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INTENABLE
L’OM sera privé de Coupe d’Europe la saison prochaine, et le Champions Project tourne au fiasco. Rudi Garcia et Jacques-Henri Eyraud, ses deux architectes majeurs, sont dans le viseur. BAPTISTE CHAUMIER ET MELISANDE GOMEZ (a vec M. Gr.)
Dimanche soir, au stade Orange Vélodrome, les Marseillais les plus inspirés n’étaient pas sur la pelouse, mais installés dans le virage sud, où les banderoles se voulaient moqueuses et acides, avant le coup d’envoi d’un match remporté par Lyon (3-0). Puisque les effets de communication peuvent vite devenir des effets boomerang quand les choses tournent mal, on y chambrait le fameux Champions Project, en le tournant à toutes les sauces mais l’idée était souvent la même : catastrophe project, ridicule project, naufrage project ou fiasco project, cela ne respirait pas l’admiration devant le travail des dirigeants.
Alors que l’OM s’apprête à vivre une saison sans Coupe d’Europe, le bilan est implacable, deux ans et demi après l’arrivée du nouveau propriétaire, Frank McCourt, en octobre 2016. Et le viseur se concentre, forcément, sur les hommes qui incarnent le projet depuis les premiers jours : Jacques-Henri Eyraud, le président qui allait changer les mauvaises habitudes du club et assainir son environnement, et Rudi Garcia, l’entraîneur qui poserait l’équipe sur le podium du Championnat, au moins.
Un entraîneur de plus en plus isolé qui se sait condamné
Puisqu’il l’a nommé et s’en est félicité à de nombreuses reprises, depuis, et surtout quand l’équipe a atteint la finale de la Ligue Europa, il y a un an, « JHE » a toujours défendu son entraîneur mais le plaidoyer est de plus en plus délicat. Débarqué dans le monde du foot en même temps qu’à l’OM, Eyraud paye aujourd’hui sa méconnaissance d’un milieu si particulier. Il a toujours porté une confiance aveugle en Garcia, lui a donné le pouvoir sur le recrutement, et l’a même prolongé jusqu’en 2021, en octobre dernier.
Aujourd’hui, en privé, il assure qu’il le referait, mais ce n’était pas l’idée du siècle, avec le recul, et cette marque de confiance pourrait coûter un peu d’argent : limoger Garcia cet été représenterait une dépense de plus de 10 M € mais il n’est pas sûr, vraiment, que la somme protège l’entraîneur, encore copieusement sifflé par les tribunes, dimanche.
Avec le public marseillais, la passion n’a jamais pris, même en plein cœur de l’épopée en Ligue Europa. De distantes, les relations sont devenues fraîches puis délétères. La cote d’impopularité de l’entraîneur atteint désormais des sommets et les plus contestataires ne se cachent pas forcément derrière des pseudos sur les réseaux sociaux, comme il a trop souvent voulu le croire.
Coupé du public, le technicien semble maintenant de plus en plus isolé dans le vestiaire. Certains joueurs n’ont pas caché leur énorme frustration de se retrouver sur le banc, face à Lyon. Les langues se délient, les reproches fusent. Les changements tactiques illisibles et répétés de Garcia – choix de repasser, contre l’OL, en 4-3-3 , un système qu’il avait abandonné depuis trois mois –, ses compositions d’équipe sans cesse renouvelées, trahissent, pour les joueurs, un manque d’emprise sur les événements.
Défendu par les leaders en plein cœur de la tempête, Garcia semble avoir perdu leur soutien au fil de ses décisions et de son management qui ne trompe plus personne. Récemment, il a ainsi convoqué un des cadres pour reconnaître ses erreurs et lui promettre du changement à quelques heures d’un match, avant de… le laisser de nouveau sur le banc.
