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Un « Ceinture Project » qui rend fada
Le manque de lisibilité, de moyens et de recrues inquiète, voire agace beaucoup la communauté olympienne. Texte Patrick Sowden Drôle d’atmosphère. Comme si une absence remplissait le moindre espace de la ville et de ses alentours. Comme un silence assourdissant. « Marseille ne parle pas de l’OM. » C’est suffisamment inhabituel pour que Gérard Gili l’ait remarqué. « C’est le plus inquiétant. Ce manque d’enthousiasme, cette indifférence… Le club va repartir avec les joueurs qui ont été sifflés la saison passée et ce n’est pas très rassurant car l’OM est un club qui vit pour le frisson de la nouveauté. Les gens entendent bien que la situation financière est compliquée mais ils ont aussi entendu les premiers discours, le « Champions Project ». Le « Ceinture Project » comme il a été ironiquement requalifié après les déclarations de Jacques-Henri Eyraud qui réclame du temps pour l’ambition – horizon 2024, année du nouveau format de la Ligue des champions ! – en raison des comptes plombés (près de 80 M€ de déficit en 2018 et au moins autant cette année) et de l’accord passé avec l’UEFA pour revenir dans les clous du fair-play financier d’ici à quatre ans imposant au club de vendre avant d’acheter. Comme Gili, José Anigo est né à Marseille, a joué et entraîné l’OM. Comme lui, il s’inquiète : « La patience ne dure jamais longtemps ici. Ce genre de discours – formation, post-formation, etc. – n’est pas tenable à Marseille. La seule chose qui compte dans ce club, c’est le résultat ; tout tient par ça. Ils sont là, on vous fout la paix, sinon, vous êtes K.-O. ! C’est un club déjà compliqué à gérer quand ça va bien, alors, imaginez quand la situation est difficile… Je comprends le discours des dirigeants qui insistent sur la régularité des dernières saisons : cinquième, quatrième, cinquième. Mais, au-delà du podium – parce que les gens ont compris que le Paris-SG était hors de portée et que l’OL avait pris beaucoup d’avance –, ça n’existe pas. Et encore moins quand vous avez affiché une telle ambition en arrivant. Cette erreur de communication initiale, ils risquent de la traîner longtemps. »
Com Project
D’autant qu’à la faute originelle, et alors que la situation du club est à ce point compliquée aujourd’hui avec un mercato désespérément calme et des matches de préparation catastrophiques face à Accrington (Troisième Division, 1-2) et aux Rangers (0-4), s’ajoute nombre de bévues qui exacerbent chaque fois davantage et sont vécues comme des provocations par les supporters qui risquent de ne pas se précipiter pour renouveler leurs abonnements. On pense à la première conférence de presse d’Eyraud où il s’est contenté de présenter le nouveau sponsor maillot Uber Eats en refusant de répondre à toutes les interrogations sportives ; à la couleur verte du sponsor sur le maillot olympien déclenchant la furia des fans ; à la photo publiée du président présentant le maillot d’une « recrue » floqué 22, pas un attaquant, mais une eau minérale nouveau partenaire du club… La fumée de la com ne fait écran à rien, elle asphyxie. Et elle exaspère Jérôme Alonzo, ancien gardien du club : « Tu ne peux pas trimbaler les supporters marseillais comme ça. C’est impossible. La première conférence de presse de la saison est tellement révélatrice… Les gens ont besoin d’avoir des réponses, qu’on leur balance des noms, qu’on leur donne des nouvelles de leur club. Mais, non, Eyraud a préféré parler de son nouveau sponsor. Les Marseillais s’en foutent complètement ! »
Perso Project
La colère ne se manifeste pas encore, mais on la sent sourdre. Chez Pascal Olmeta, elle éclate déjà, avec toute la finesse d’analyse de l’amoureux de l’OM déçu : « Être patient de quoi ? Des conneries qu’ils ont commises ? C’est le miroir aux alouettes. Ou ils ont sous-estimé ce qui devait être fait ou ils ne savent pas construire, mais il faut arrêter de prendre les gens pour des cons. Et basta ! » Que les dirigeants marseillais aient sous-estimé l’ampleur du chantier, c’est probable. À Marseille, il faut conjuguer à tous les temps dans la même phrase : assumer le passé, assurer le présent et asseoir le futur. « Ici, le problème principal est le temps, estime Lionel Maltese, professeur en management