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Entretien Arrigo Sacchi : «Neymar, ce n'est pas un projet»
L'ancien entraîneur du Milan double champion d'Europe pense que le PSG doit mieux se structurer pour espérer remporter la Ligue des champions : d'abord le club, ensuite l'équipe.
Pour avoir révolutionné le jeu, à la fin des années 1980, Arrigo Sacchi est considéré comme l'un des meilleurs entraîneurs de l'histoire. Voilà plus de quinze ans qu'il s'est éloigné des bancs de touche, parce qu'il ne supportait plus le stress du métier. Mais il garde un œil pointu sur son sport. Mardi soir, il a regardé PSG-Real (1-2) pour la télévision italienne et il n'a pas été tendre, ensuite, avec le club parisien : « Les idées, cela ne s'achète pas », expliquait-il. Pour L'Équipe, il a détaillé son avis.
« Qu'avez-vous pensé du PSG, sur le match contre le Real Madrid ?
J'ai trouvé que c'était très décevant dans l'attitude. J'en attendais beaucoup plus dans l'agressivité, dans l'intensité. Je ne sais pas ce qui s'est passé dans leur tête. Ce que je peux dire, c'est que j'ai toujours considéré Emery comme un très bon entraîneur. La question est : est-ce qu'ils (les joueurs) le suivent ?
Quelle est votre réponse ?
Je ne sais pas. Un entraîneur doit avoir une idée claire du jeu qu'il veut mettre en place. Parce que le jeu aide l'équipe. C'est comme le scénario d'un film. Quand le scénario est mauvais, de grands acteurs ne suffisent pas à faire un bon film. Donc un entraîneur doit être suivi par son équipe. Je connais bien les joueurs du PSG, parce que beaucoup d'entre eux ont joué en Italie ou en Espagne. Marco Verratti, je l'ai vu en sélections de jeunes pendant des années (entre 2010 et 2014, Sacchi a été coordinateur technique des sélections de jeunes pour la Fédération italienne). Je l'ai vu grandir depuis les moins de 17 ans jusqu'aux Espoirs, et quand je vois son attitude de l'autre soir... Non, à certains niveaux, on ne peut pas se comporter de telle façon. Et s'il le fait, c'est qu'il y a un problème. Je pense que tous doivent se poser la bonne question au club. Il faut bien comprendre que le club est la partie la plus importante du chantier. Parce que tout part du club, de son histoire, de sa vision, de ses règles et de son leadership. Le club vient avant l'équipe, et l'équipe vient avant chaque individualité. La sensation que j'ai, c'est que cette hiérarchie de valeurs-là est inversée au PSG.
Vous parlez d'histoire. Mais comment écrire son histoire européenne quand on en a moins que les autres ?
Tu ne construis pas une histoire comme celle du Real en quelques années, c'est vrai, mais tu peux avoir des idées, une vision, une organisation. Le PSG dépense beaucoup, mais cela ne peut pas suffire. On l'a vu mardi soir : ils ont dépensé plus que tout le monde l'été dernier (417 M€), et ils ont livré une partition vraiment insuffisante. Les Parisiens n'ont pas une énorme histoire européenne. Alors, s'ils veulent vraiment gagner, il faut des idées, et des idées claires.
Comme Manchester City, qui a pris Pep Guardiola ?
À Manchester City, aujourd'hui, le club suit l'entraîneur sur tout. Et cela doit être la même chose au PSG s'ils veulent franchir un palier. Je suis très ami avec Guardiola. Il est allé là-bas, il a dit “on achète lui, lui et lui”. Il a pris de jeunes joueurs avec des caractéristiques qui correspondent à ce qu'il voulait faire. Eux non plus n'ont pas une grande histoire européenne, mais on voit aujourd'hui qu'ils sont très compétitifs.
Parce qu'ils ont le jeu de Guardiola surtout, non ?
C'est vrai. Le jeu, c'est la base de tout, et la majorité des gens n'arrivent pas à comprendre cela. Le foot est un sport d'équipe avec des moments individuels. Mais si tu veux gagner... Un grand joueur peut te faire gagner un match, mais seulement un match. C'est une équipe qui te fait gagner des titres, qui te fait gagner un Championnat. Et puis un autre problème du PSG, c'est que la Ligue 1 française n'est pas assez relevée.
