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Finales des Coupes d'Europe : l'OM, le Liverpool du Sud
Finalistes de la Ligue Europa (Marseille) et de la Ligue des champions (Liverpool), les deux clubs, les deux villes, ne sont pas sans points communs.
Il est né à Liverpool et a joué à Marseille : pour Joey Barton, vice-champion de France avec l'OM en 2012-2013, pas de doute, «il y a une vraie ressemblance entre les deux villes, de grands ports avec des problèmes économiques et sociaux. Tout est pareil, à part le temps qu'il fait et la langue qu'on parle, jugeait-il le lendemain de son premier match en Ligue 1. La passion du foot est la même et tu dois mouiller le maillot pour des gens qui bossent dur.»
Le «bad boy» anglais n'est pas le seul à établir un parallèle entre le finaliste de la Ligue Europa (le 16 mai à Lyon contre l'Atlético de Madrid) et celui de la Ligue des champions (le 26 mai à Kiev face au Real Madrid). Stéphane Henchoz, ancien défenseur central international suisse passé chez les Reds (1999-2005), résumait ses impressions pour le quotidien Le Temps en mars 2016 : «Liverpool, c'est un peu Marseille quartiers nord avec l'accent des Ch'tis !»
«Si vous voulez comparer Marseille avec une équipe en Angleterre, c'est comme Liverpool.» Là, c'est Robert Pires. L'ancien joueur d'Arsenal et de Marseille trouvait en début de saison des similarités dans les trajectoires sportives des deux clubs. «Ils ont une équipe talentueuse, avec de bons joueurs, mais ils luttent constamment pour le titre face à des équipes qui souvent les devancent.» Monaco, PSG, Lyon et Nice ont pris le meilleur sur l'OM, cinquième la saison dernière, quand Liverpool terminait quatrième après Chelsea, Tottenham et Manchester City.
D'où des saisons au long cours pour en arriver aux finales : avant les matches de Championnat du week-end, Marseille a disputé 58 rencontres, toutes compétitions confondues (record d'Europe), et Liverpool en a joué à peine moins (53). Deux forçats de la route européenne, deux palmarès uniques dans leur pays : cinq Ligues des champions pour les Reds (deux de plus que Manchester United) et des Marseillais «à jamais les premiers» depuis 1993.
«Le football est devenu pour ces deux villes un marqueur de leur identité, décrypte le sociologue Ludovic Lestrelin, enseignant-chercheur à l'université de Caen Normandie (*). Ce sport a servi symboliquement à enrayer la spirale du déclin de ces deux grands ports coloniaux frappés par la désindustrialisation et les difficultés sociales. Le football a fonctionné comme un ressort pour leur permettre d'être premier au moins dans quelque chose. Outre leur palmarès, les deux clubs ont été pionniers pour imprégner leur Championnat de la culture ultra et rayonner au-delà de leur aire naturelle, dans leur pays et à l'étranger, souvent en opposition au reste du pays, surtout à la capitale.»
Lorsque Stéphane Henchoz résume le sentiment général qui prévaut, selon lui, en Angleterre à propos des «scousers» (les habitants de Liverpool), on repère sans peine des clichés qui peuvent aussi courir sur le compte des Phocéens. «Les habitants de Liverpool seraient tous des chômeurs, des voleurs et des vendeurs de drogue, [parlant] avec un accent débile», énumère-t-il.
«Les deux villes ont aussi mauvaise réputation l'une que l'autre, confirme Ludovic Lestrelin. "Gare à tes affaires quand tu vas là-bas", "Attention aux agressions", etc. On entend les mêmes remarques sur cette insécurité fantasmée. Ce discours puise aussi dans le football. Souvenez-vous du drame du Heysel où la responsabilité des fans des Reds était engagée. A une tout autre échelle, les chants des supporters de l'OM promettant de "tout casser" à Lyon participent d'une tradition de la rivalité, rebelle et anti-bourgeoise.»
De par leur essence portuaire qui a favorisé les brassages, Marseille comme Liverpool cultivent sans doute plus qu'ailleurs l'art de l'intégration. Ce n'est pas la moindre des performances de Mohamed Salah, l'attaquant international égyptien de Liverpool, de faire chanter Anfield à la gloire des musulmans, comme le rapporte Le Monde, citant ce couplet entendu cette saison dans le «Kop» : «S'il met encore quelques buts, je vais me faire musulman aussi/Assis dans une mosquée, c'est là que je veux être (If he scores another few, then I'll be muslim too/Sitting in a mosque, that's where I wanna be).»
Un pont économique unit aussi les deux finalistes non espagnols du dernier carré européen puisque l'un et l'autre sont la propriété d'investisseurs américains issus du baseball : John W. Henry, qui contrôle les Red Sox de Boston, a racheté Liverpool en 2010, et Frank McCourt, ancien propriétaire des Dodgers de Los Angeles, en a fait de même avec l'OM six ans plus tard.
C'est contre le premier que les supporters des Reds avaient mené en 2016 une guerre contre l'inflation du prix des billets. «77 livres (100 €), c'est cher partout pour voir un match, mais ce prix est beaucoup trop élevé pour Liverpool», avait tonné Jamie Carragher, l'ancien défenseur des Reds, en référence au niveau de vie de la plus pauvre des grandes villes britanniques.
«Même si le débat sur le prix des places n'est pas nouveau, la protestation de Liverpool, par son ampleur, est une alerte pour tous les clubs, jugeait à l'époque dans nos colonnes Vincent Chaudel, expert sport du cabinet Wavestone. La question est spécialement sensible à Liverpool où les supporters font partie plus qu'ailleurs de la valeur même du club.» Les scènes de liesse au Vélodrome, après la qualification, rappellent que la valeur de l'OM ne se mesure pas non plus seulement au nombre de ses actifs matériels mais aussi à la popularité, à l'histoire, au palmarès et au mythe de cette Liverpool du Sud.