du sport à l’université Aix-Marseille et consultant en marketing sportif, bon connaisseur de l’OM. Être dirigeant de l’OM, c’est cumuler les compétences business et sportive et avoir le bon réseau politique. Comme les journées font vingt-quatre heures, ici comme ailleurs, il vaut mieux avoir un cercle solide autour de soi. Eyraud a progressé dans le relationnel politique marseillais même s’il n’est pas encore totalement introduit. La compétence business, il l’a, sans aucun doute. Beaucoup de travail a été entrepris et accompli pour réorganiser le club avec en point d’orgue l’obtention de la gestion du Vélodrome. C’est un très bon entrepreneur, mais il doit vite devenir un bon manager, avoir les bons relais, sinon il risque le surrégime. » Eyraud, parce qu’il l’a souhaité, a été jusqu’ici seul en première ligne. McCourt a mis de l’argent au départ mais n’a pas aidé à développer de gros partenariats, seule façon de passer le cap du fair-play financier. Et, côté sportif, il n’a pas été aidé par l’attelage peu complice Garcia-Zubizaretta, le premier focalisé sur l’équipe première pour tenter d’en tirer le maximum malgré les carences, le second brillant par sa discrétion. Le profil différent de Villas-Boas peut améliorer le duo ; Eyraud souhaitait en tout cas un manager, avec son réseau et ayant un œil sur l’ensemble du sportif, davantage qu’un entraîneur, histoire de se soulager sans doute.
No Model Project
En attendant, beaucoup d’erreurs ont été commises. « Des erreurs, on en commet tous, admet Rolland Courbis. Mais, en commettre sur une douzaine de joueurs ces trois dernières années, c’est fort ! L’OM est plombé par des salaires “Ligue des champions” comme l’a dit Eyraud à propos de Strootman, des contrats longs et des joueurs âgés qui ne valent plus grand-chose à la revente et n’ont pas forcément envie d’aller voir ailleurs. L’OM doit vendre, mais qui ? Et on te dit maintenant qu’on va former les Papin, les Drogba, les Ribéry de demain ? Développer la formation, c’est bien sûr indispensable mais on te présente ça comme une roue de secours, un sparadrap parce que le reste n’a pas marché. » C’est d’ailleurs l’un des soucis de l’OM. « Quel est son business model ?, s’interroge Lionel Maltese. Sur la formation, le club est à des années-lumière de Lyon. Et si l’option est la post-formation façon Lille ou Monaco, l’OM est dépassé car il n’a pas mis en place le réseau indispensable. L’OM, c’est quelque chose d’hybride où l’on voudrait être au carrefour de tout ça. » Ce qui agace Clément, abonné depuis près de vingt ans : « Quelle est la cohérence ? On navigue à vue. On vous parle d’aller chercher des jeunes joueurs à fort potentiel et on entend parler de contact avec Benedetto (NDLR : Boca Juniors) un attaquant de vingt-neuf ans qui n’a jamais joué en Europe. Dabbur (attaquant international israélien de Salzbourg qui a marqué vingt buts la saison dernière), qu’on a affronté en Ligue Europa et donc que le club connaît, lui, est parti à Séville pour 15 M€ alors qu’il n’a que vingt-six ans ! Pareil pour Gonzalez (Villarreal), vingt-neuf ans lui aussi (ndlr : le défenseur espagnol est la première recrue de l’OM). Au moins, avec son arrivée, on se dit que “Zubi” sert, peut-être, enfin à quelque chose car on commençait à se poser des questions sur ses réseaux. Depuis deux ans, personne ne l’a entendu et personne n’a rien vu venir. On est toujours avec le seul Amavi qui ne met plus un pied devant l’autre tellement il est tétanisé par les sifflets ! Et le premier joueur qu’on vend, c’est Ocampos, jeune, et surtout le joueur le plus irréprochable la saison dernière ! Moi, je veux bien qu’on critique Thauvin en disant qu’il n’est pas là dans les grands rendez-vous, mais il avait qui autour de lui la saison dernière ? » Et, Thauvin comme les autres, plus sans doute car il est la plus grosse valeur marchande de l’effectif, peut à tout moment être transféré en cas d’offre imparable. À quoi ressemblera l’OM ? Un groupe revanchard comme ils l’affirment tous ? Ou traumatisé à l’idée de revivre de sales moments au Vélodrome ? « C’est difficile de mobiliser un groupe où les joueurs expérimentés sont en difficulté et les plus jeunes peuvent se sentir comme des monnaies d’échange. Qui entraîne qui pour trouver la bonne dynamique ? », s’inquiète Anigo.