Mais le Bayern aussi se promène parfois en Championnat, et il gagne des Coupes d'Europe quand même, non ?
Oui, mais je pense que la Bundesliga est d'un autre niveau. Quand tu joues contre Leipzig, contre le Borussia, contre Schalke 04, ce sont des matches d'une autre épaisseur. Les Parisiens sont trop nettement supérieurs aux autres équipes, et ce n'est pas comme cela que tu t'entraînes à l'intensité de la Ligue des champions.
Vous dites que les joueurs ne suivent pas Emery. Mais n'est-ce pas aussi le rôle de l'entraîneur de se faire respecter par son vestiaire ?
Oui, d'accord, mais il faut un club derrière pour l'aider. Sinon, tu deviens un homme seul, et c'est fini. L'entraîneur est le responsable du domaine sportif, et c'est un homme du club. (Il insiste.) C'est l'homme du club. Quand il dit quelque chose, tout le club le dit avec lui.
Le projet du PSG cette saison était d'acheter Neymar pour aller loin en Ligue des champions...
Mais un joueur, aussi fort soit-il, n'est pas un projet ! Neymar, ce n'est pas un projet ! Nous avons gagné le Championnat (en 1988) avec Van Basten, qui venait d'arriver, et qui sur 30 matches de Championnat n'en a joué que trois intégralement. Si le projet avait été Van Basten, nous n'aurions rien gagné. On a gagné la Ligue des champions avec Gullit et vous savez combien de matches il a joué (en 1989-1990) ? Un seul, sur neuf ! (*) On a battu le Barça en Supercoupe d'Europe sans Baresi, Ancelotti ni Gullit (1-1, 1-0). La musique sans partition, ce n'est pas possible. Brecht disait que même les plus grands acteurs ont besoin d'un metteur en scène pour s'exprimer pleinement. Le jour où, avec ce qu'ils dépensent, les Parisiens auront aussi une organisation qui part du club, ils avanceront.
Quand vous parlez du club, c'est le président et la direction sportive ?
Oui, ce sont ceux qui mettent les règles et qui les font respecter. L'autorité, elle vient du club. L'année dernière, il y a l'exemple de la Juventus, qui joue à mon avis un football pas très positif mais qui est un grand club, avec un vrai leadership. Quand elle a vu que certains joueurs protestaient parce que l'entraîneur (Massimiliano Allegri) les sortait, ou qu'ils devenaient un peu arrogants, qu'a-t-elle fait ? Elle a laissé dehors Bonucci, un cadre de l'équipe, et il est allé s'asseoir en tribune un soir de Ligue des champions. Puis, l'été suivant, elle l'a vendu (à l'AC Milan). Elle a donné le signal à tout le monde que, au club, ce ne sont pas les joueurs qui commandent, que l'entraîneur est l'homme du club en ce qui concerne tous les choix techniques, et que personne ne peut se comporter comme il l'entend sans le respecter. Ce serait comme si le pauvre Pavarotti se mettait à chanter Volare alors que les autres chantent Aïda. C'est juste impossible. Dans le foot, il faut peu d'idées, mais il faut qu'elles soient claires. Sinon, on gaspille son argent.
Quel conseil leur donneriez-vous ?
Mais je ne suis pas là pour les conseiller. Tout ce que je dis, c'est que le plus important, pour gagner, c'est le club, sa vision, sa compétence, avec ses règles et ses choix. Ensuite, seulement, vient l'équipe. Elle est dirigée par un entraîneur qui ne doit pas seulement l'entraîner, mais lui donner des idées solides. Mardi soir, on a vu un match médiocre. Et en toutes ces années, le PSG n'a jamais laissé sa marque en Ligue des champions. Sa meilleure confrontation, c'était contre Barcelone, avec Ancelotti (2-2, 1-1 en quarts de finale en 2013). Il faut se poser les bonnes questions.»