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L’Olympique de Marseille fait le ménage parmi les agents
Enquêtes privées, précautions légales, abandon de pistes suspicieuses : en deux saisons, l’OM de Frank McCourt a métamorphosé son rapport aux agents de joueurs.
LE MONDE | 07.02.2018 à 06h00 • Mis à jour le 07.02.2018 à 12h54 | Par Gilles Rof et Rémi Dupré
La promesse date d’octobre 2016. Aux premiers jours de l’« OM Champions Project », le nouveau propriétaire américain de l’Olympique de Marseille, Frank McCourt, et le président du club Jacques-Henri Eyraud, annoncent qu’ils contrôleront « l’intégrité de tout le monde ». Leur cible prioritaire : les agents de joueurs et intermédiaires qui travaillent avec l’institution.
Vingt-trois mois plus tôt, Vincent Labrune, alors numéro 1 de l’OM, a été cueilli à l’aube dans sa villa de Saint-Rémy-de-Provence (Bouches-du-Rhône) par les policiers, puis auditionné durant sa garde à vue, et placé sous le statut de témoin assisté. Une dizaine d’agents sportifs et d’anciens dirigeants de l’OM vivent le même réveil. Les juges enquêtent sur des transferts douteux et des liens entre le club marseillais et certaines figures du banditisme local.
Alors que l’ex-patron de l’OM (2009-2011) Jean-Claude Dassier a été mis en examen, cette procédure, ouverte pour « extorsion de fonds, association de malfaiteurs et blanchiment » n’a toujours pas abouti. Mais son impact médiatique a précipité la cession de l’OM par Margarita Louis-Dreyfus, soucieuse d’éviter de vivre l’humiliation subie par Robert Louis-Dreyfus, son mari mort en 2009, condamné en 2007 à de la prison avec sursis en tant que propriétaire du club dans l’affaire des comptes de l’OM.
En février, l’Olympique de Marseille version McCourt boucle un mercato d’hiver bien maigre, où seul le défenseur brésilien Doria a été prêté. Les fans s’inquiètent d’un manque de moyens financiers – d’autant que le club annonce 42 millions d’euros de déficit en 2016-2017 et est placé sous surveillance de l’UEFA, dans le cadre du fair-play financier –, mais le Champions Project, ce plan censé rendre au club marseillais sa stature internationale, se porte bien sportivement.
Derrière l’engouement, le club marseillais reste sur ses gardes. « Je ne souhaite pas que l’OM soit sur le devant de la scène médiatique pour des procédures judiciaires, des suspicions. C’est à l’opposé de l’image qu’on veut véhiculer : un club professionnel, composé de gens professionnels », martèle Jacques-Henri Eyraud, qui reconnaît toutefois qu’en quelques mois, « l’OM n’a pas réglé tous les problèmes du football et des agents ».
Des « précautions importantes »
La nouvelle direction de l’OM assure avoir pris des « précautions importantes ». « A notre première rencontre, Jacques-Henri Eyraud m’a dit : “je ne parle pas avec les agents, passez par Andoni Zubizarreta”. Depuis, il s’y tient », témoigne un des plus importants acteurs français du secteur. « Je suis la seule porte d’entrée à l’OM », confirme le directeur sportif espagnol, engagé en octobre 2016. Une « porte » solide et expérimentée, doublée d’un sas de sécurité formé par le secrétaire général Alexandre Mialhe et l’ex-lieutenant-colonel de gendarmerie Thierry Aldebert, directeur de l’exploitation et de la sûreté du club.
« Avant, le service juridique n’intervenait qu’à partir de la pré-contractualisation. Aujourd’hui, j’accompagne Andoni de la prise de contact à la conclusion des transferts », explique M. Mialhe, directeur juridique sous l’ère Labrune. Au préalable, l’OM vérifie le cadre légal de l’intervention de l’agent, s’il possède une licence délivrée par la Fédération française de football (FFF) ou, lorsqu’il est étranger, s’il a une équivalence ou un référent hexagonal licencié. « Si ce n’est pas le cas, on peut l’accompagner dans ces démarches auprès de la FFF et reprendre la négociation », poursuit le juriste.
