'a compris en créant le Top 14, un championnat homogène et attractif. La crise actuelle traversée par le football français crée peut-être une opportunité de se poser les bonnes questions.
- Canal+ a-t-il cherché à faire pression sur l'État ?
Nos demandes de soutien ne sont pas nouvelles. L'environnement concurrentiel, réglementaire et fiscal de CANAL+ en France ne cesse de se dégrader et ne lui permet plus d'investir à pertes dans le football français. Voilà plusieurs années que nous demandons un retour au taux de TVA réduit historique de CANAL+ (5,5% vs. 10%) justifié par le rôle central que nous jouons dans le financement et l'exposition de l'exception culturelle française. Malgré cela, avec la nouvelle loi de finances pour 2021, notre TVA va augmenter. L'impact est substantiel. Dans le même temps, le nouveau décret SMAD envisage une révision de la chronologie des médias qui, une fois de plus, affaiblira la différenciation de CANAL+ par rapport à ses concurrents étrangers.
- En demandant un nouvel appel d’offres, Canal+ prend-il le risque de tout perdre une nouvelle fois ?
Oui, CANAL+ prend le risque de se retrouver face à un concurrent prêt à surpayer ces droits. Je reconnais qu'en 2018 je n'ai pas vu arriver Mediapro. L'émergence de nouveaux acteurs est un risque que nous acceptons car il n'y a pas d'autres alternatives que l'appel d'offres.
- Allez-vous arrêter de payer pour votre lot ?
La valeur du lot 3 est surévaluée du fait du comportement irrationnel de Mediapro durant l'appel d'offres. Il est essentiel de rappeler que les lots ont été attribués de manière successive, si bien qu'au moment de l'attribution du lot 3, l'ensemble des acteurs savaient qu'ils n'avaient pas remporté les deux premiers lots. Le lot 3 était donc la dernière chance de repartir avec un lot premium. Les offres se sont donc artificiellement envolées. Les trois lots étaient d'ailleurs liés par un prix de réserve. Et il ne faut pas oublier qu'en ne le rendant pas nous nous exposons au risque que la LFP trouve un nouvel acquéreur, et que nous retrouvions dans une situation où un acteur paye moins que CANAL+ et diffuse 80% de la compétition ! La situation est déjà difficilement entendable actuellement. Mediapro qui a remporté 80 % des matchs n'a payé que 160 millions d'euros (135 + 25 par an pour sortir de leur contrat), c'est moins que les 165 millions déboursés par CANAL+ pour seulement 20 % des matchs ! Dans tous les cas, nous conserverons notre lot jusqu'au 5 février puisque nous avons payé jusqu'à cette date.
- Si vous êtes le seul candidat à l'appel d’offres, l'exclusivité redonne-t-elle de la valeur ?
En télévision payante, l'exclusivité a toujours une valeur. Mais dans le cas présent, elle a beaucoup diminué.
-Les Français risquent d'être privés de foot à la télé. Comment l'éviter ?
La situation actuelle doit cesser. Après avoir provoqué le plus grand drame de l'histoire du football français, et ne plus avoir payé aucun droit depuis le 5 août, Mediapro continue de diffuser 80% des matchs. Ce n'est pas acceptable. Pour en terminer avec cette situation, nous allons proposer à la LFP une solution technique universelle qui permettra à tous les Français, abonnés ou non à Canal+, de suivre les matchs en Pay per view (paiement à l'acte). Bien sûr, Canal+ reverserait l'essentiel des recettes à la LFP, et donc aux clubs.