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MARSEILLE, IVRE DE SON OM
Des politiques dépassés par l’engouement, des quartiers euphoriques, des générations qui se rassemblent. Depuis le début du mois d’avril, la ville ne vit que pour son club, comme si elle avait retrouvé son amour d’adolescence, au pouvoir d’attraction inchangé. Marseille, ivre de son OM
Des politiques dépassés par l’engouement, des quartiers euphoriques, des générations qui se rassemblent. Depuis le début du mois d’avril, la ville ne vit que pour son club, comme si elle avait retrouvé son amour d’adolescence, au pouvoir d’attraction inchangé. DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL PERMANENT
MATHIEU GRÉGOIRE MARSEILLE – Des cierges, le Vélodrome au second plan, un message simple : « Le 16 mai, tous derrière nos joueurs ! ! ! Allez l’OM ! » La quarantaine passée, l’œil vif, le père Nicolas Lubrano ne pouvait monter à Lyon sans accrocher d’abord son petit tifo aux grilles en fer forgé devant l’église de Saint-Barnabé, l’un des innombrables villages qui composent la cité de l’OM. Demain, le prêtre filera en minibus vers le Groupama Stadium, avec une dizaine de jeunes, tous membres, comme lui, des Fanatics. « Je suis arrivé à la paroisse de Saint-Barnabé il y a huit ans, confie-t-il. Ils m’ont emmené au stade, et j’ai été pris dans l’engrenage. » Âgés de dix-huit à vingt-cinq ans, les fadas de l’OM originaires des Caillols, de Saint-Julien ou de la Fourragère, sont devenus des compagnons de route, et le père Nicolas, pourtant né à Marseille, a découvert un club qui fédère, une passion qui transcende : « Le week-end dernier, lors d’un patronage à Saint-Julien réunissant près de 80 jeunes, on ne parlait que du tirage au sort pour avoir une place pour la finale chez les Fanatics, et pas vraiment du catéchisme ! Mais il y avait du coup un monde fou à la messe. Lorsque je prépare les mariages, les baptêmes, les obsèques, l’OM ouvre souvent le dialogue, permet d’accéder à des gens parfois éloignés de l’Église, de la religion. Dans le virage nord du Vélodrome, je retrouve parfois mes futurs mariés. Dans mes homélies, j’invite souvent les marraines et parrains, ou les témoins de mariage, à devenir comme ces supporters de l’OM qui restent fidèles à leur club dans la tempête, qui sont toujours debout pour chanter quel que soit le résultat. La fidélité, c’est fondamental. »
“Gaudin a bien conscience de l’importance de l’OM, il y a un attachement viscéral. Il n’a jamais voulu que le Vélodrome soit vendu, car cela fait partie pour lui du patrimoine
Patrick Fancello, ancien chef des Sports de « La Provence »
Elle avait un peu disparu, ces dernières années. Le maillot de l’OM, on l’avait rangé sous le survêtement de Chelsea. « Ou de Barcelone », sourit Djamel Belkacem, depuis son appartement au cœur de la Busserine. Ce travailleur social est un intime de Kassim Abdallah, l’ancien joueur de l’OM (2012-2014). Ils regarderont la finale à la buvette du stade Hamada-Jambay, au quartier. « C’est la folie, c’est n’importe quoi ce qu’il se passe, inexplicable, s’enthousiasme-t-il. Ici, les gens, ils s’en foutaient un peu de l’OM, tu avais des places pour le Vélodrome, cela ne les intéressait pas vraiment, ils avaient d’autres préoccupations. Aujourd’hui, ils sont en bombe, même les mecs du business (les stupéfiants), ils ne parlent que de l’OM. »
Dans une autre citadelle des quartiers nord, la Castellane, Manu Daher sourit en entendant « les récits du déplacement à Salzbourg », « les discussions de comptoir », qui ne tournent plus qu’autour de l’épaule de Sarr ou de la cuisse de « Jupiter » Payet. Cette figure du centre social et culturel n’en dira pas plus. En ce printemps, les petites mains comme les grands cerveaux des réseaux parlent un peu moins des concurrents, de carottages ou de représailles. « L’OM replace la ville à la place où elle doit être, poursuit Manu (39 ans). C’est ma fierté, c’est notre fierté, les petits, ça les pique (au cœur). » Mercredi encore, il les placera à gauche, « virage nord », ou à droite, « virage sud », devant le grand écran du complexe sportif. « Dans notre fan-zone, ils étaient près de 200 pour l’aller et le retour de la demie », dit-il avant que trois ultras ne s’emparent de son téléphone pour s’adresser à Jean-Michel Aulas, en chanson. Gena (11 ans), Waël (7) et Aymen (5), les enfants de Manu, adorent Thauvin, parce qu’il marque, dribble et “boulingue” (frappe fort).