« Levé quelques lièvres »
Depuis l’arrivée de Frank McCourt, l’OM sonde aussi le pedigree des intermédiaires que lui envoient les joueurs. « Il nous est arrivé d’effectuer un peu plus de recherches sur certains profils », glisse M. Eyraud. De la quête de renseignements publics, disponibles sur Internet, à des méthodes plus ciblées comme des enquêtes confiées à un agent de recherche privé. Un détective agissant, assure le club, « dans le cadre légal ». « On peut aussi basculer dans la sphère judiciaire avec du dépôt de plainte ou du signalement », note l’ancien du GIGN Thierry Aldebert, interface naturelle entre l’OM et des pouvoirs publics – préfecture de police, procureur de la République – très attentifs. Ce dernier a d’ailleurs revu les contrats avec les sociétés de sécurité du Stade Vélodrome, labélisé les habitations sécurisées des joueurs et « levé quelques lièvres » en effectuant des recherches sur des compagnies désireuses de travailler avec le club.
Un potentiel circuit préférentiel
« On a érigé en principe le fait de dire non à un joueur parce que son entourage n’offre pas les conditions suffisantes sur le plan réglementaire », complète M. Eyraud. Combien de pistes l’OM a-t-elle abandonnées en deux saisons ? Andoni Zubizarreta se souvient d’un « très bon arrière central gauche » et de « deux, trois autres joueurs » sur lesquels il a stoppé net les négociations. Ce « choix de dire non » ne poserait aucun problème à l’entraîneur, Rudi Garcia.
Le coach de l’OM a été au cœur d’une des rares polémiques provoquées par les transferts marseillais ces derniers mois. En janvier 2017, l’arrivée pour 1 million d’euros de Grégory Sertic, le capitaine de Bordeaux, est vue par certains observateurs comme le retour d’un potentiel circuit préférentiel. Le joueur a les mêmes agents que son entraîneur, les frères Sébastien et Pascal Boisseau.
« Sur ce dossier, ce ne sont pas les frères Boisseau qui sont intervenus », se défend le club, qui a introduit une clause de « transparence » dans le contrat de son entraîneur afin de faire figurer « les joueurs qui peuvent être gérés par ses agents ».
Une « quinzaine d’agents » sont désormais persona non grata
C’est Alexandre Bonnot, agent proche des Boisseau, basé en Espagne, qui a piloté, sous mandat, le transfert de Sertic et a été rémunéré par l’OM. « Bonnot et les frères Boisseau, c’est pareil. Nous travaillons ensemble depuis longtemps, note l’imprésario. Je ne comprends pas la polémique. Quant à nos supposées entrées au club, les statistiques parlent d’elles-mêmes : nous n’avons fait qu’un transfert en deux saisons avec l’OM. »
« Sur 37 mouvements effectués depuis notre arrivée, 34 agents différents ont été utilisés. De plus, une transaction réalisée sur deux n’a pas donné lieu à rémunération d’agents », assure le président Eyraud.
Partie civile dans l’affaire des transferts toujours à l’instruction, le nouvel OM en a profité pour décortiquer le dossier et, tant que celui-ci n’est pas bouclé, a décidé de ne plus travailler avec un certain nombre de personnes, citées dans la procédure ou sa périphérie. M. Eyraud refuse le terme de « liste noire », utilisé pourtant par les imprésarios proches de l’OM eux-mêmes, mais confirme qu’une « quinzaine d’agents » sont désormais persona non grata à l’OM.
« Parmi eux, il y en a qui ont une licence », confirme le patron du club, perçu par les imprésarios comme « très méfiant » et soucieux de se protéger. Le dirigeant conseille d’ailleurs aux très jeunes joueurs du centre de formation de ne pas confier leurs intérêts à des agents. « Eyraud a fait un tri énorme », constate un imprésario. « Il a normalisé la situation. A l’époque du directeur sportif José Anigo [mis en examen pour complicité d’abus de bien sociaux], ce n’était que du copinage. Les gens qui travaillaient correctement étaient écartés », témoigne un autre.
Disparu du paysage
Cités dans la procédure en cours, Jean-Luc Barresi, Jean-Christophe Cano et Karim Aklil ont ainsi été mis de côté. D’autres agents, éléments incontournables de l’époque Labrune, comme Meissa N’Diaye, qui gérait les intérêts des ex-Marseillais Mendy, Nkoudou ou Batshuayi, ont également disparu du paysage.
Autre cas de figure : l’influent Jean-Pierre Bernès, jadis très en cour à l’OM. L’ex-directeur général du club sous l’ère Tapie, condamné à de la prison avec sursis dans l’affaire VA-OM de 1993, n’a pas encore réalisé d’opération avec le tandem McCourt-Eyraud. Christophe Mongai, autre poids lourd du secteur, ne croit pas, lui, à l’existence d’une liste de bannis : « Cela me semble difficile car c’est le joueur qui dicte au club le nom de son agent. » La nouvelle direction de l’OM semble dans tous les cas désireuse de s’éloigner des prétoires.
Par Gilles Rof et Rémi Dupré