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Les raisons d'une défiance
DE NOS ENVOYÉS SPÉCIAUX VINCENT GARCIA ET MATHIEU GRÉGOIRE
S'IL N'Y A PAS ENCORE DE FRACTURE ENTRE LA DIRECTION DE L'OM ET LES GROUPES DE SUPPORTERS, LE CONTEXTE EST TENDU. L'ÉTAT DE GRÂCE DU PRÉSIDENT JACQUES-HENRI EYRAUD S'EST ABÎMÉ SUR PLUSIEURS RÉALITÉS.
MARSEILLE – Deux victoires, face à Konyaspor (1-0) en Ligue Europa, puis à Amiens (2-0), et le volcan s'est éteint, en apparence du moins. Vendredi après-midi, Rudi Garcia a pris le soin de ne pas souffler sur les braises : « Je ne vais pas m'exprimer à chaque conférence de presse sur le public, j'ai déjà tout dit sur le sujet. On sait très bien qu'on a le meilleur public de France. Quand il est derrière nous, c'est beaucoup mieux que lorsqu'une partie du stade est contre nous.» La cote d'amour de l'entraîneur en a pris un coup après les déroutes à Monaco (1-6) et contre Rennes (1-3), et plusieurs responsables de groupes de supporters en font la demande à chaque réunion avec le directeur général Jean-François Richard (c'était encore le cas jeudi dernier) : ils veulent le rencontrer, ce que l'entraîneur refuse, pour l'instant. Garcia ne veut pas se faire dicter son agenda. Il est pourtant le cadre de l'OM le plus exposé, celui qui risque quolibets et critiques à chaque contre-performance.
La crispation sur le cas Garcia n'est que la croûte apparente d'un épais mille-feuilles de tensions entre les groupes de supporters et la direction de l'OM. La partie la plus indigeste concerne le mercato estival, très éloigné des aspirations populaires et des discours du tandem Eyraud-Mc-Court. Les associations plutôt sages du virage nord, comme les Yankees de Michel Tonini et les Dodgers de Christian Cataldo, relaient cette opinion largement répandue parmi les fans de l'OM. « C'est un faux projet, expliquait ainsi ce dernier sur RMC, fin août. Pour l'instant, on est plus dans le ''fake project'' que dans le Champions project au vu des recrues. »
Dans nos colonnes, le 6 septembre, Tonini y allait aussi de sa comparaison : « Ce n'est pas un mercato ''Champions project'', c'est tout. Ce n'est pas un ''Champions project'', c'est un ''Ligue Europa project''. » Au sein des Yankees, « on se sent clairement cocus en repensant aux mois écoulés. Après les annonces et les investissements du mercato de janvier, on nous disait : ''Vous verrez les grandes ambitions de McCourt cet été, il y aura quatre recrues d'entrée en juin'', etc. On a vu. »
L'idée de la direction était aussi de favoriser une campagne d'abonnements tonitruante avec des groupes au taquet dès la fin mai. « Il est possible que j'aie dit qu'on allait essayer d'avancer vite sur le recrutement en juin, oui, reconnaît Jean-François Richard. En précisant toutefois qu'il y aurait les difficultés habituelles d'un mercato. » Voilà l'état-major olympien prévenu et désormais plus prudent. À Marseille, les promesses n'engagent pas que ceux qui les écoutent. « Ce qui n'a jamais été dit et qu'on n'a jamais caché, c'est que la campagne serait étendue en juillet et sur quinze jours en août, poursuit Richard. Tous les groupes étaient au courant.» Au final, l'OM a écoulé entre 32 000 et 33 000 abonnements. Ce résultat honorable, dans les mêmes eaux que celui des saisons 2014-2015 et 2015-2016, permet d'effacer l'accident industriel de l'été 2016, qui marquait la triste fin de l'ère Louis-Dreyfus. Certains groupes comme les Fanatics et les Winners ont rempli leur jauge à 100 %, ces derniers affichent même un nombre record d'abonnés (6 066). Reste une question épineuse : la vente des places en virage à domicile et surtout en parcage à l'extérieur, grande source de revenus au noir pour certains groupes. Et sur lequel le club ne veut plus transiger.
Garcia qui vacille, le mercato qui déçoit au regard des espérances suscitées… ces tendances se sont greffées sur des dissensions de fond entre les différentes parties. « Les deux défaites de Monaco et de Rennes ont fait exploser des problèmes qui couvaient depuis des mois, c'était presque un prétexte pour régler des comptes », confie un proche de Jacques-Henri Eyraud. Et notamment une relation fort compliquée entre JHE et Rachid Zeroual, le boss des Winners, considéré comme un ennemi de taille par les conseillers du président. Les deux hommes ont eu une explication entre quat'z-yeux en août, après un début d'été houleux. Le 20 mai, face à Bastia (1-0), les Winners avaient montré leurs biceps en allumant une centaine de fumigènes.
Se sentant trahi après plusieurs mois de rapports cordiaux, et agacé par l'amende à venir (70 000 euros), Eyraud a sanctionné les effrontés d'un huis clos partiel face à Ostende (4-2, 3e tour préliminaire de Ligue Europa) le 27 juillet, qui s'ajoutait à celui prévu par la LFP pour la première journée de L 1 (Dijon, 3-0, 6 août). Cette décision a heurté tous les groupes, soucieux d'être défendus face aux instances parisiennes, et non enfoncés.
Une politique qualifiée de « sécuritaire »
Derrière les sourires crispés et de façade, la tension est réelle. Le soir d'OM-Rennes, entendant les insultes proférées au mégaphone du côté des Winners, Eyraud s'avouait furieux contre Zeroual. Ce dernier s'est défendu : ce n'était pas lui, mais son bras droit, Philippe D., dit « Banane », qui officiait au micro. À quelques heures du coup d'envoi face à Konyaspor, le directeur de la sécurité Thierry Aldebert a demandé à plusieurs responsables de ne pas insulter nommément le coach ou le président de l'OM. Contrairement à Richard, Aldebert est luimême dans le collimateur des groupes. Une banderole le fustigeant a été interceptée avant une rencontre, en début de saison. Sa politique est qualifiée de «sécuritaire » par les Ultras, auteurs d'une démonstration de force face à Konyaspor, avec une centaine de fumigènes craqués en bas du virage sud. Pour les Ultras, la lune de miel avec JHE est terminée : il voudrait des « costards-cravates » en tribunes, et Aldebert placerait des agents d'une nouvelle société de sécurité de Montpellier au cœur des travées afin de repérer les contrevenants, avec interpellation musclée des CRS à l'arrivée, comme cela s'est produit récemment avec un ado ayant enflammé un fumigène. S'ajoute aussi un préfiltrage drastique aux entrées des tifos, déploré par tous les groupes.
« Winners, Ultras… le pouls de l'OM, c'est le virage sud », soupire un stadier, qui fait le tampon depuis deux décennies. Celui-ci s'éloignant, l'OM cajole encore le virage nord. Et une conciliation avec les Yankees, après une année de bataille juridique sur les conditions de commercialisation des abonnements, est imminente. La suite ? Une victoire ce soir ne sera pas de trop. '