Tout est question de transmission. Cela en a toujours été ainsi. Bien avant l’an 25 après Munich (1993), Jean-Yves Lopez, père de Maxime, a adulé Josip Skoblar et Marc Berdoll. Ancien chef des sports de la Provence, Patrick Fancello se souvient quand son père a été convoqué par le prof principal du collège, au début des années 1970 : « Il lui a demandé des explications à mes résultats, en dents de scie, alors que j’étais plutôt un bon élève. Mon père lui a répondu : “Vous n’avez qu’à regarder les résultats de l’OM.” » L’euphorie actuelle de la ville lui rappelle ces moments qui ont toujours enveloppé les grands événements, à commencer par la finale de la Coupe de France contre Bastia, en mai 1972 (2-1), quelques mois après avoir affronté l’Ajax de Cruyff en C 1. « Une équipe de l’OM, si elle dégage de l’empathie, si on reconnaît des valeurs dont on se sent proche, ça peut repartir soudainement, détaille Fancello. Le feu n’est jamais éteint, cela a toujours été des mouvements spontanés. À mon époque, il n’y avait pas de groupes de supporters pour structurer, ça déboulait des quartiers par milliers, une expédition joyeuse, on faisait du covoiturage, avant même que l’environnement devienne un sujet ! Moi, je descendais de la Barasse, dans l’est de la ville. »
“J’ai enregistré le match, le premier qui me dit le résultat et me met marron, je le tue
Moussa Maaskri, acteur fan de l’OM
Président de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (LR), Renaud Muselier, dont le père n’aimait pas le foot, avait sa technique : « J’avais huit ans à peine, je prenais la main d’un adulte et je rentrais avec lui, c’était gratuit pour les enfants ! Quand l’OM de Magnusson gagnait un titre, on sautait sur les populaires en bois, on défilait jusqu’au Vieux-Port, on montait sur les abribus. Aujourd’hui encore, j’aime les déplacements européens, j’ai vécu Leipzig, Salzbourg. Pour la demie aller, j’ai invité les présidents de région et des groupes LR au Sénat et à l’Assemblée, seul Christian Jacob, grand fan de l’OM, est venu. Il n’a pas regretté. »
Guère porté sur la chose footballistique et les stats de Florian « Dantin », Jean-Claude Gaudin a déjà raconté mille fois les longues marches, enfant, depuis son quartier de Mazargues jusqu’au Vélodrome. Le maire (LR) aime aussi relater sa période à la tête du club (1995-1996), notamment cette fois où il avait emmené l’équipe dîner dans un restaurant étoilé : un joueur (dont l’anonymat sera préservé) avait expédié son feuilleté à la truffe puis conclut que « c’était pas mal, mais moins bien que des spaghetti à la napolitaine ». « Comme Gaston Defferre (maire de 1953 à 1986), surtout féru de voile, Gaudin a bien conscience de l’importance de l’OM, il y a un attachement viscéral, explique Fancello. Il n’a jamais voulu que le Vélodrome soit vendu, car cela fait partie pour lui du patrimoine, ce n’est pas un stade loin du centre-ville. Il fait partie de nous, le Marseillais doit pouvoir le sentir, le toucher. Sur toutes les vues ou photos aériennes, il fait partie du paysage, des repères, comme le Vieux-Port et la Bonne Mère. »
Les élus locaux n’ont jamais négligé l’importance de l’OM. Pour tâter le pouls des groupes de supporters avant chaque échéance, Gaudin a le loyal Serge Botey, ex-adjoint à la culture, toujours membre de son cabinet. Le lundi 23 avril, le microcosme politique local s’est enflammé sur fond de fan-zone. Samia Ghali, sénatrice des Bouches-du-Rhône (PS), ou Benoît Payan, le chef de file de l’opposition PS au conseil municipal, ont fustigé l’apathie de la mairie, qui n’avait pas prévu un lieu et des écrans géants pour regarder OM-Salzbourg à Marseille. Ghali et Payan, comme tous les observateurs, n’avaient pourtant pas plus anticipé la ruée sur les billets du match, la veille, qui a laissé de nombreux supporters frustrés et fait germer l’idée de la fan-zone chez les mécontents.
La ferveur olympienne est un torrent qui déborde à sa guise, difficile à canaliser en amont. Les responsables de l’OM s’en sont rendu compte la semaine suivante, à la veille de la demi-finale retour, quand plusieurs centaines de supporters se sont massés devant la Commanderie. Pas question d’ouvrir les grilles, dit-on au club dans un premier temps. La foule mange les trottoirs, la route, les champs, les haies, on finit par la faire entrer, mais pas la presse et les caméras qui voulaient immortaliser la scène. Rachid Zeroual, le leader des Winners, gueule « Thierryyyyy, Thierryyyyyy » à l’attention de Thierry Aldebert, l’ancien du GIGN, et le directeur de la sécurité se plie à sa requête : les journalistes accèdent au parking, comme les fans avant eux.
Demain, où seront-ils, pour le grand moment ? Dans un local de la Belle-de-Mai, entre combattants de MMA admiratifs de la grinta de Luiz Gustavo, pour le musculeux Yvan Sorel, prêt à « dégainer les fumigènes ». Dans une salle de théâtre à Compiègne, pour l’acteur marseillais Moussa Maaskri, qui jouera Zorba le Grec pendant la finale. Le gars du Merlan a prévenu : « J’ai enregistré le match, le premier qui me dit le résultat et me met marron, je le tue. Les maillots du PSG dans Marseille nous arrachaient les yeux, on a retrouvé l’amour du club, mes grands gosses me demandent de leur raconter l’histoire de l’OM. » Elle est en marche.