Kyril Louis-Dreyfus est venu de Londres, Vienne ou New Delhi pour assister à plus de quinze matches de Marseille cette saison. Le fils des anciens propriétaires de l’OM, toujours actionnaire minoritaire, raconte sa passion pour le club. DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL PERMANENT
MATHIEU GRÉGOIRE MARSEILLE – Kyril Louis-Dreyfus prend un jet privé comme d’autres commandent un Uber. Parfois, il est rattrapé par les contingences de la vie. Le jeudi 12 avril, à quelques heures d’OM-Leipzig (5-2), des soucis mécaniques clouent son avion au sol sur une piste autrichienne. « J’étais à Vienne, chez ma copine, elle me dit : “On va être trop justes pour le coup d’envoi, tant pis, regardons-le ici !” J’ai répondu : “Hors de question, on va au Vélodrome, même si on ne doit voir que deux minutes du match.” C’est la mi-temps quand on s’approche du stade, l’OM mène 3-1, je pense ironiquement : “Ce n’est pas une bonne idée que j’y aille.” J ’arrive à ma place en début de seconde période, but des Allemands… O.K. En mode chat noir. Mais j’ai bien fait de ne pas repartir ! »
Aujourd’hui, le fils de Robert Louis-Dreyfus a une réunion importante à New Delhi. Depuis plusieurs semaines, il observe le business de l’or en Inde. Pour voir si cette industrie peut être intégrée dans le groupe spécialisé dans les matières premières et l’énergie qui porte son nom et réalise un chiffre d’affaires annuel dépassant les 55 milliards d’euros. « Ça s’est décidé il y a plusieurs mois, je n’avais pas anticipé le calendrier européen », râle-t-il. Il se dépêchera de rejoindre sa famille à Lyon pour assister à la finale : « Une finale plus spéciale encore que toutes celles que j’ai vécues, en Coupe du monde, en Ligue des champions, en Coupe de France ou de la Ligue : il y a eu tant d’émotions pendant ce parcours, le retour contre Leipzig, celui à Salzbourg (1-2, a.p., le 3 mai), tous ces moments où on pensait que c’était la fin… J’étais à Monaco, le soir du 6-1, le 27 août. Ce fut très douloureux. Après de tels débuts, ils m’ont surpris en réalisant une si belle saison, la force de caractère de cette équipe est admirable. » Il sourit : « Et en plus, la finale est à Lyon, et ça… » Ça n’a pas de prix.
“La pression des matches est moindre depuis la vente du club à Frank McCourt
Chante-t-il sous la douche le tube Jean-Michel Aulas ? « Non, non, j’ai vu que l’OL a menacé d’attaquer en justice mon ami Benjamin Mendy pour ça ! Mais je l’aime bien, cette chanson. Aulas est l’un des grands personnages du foot français, il a fait de l’OL une place forte, encore sur le podium à l’heure où on se parle, qui nous offre un sprint de folie avec l’OM et Monaco depuis des mois. Après, quand je vois ses tweets, je me dis qu’il faudrait parfois lui enlever son ordinateur ! Au début, quand il avait un problème avec un président de l’OM, je me disais que c’était de notre faute. Mais à la longue… Il aime cette lutte d’influence, c’est comme un jeu pour lui. »
Cette saison, « KLD » s’est régalé, le polyglotte mélange l’anglais et le français pour l’avouer : « L’OM, c’était de l’entertainment (du divertissement). I l n’y a pas un match où je me suis dit : “J’espère que ça va bouger un peu plus.” C’était vraiment super à regarder, avec beaucoup de joueurs déjà présents à notre époque. Tous ont dépassé les attentes. Rolando, Sarr, Ocampos, Sakai, Anguissa… ont progressé. Rolando à Salzbourg, c’était magnifique, je me souviens de toutes les critiques endurées à son arrivée, et lui aussi je pense. Thauvin, lui, j’ai toujours su que c’était un des meilleurs joueurs de L 1, et de loin. Luiz Gustavo m’a étonné de par son adaptation express, depuis octobre, il est l’une des clés de notre réussite. Le Classique au Vélodrome (2-2, le 22 octobre) était un super match, mais frustrant, les deux victoires renversantes face à Nice m’ont marqué. Le 4-2 (le 1er octobre) est notre premier succès contre un gros, la seconde (2-1, le 6 mai) est impressionnante. Trois jours après les cent vingt minutes à Salzbourg, les joueurs ont montré des ressources physiques et morales incroyables. »
Et pourtant, il était pessimiste avant le match, comme de nombreux fadas de l’OM. Kyril a vingt piges. Dès le berceau, il a aimé le bleu et blanc. Ardemment ! Depuis un an, son frère jumeau Maurice est « redevenu un fan de foot, et un fan de l’OM » : « Il ne venait pas au stade comme moi, il regardait parfois les matches à la maison. Maintenant, il suit tout, m’envoie les scores des concurrents, détaille les buts de l’OM. Je le taquine : “Mais qu’est-ce qui t’a pris ? ” Il a choisi la bonne saison pour commencer, s’il avait assisté à tous les épisodes précédents à l’OM, comme moi, il aurait arrêté direct ! » Il raconte « cette pression, moindre depuis la vente du club à Frank McCourt, à l’automne 2016 » : « C’est plus confortable de regarder les matches. J’ai pris du recul, en dissociant l’aspect financier, en ne me disant plus à chaque défaite : ça va nous coûter cher si on ne va pas en Ligue des champions… En L 1, la qualification en C 1 est une obsession angoissante, car on n’a pas les droits télé de la Premier League. Pourtant, l’important, comme me disait un président de Liga, c’est que les supporters reconnaissent une bonne gestion quotidienne, pas les millions que tu fais rentrer dans les caisses. »
“Mon ego ne me guidera pas (pour une reprise de l’OM), si un actionnaire est meilleur, il faut le laisser travailler
Sa mère s’avère aussi radieuse : « Elle vient toujours trois ou quatre fois par an, mais elle prend plus de plaisir. Elle est tranquille, heureuse que le club soit entre de bonnes mains. Il y avait sans doute des candidats moins solides. McCourt peut tirer le club vers le haut dans un bon environnement. » À l’été 2017, à titre d’actionnaire minoritaire (5 % de la holding Eric Soccer, qui détient le club), Margarita Louis-Dreyfus a remis 5 M€ lors d’une augmentation du capital. Mais pas dans la suivante en fin d’année, ses parts se sont donc un peu diluées.
Entre deux matches, Kyril s’instruit à la Richmond University de Londres, section Business Management (Entrepreneurship), avec une prédilection pour le domaine sportif. La saison dernière, il a fait un long stage à Chelsea, où Marina Granovskaia, la fidèle de Roman Abramovitch, lui a glissé de précieux conseils. Le futur milliardaire les appliquera-t-il un jour à l’OM ? « Entre les études et l’apprentissage au sein du groupe Louis-Dreyfus, j’en ai encore pour cinq ans, au moins. Après, tout est ouvert, les clubs de foot sont comme des grandes entreprises. Si jamais, je reviens dans le foot, à l’OM, c’est pour être certain que je peux être plus ambitieux encore pour Marseille, pour aider ce club. Mon ego ne me guidera pas, si un actionnaire est meilleur, il faut le laisser travailler. On a pris le temps avant de vendre, en 2016, car tout le monde veut acheter un club, mais le financer, c’est autre chose. En cela, McCourt fait notre bonheur. »
L'Equipe