Why not Project
L’idée de recruter ou de faire revenir des joueurs d’expérience comme Payet et Mandanda étaient une façon de gagner du temps et d’aider de plus jeunes joueurs à s’installer. Comme Tapie l’avait fait en son temps en attirant des Giresse et Tigana pour aider la nouvelle génération à éclore. Sauf que personne n’a entraîné personne. Et le manque de réussite s’en est mêlé. « Le parcours en Ligue Europa leur a coûté le podium et ç’a basculé du mauvais côté », déplore Courbis. Même analyse chez Gili : « Ils ont joué à quitte ou double en misant sur une qualification pour la Ligue des champions, mais le pari a été manqué. C’est le début des ennuis. Aujourd’hui, l’OM rencontre les difficultés de la plupart des clubs français qui doivent vendre avant d’acheter. Et les gens ne sont pas habitués de voir leur OM rabaissé au niveau des autres. » Lionel Maltese : « Le parcours en Ligue Europa a été l’arbre qui cachait la forêt. En fait, l’OM partait de beaucoup plus loin que cette finale face à l’Atletico pouvait laisser penser. L’erreur a été d’entretenir cette impression en ne donnant pas d’explications, voire en répétant pour convaincre que le décollage allait forcément suivre naturellement. » D’où l’impasse actuelle. Le risque est d’acter l’échec d’Eyraud et de repartir d’une page blanche. « Quand les premières défaites vont arriver, les gens ne vont pas en vouloir à Villas-Boas qui débarque. Ils vont s’en prendre à Eyraud. C’est le prochain sur la liste. Il a le mistral en pleine tête, et aucun abri pour s’abriter, estime Alonzo. Il faudrait absolument qu’un ancien, quelqu’un d’influent qui connaît le club et le contexte, vienne lui prêter main-forte. Il faut un ancien avec un rôle actif au quotidien pour parler à la presse, aux supporters, faire tampon avec tout ça. Ils n’ont pas d’excuse, les candidats existent. Je pense, par exemple, à Habib Beye ou à Éric Di Meco qui seraient parfaits dans ce rôle. » Mais ce que Paris a fait avec le retour de Leonardo, ce que réussit Lyon, le Real, la Juve, le Bayern ou le Barça en utilisant les compétences des pelouses d’hier dans les bureaux d’aujourd’hui, l’OM ne le fait pas. Et s’en remet à sa bonne étoile, à sa capacité de réaction quand tout le monde le voit moribond, pour passer le nouvel obstacle. « Malgré toutes les erreurs commises, malgré les manques de l’effectif, malgré la situation financière, la gronde du Vélodrome etc., l’OM a terminé cinquième la saison dernière, pas quinzième, explique Courbis. Deux ou trois bonnes recrues, un nouvel entraîneur avec un nouveau message, des cadres qui se réveillent (Payet a inscrit un doublé pour battre Bordeaux en préparation jeudi dernier) et… pourquoi pas grappiller les points qui les séparaient du podium ? C’est ça qui est formidable avec le football : on peut toujours se dire : “Pourquoi pas ?” »