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Bernard Caïazzo « Roland et moi n’avons pas besoin d’argent »
Le copropriétaire de l’AS Saint-Étienne avec Roland Romeyer est désormais fermement décidé à ne plus vendre le club. Il explique pourquoi. BERNARD LIONS
Bernard Caïazzo (64 ans), le président du conseil de surveillance de l’ASSE, a fini par accepter notre demande d’interview formulée dès le début de la saison. Rendez-vous a donc été pris mercredi après-midi, dans un restaurant parisien où il a ses habitudes, non loin de ses bureaux de l’avenue de la Grande-Armée.
« Pourquoi avez-vous décidé d’interrompre le processus de vente de l’AS Saint-Étienne ? Pour trois raisons majeures. 1. L’évolution des droits télé à partir de 2020 (1) laisse espérer un minimum de 60 M€ supplémentaires sur quatre ans, à performance égale, voire inférieure. Ça change les perspectives. 2. La victoire de l’équipe de France en Coupe du monde. 3. L’évolution du trading joueurs. Dix clubs de L 1 ont vendu pour plus de 30 M€ cet été.
Mais pas l’ASSE… Non. On n’a fait que 8 M€ de vente. Mais toutes les planètes sont alignées pour le football professionnel français, même s’il reste beaucoup de progrès à réaliser, notamment sur le digital. Prenez l’ASSE : il s’agit d’une marque forte, avec son stade, que nous gérons désormais à l’année. À l’échelle de la ville, c’est comme si nous avions des bureaux à la tour Eiffel. Les locaux devraient être archi-pleins, avec une liste d’attente et une marge en plus pour le club. Mais, en termes de développement, on n’a pas atteint la maturité de Lyon et de Marseille. On est encore trop “old school ”. Pareil avec nos supporters. On possède une base de trois millions de fans en France. Mais est-ce qu’on est proactifs avec eux ? Non. C’est eux qui viennent à nous. C’est dire le potentiel restant à développer. Et à partir du moment où on se retrouve sur des vents porteurs, il n’y a plus besoin de vendre, juste de travailler… (Il marque une pause.) Et puis il existe une quatrième raison.
Laquelle ? J’ai la conviction profonde qu’avec une stratégie pensée à l’avance, voulue et non pas subie, ajoutée à la qualité de notre staff et de notre équipe, nous pouvons entrer dans les années 2020 avec une certaine puissance, sans avoir besoin de céder le club.
À ce propos, combien d’offres de rachat avez-vous reçu ? Américains, Brésiliens, Chinois mais pas de Dubaï... (Selon nos informations, parues dans ces colonnes le 29 septembre, une offre de 55 M€ aurait été transmise à la banque Lazard, fin juillet, de la part d’un investisseur originaire des Émirats arabes unis.) C’est du passé. Il y a eu un avant et un après 29 mai (jour de l’attribution des futurs droits télé). Notre grande chance, c’est que l’affaire avec Peak6 (2) ne se soit pas faite. Sinon, on s’en serait mordu les doigts, avec Roland (Romeyer, coactionnaire et président du directoire de l’ASSE). Aujourd’hui, on se trouve dans une logique d’investir, pas de dépenser. Comme Lyon l’a fait avant nous, en faisant appel à des financements extérieurs et à des taux très acceptables.
En clair, en ayant recours à l’emprunt ? Oui, remboursable après 2020. C’est tout à fait déraisonnable et faux de dire que le club vit désormais à crédit.
Est-il plus juste de dire qu’il vit avec des crédits ? Tout le monde, même l’entreprise la plus riche du monde, emprunte. On ne peut pas d'un côté nous reprocher notre manque d’ambition et, aujourd’hui, une prise de risque calculée.
Votre emprunt se chiffre à 25 M€ ? On a des lignes d’emprunt qui peuvent aller jusque-là.
Le club est-il appelé à finir la saison déficitaire ? Oui. Il va subir un déficit d’exploitation de 10 M€, avant la vente de joueurs.
Pareil pour la saison 2019-2020 ? Non, il n’y aura pas de déficit.
Comment pouvez-vous en être aussi sûr ? Je ne peux pas imaginer deux ans sans vendre des joueurs.
Alors que votre effectif est le quatrième plus vieux d’Europe cette saison après ceux de Parme, de la Juventus et de Watford(28,7 ans de moyenne d’âge)… Je ne suis pas du tout d’accord avec cette analyse. On a pris une quinzaine de joueurs d’expérience en concertation avec Jean-Louis Gasset (l’entraîneur). Les 30 % restants du groupe sont constitués de jeunes qui vont obligatoirement plus jouer. On a la chance de posséder une génération assez exceptionnelle chez les 16-19 ans. Loïc Perrin a débuté très jeune et il est devenu ce qu’il est aujourd’hui. (William) Saliba et (Arnaud) Nordin donnent satisfaction. Avant, nos jeunes n’avaient pas que de bons exemples. Là, avec Debuchy, Cabella, M’vila, Khazri et les autres, ils sont entourés de professionnels de haut niveau.