Un énième épisode qui a interpellé le groupe, persuadé qu’il joue sa carte personnelle depuis des semaines. S’il reste vague sur ses responsabilités lors de ses sorties publiques, l’ancien coach de Lille commence à reconnaître ses erreurs d’appréciation en privé. Il a certainement sous-estimé la décompression de ses champions du monde, et il a trop tardé à demander l’aide d’un préparateur mental (Denis Troch). Garcia est décrit comme détaché et il a même laissé près de deux jours de repos à son groupe, convoqué en fin d’après-midi aujourd’hui, après la débâcle contre Lyon. Une initiative qui a choqué, vu le contexte actuel. En privé, il ne se berce plus d’illusions : il se sait condamné à très court terme et ce n’est certainement pas un hasard si ses agents sondent le marché pour lui trouver une porte de sortie.
Un directeur sportif un peu trop discret
Mais peut-il vraiment être le seul fusible de cette saison ratée sur le terrain et en dehors, entre des dépenses inconsidérées et l’explosion de la masse salariale ? Ce n’est pas sûr : une partie des joueurs pourrait lui emboîter le pas (voir page 4). Il y a ceux qui ont une valeur marchande et qui auront des offres, et il y a les autres, qui pèsent lourd en salaire mais que les dirigeants ne souhaitent pas forcément voir rester. « Il va y avoir un vrai rafraîchissement de l’effectif », annonce un proche du club. L’enveloppe disponible pour recruter dépendra beaucoup de l’instance de contrôle financier des clubs (ICFC) de l’UEFA.
Déficitaire la saison dernière, l’OM le sera encore au 30 juin prochain et il lui faut attendre le verdict de l’instance européenne avant d’avoir une idée de ses possibilités. Andoni Zubizarreta, le discret directeur sportif, n’est pas sûr de rester, lui non plus. Sa cohabitation avec Garcia n’a jamais fonctionné, ses réseaux en matière de recrutement sont invisibles, puisqu’il n’a déniché personne. La formation était l’un des chantiers prioritaires, et il y a planché, mais les travaux restent en cours : aujourd’hui, presque tous les éducateurs du centre de formation sont en fin de contrat et si le nom de Stéphane Roche circule, l’ancien Lyonnais n’est pas encore arrivé. Le Basque ne donne pas l’impression aux agents qui gravitent autour du club d’être sérieusement impliqué dans le prochain mercato, et son avenir est en suspens.
Et celui de JHE ? Sa part de responsabilité dans l’état des lieux peu reluisant de l’OM n’est pas négligeable, et les gens qui l’ont croisé, dimanche soir au stade, l’ont vu un peu moins serein qu’à son habitude. « Dans l’ascenseur, il était catastrophé, mais je lui ai trouvé beaucoup de courage pour rebondir », constatait Jean-Michel Aulas, qui n’a pas voulu s’assoir à côté du président marseillais, dimanche en corbeille, Tony Parker jouant les tampons. Évidemment touché par la saison décevante de l’équipe, Eyraud garde le cap, échange presque quotidiennement avec McCourt et assure se projeter sur les cinq années à venir, déjà.
La relation McCourt-Eyraud résistera-t-elle à la crise ?
Sa communication est très maîtrisée et la semaine dernière, à l’AFP, il faisait passer le message d’un actionnaire « extrêmement déçu ». Assez déçu pour destituer son président ? Les deux hommes se connaissent seulement depuis 2016 quand, par l’intermédiaire de Didier Quillot, directeur général de la Ligue de football professionnel (LFP), ils ont été mis en contact pour la reprise de l’OM.
Depuis, une relation de confiance s’est nouée entre McCourt, qui passe beaucoup de temps aux États-Unis, et Eyraud, le parfait anglophone. Impliqué dans la formation, dans le social, dans les partenariats noués dans la région, JHE n’a pas toujours compris la violence des critiques à son égard, mais c’est le jeu : l’équipe première prend toute la lumière et, quand elle n’avance pas, les feux sont violents. Saura-t-il les éteindre ? McCourt, lui, est attendu en Provence à la fin de la saison, et il a le temps de mûrir quelques décisions, d’ici là.
L'Equipe