D’ici à 2020, sont-ils condamnés à réussir sur le terrain ? Même si vous terminez douzièmes, vous aurez au minimum 15 M€ par an. On n’a pas envie de jouer petit bras, que le club vivote en L 1, mais d’investir au bon moment, quand les marchés sont porteurs et en sachant qu’on aura après la capacité de rebondir intelligemment. C’est le cas.
À combien estimez-vous la valeur de l’ASSE aujourd’hui ? 50 M€ ? À la différence des gens qui nous ont fait des propositions, je n’ai jamais donné de chiffre. Au passage, il y a un point hyper important dans ce genre d’affaires : c’est la confidentialité. Ces gens ne sont pas corrects. Confier des chiffres à la presse était le meilleur moyen pour qu’on ne traite pas avec eux. Vous savez, le football s’est mondialisé. La moindre franchise américaine vaut 180 M€, comme la Fiorentina, en Italie. La valeur de l’ASSE grandit chaque jour, même sans rien faire. Mais la vraie question est celle-ci : combien un repreneur est-il prêt à mettre pour développer le club ?
“L’AS Saint-Étienne est comme notre enfant. Il y a une notion de chair et de sang
Vous avez avancé la somme de 200 M€. C’est ce que McCourt (le propriétaire de Marseille) a mis sur la table, sur plusieurs années, pour installer l’OM de façon durable dans le top 4 français.
La mission de la banque Lazard est donc terminée ? Dans la logique d’un repreneur, oui. Roland et moi n’avons pas besoin d’argent, ni de personne pour rester dans les cinq-huit premiers de L 1. L’AS Saint-Étienne se classe cinquième sur le cumul des cinq dernières années (en réalité, sixième).
Vous avez décidé d’en reprendre pour au moins cinq ans ? Oui car, avec Roland, nous estimons ne pas avoir terminé notre travail. Les gens qui savent le mieux le faire, c’est nous. Diriger un club, c’est un vrai métier. Nous restons ouverts à des associés qui veulent aider à passer un cap, pas à des repreneurs.
Même si on vous prête l’ambition de vous porter candidat à la présidence de la LFP en 2020 ? Si j’avais voulu l’être, cela ferait très longtemps que je le serais. Et j’aurais pu l’être très facilement. Mais jamais je ne serai président de la Ligue. Ça ne m’intéresse pas. Je n’aime pas les honneurs, me retrouver dans les médias, pas plus que je n’ai besoin d’argent. J’ai ma liberté. Et quand tu deviens président de la Ligue, tu n’en as plus aucune. C’est un métier très prenant. Je ne connais pas de président de club en exercice qui aimerait l’être. D’ailleurs, lors de la dernière élection (le 11 novembre 2016), aucun ne s’est porté candidat. C’est pour cela que Nathalie Boy de la Tour a été élue. Pour rendre service. C’est tout à son honneur.
Roland Romeyer (73 ans) va-t-il demeurer votre coactionnaire alors qu’il avait annoncé son départ au printemps ? Oui, heureusement Roland possède une énergie que des gens de 55 ans n’ont pas. S’il a le cuir épais, ce n’est pas un surhomme non plus. Il s’est usé dans un rôle opérationnel difficile, à force de travailler au club seize heures par jour, sept jours sur sept, et même d’y coucher. Personne n’a jamais travaillé autant à l’AS Saint-Étienne. Roland a ensuite décidé de s’entourer de compétences supérieures car lui comme moi estimions qu’il devait absolument se retrouver moins seul. À partir du 20 décembre (date de la nomination de Gasset comme entraîneur principal à la place de Julien Sablé), on a pris les bonnes décisions et redressé la situation.
Vos relations avec Romeyer semblent de nouveau tendues depuis la vente avortée... C’est entièrement faux. On ne s’est jamais aussi bien entendus depuis cette période difficile. Après, il y a toujours des comploteurs. Des gens sont jaloux de Roland. Ils m’ont contacté. Mais je les ai renvoyés car ce sont des renégats. Tant que nous resterons unis et solidaires, rien n’arrivera au club. Son salut passe par une très forte solidarité, affection et, surtout, confiance entre nous.
Caïazzo et Romeyer, ce serait donc un peu Astérix et Obélix qui, à la tête de leur village gaulois, résistent à l’envahisseur ? On peut le dire de cette façon. Pour nous, l’AS Saint-Étienne est comme notre enfant. Il y a une notion de chair et de sang. Ce qui nous fait plaisir, c’est d’être les actionnaires d’un grand club français sans être fortunés au stade de la centaine de millions d’euros. C’est un cas unique. Être la grande marque française qui résiste, avec cette spécificité, ça nous plaît bien. »
(1) Les droits télé de la Ligue 1 passeront à 1,153 milliard d’euros par an pour la période 2020-2024, contre 726,5 millions annuels entre 2016 et 2020. (2) Le fonds d’investissement américain avait déposé un dossier de rachat du club auprès de la banque Lazard au printemps et était entré en négociations exclusives avec les propriétaires de l’ASSE. Le 24 mai, ces derniers ont annonçé que le club ne serait finalement pas vendu aux Américains.
L'Equipe