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L'encombrant Monsieur Rybolovlev; Le milliardaire russe s'est rendu indispensable en ramenant le club de foot de la principauté au sommet. Mais ses démêlés judiciaires issus
Ses prises de parole sont ra rissimes. Le milliardaire russe Dmitri Rybolovlev, propriétaire de l'AS Monaco (ASM), s'est pourtant invité, le 8 juin, sur RMC Sport, pour affirmer qu'il se sentait « très heureux à Monaco » et flatter le prince : « Il est associé à toutes les grandes décisions et son avis est toujours très pertinent. » Dix jours plus tôt, c'est Albert, grand fan de foot, qui quali fiait leurs relations de « très bonnes » : « Je tiens à le remercier pour toute son action dans la gestion de l'ASM. » Un assaut d'amabi lités bienvenu après les dernières péripéties judiciaires qui ont vu le conflit entre Rybolovlev et le marchand d'art Yves Bouvier dégénérer en « Monacogate », provoquant le départ du ministre de la Justice lo cal. Un improbable imbroglio qui vient ternir l'aventure monégasque du Russe dont le Palais n'avait eu, jusqu'à présent, qu'à se féliciter.
Fortune bâtie dans la potasse C'est en 2011 que la 242e fortune mondiale (selon Forbes) a quitté la Suisse pour amarrer son yacht au Rocher. Il vient alors de vendre ses parts dans Uralkali, géant russe de la potasse, acquises lors des privati sations sauvages sous Eltsine. Pour 235 millions d'euros, il s'offre un somptueux penthouse de 1600 mè tres carrés, « avec terrasse circulaire sur le toit, bibliothèque sur deux étages, piscine à débordement, salle de jeux et de cinéma, ou panic room (chambre forte) », pré cise le journaliste Arnaud Ramsay dans une biographie récente. Et pour un euro symbolique, il reprendles deux tiers du capital de l'ASM, qui se morfond en Ligue 2; le Palais détient le tiers restant. Depuis, l'homme d'affaires de 51 ans a investi plus de 300 millions dans le club. Il a d'abord dépensé sans compter pour se payer quelques stars avant que le fair-play financier imposé par l'UEFA ne l'oblige à revoir son modèle. Désormais, le club mise gros sur des jeunes à haut potentiel et équilibre ses comptes chaque année, en revendant ses pépites au prix fort. Il vient ainsi d'envoyer le Brésilien Fabinho à Liverpool pour 50 millions et va encaisser les 180 millions du transfert définitif du Français Kylian Mbappé au PSG. Malgré ces va-et-vient incessants, l'entraîneur Leonardo Jardim a réussi à décrocher le titre de champion en 2017, une première depuis 2000 pour l'ASM, qui l'année suivante a conclu une saison erratique en finissant deuxième et en se qualifiant pour la Ligue des Champions.
Record de vente pour un Vinci Tout irait donc pour le mieux sur le Rocher sans ce satané Yves Bouvier. Le Suisse est l'homme qui a permis à Rybolovlev de monter sa somptueuse collection d'art : deux milliards investis dans des tableaux de maîtres (Picasso, Monet, Modigliani…), dont le fameux Salvator Mundi de Leonard de Vinci, revendu récemment au prix record de 382 millions. Sauf que le Russe accuse son conseiller d'avoir d'abord acheté les tableaux en douce pour son propre compte avant de les lui rétrocéder, empochant au passage de juteuses plus-values. Une plainte pour escroquerie a été déposée en 2015 à Monaco et déclenché l'ouverture d'une information judiciaire. En marge de cette enquête, le téléphone de l'avocate de Rybolovlev a été saisi après que cette dernière a enregistré sauvagement une conversation avec une résidente monégasque ayant joué les intermédiaires entre Bouvier et le Russe. Un enregistrement qui vaut à Rybolovlev d'être mis en examen pour complicité d'atteinte à la vie privée. Surtout, l'exploitation des textos a fait les choux gras de la presse hexagonale et révélé les liens de proximité du clan Rybolovlev avec les policiers monégasques : échanges de textos juste avant l'interpellation du Suisse, invitations aux matchs de l'ASM, Samovar offert pour l'anniversaire du chef de la Sûreté publique… Dès lors, Francis Szpiner, l'avocat de Bouvier, a beau jeu de dénoncer « la tendance de M. Rybolovlev à considérer la justice comme son auxiliaire ». Mais l'entourage du Russe assure que ces petites attentions n'ont eu aucune influence sur le cours de la justice et rappelle qu'il est d'abord une victime.
Villa de Trump, trusts à Chypre Quoi qu'il en soit, le Rocher a été contraint de lancer une opération mains propres et d'ouvrir une enquête pour trafic d'influence. Principale victime : le ministre de la Justice lui-même, le controversé Philippe Narmino, invité avec sa femme à passer le week-end à Gstaad dans le chalet du Russe. Narmino, dont les bureaux et le domicile ont été perquisitionnés, a été poussé vers la retraite en septembre 2017 par le prince, qui a déclaré « qu'aucun manquement ne sera toléré ». Il n'a guère apprécié la mauvaise publicité provoquée par cette affaire. Depuis, les rumeurs de désamour entre Rybolovlev et le Palais vont bon train. On dit le Russe agacé que le prince ne lui ait toujours pas octroyé la nationalité monégasque. « Cela n'a jamais été un sujet pour lui ni une condition pour investir dans le club, comme le montrent son action à la tête de l'ASM depuis 2012 et le dernier exemple en date, le projet de modernisation du centre d'entraînement de La Turbie », balaye Bruno Skropeta, le directeur de la communication de Rigmora Holdings, le family office de Rybolovlev. Installés dans des bureaux à deux pas du Palais, une trentaine d'employés gèrent ses participations et son fabuleux patrimoine immobilier : un hôtel particulier à Paris, une propriété et un restaurant à Saint-Tropez, des appartements à New York et Moscou, l'ancienne villa de Donald Trump en Floride, l'île de Skorpios en Grèce, où il veut bâtir un grand complexe hôtelier… Tous ces biens sont logés dans des trusts à Chypre. Une île qui lui a déjà offert son passeport et fait de lui un citoyen européen. David Bensoussan
« Monsieur Rybolovlev a tendance à considérer la justice comme son auxiliaire.» Francis Szpiner, avocat d'Yves Bouvier.
L'autre tsar du Rocher Il n'est ni russe ni milliardaire comme Rybolovlev, et son penthouse ne fait « que » 1000 mètres carrés. Mais Sergey Dyadechko fait aussi des merveilles dans le sport : en quelques années, l'Ukrainien a propulsé le club de basket de la troisième division à la finale des playoffs de la Jeep Elite (ex- Pro A), que Monaco dispute actuellement face au Mans. Si les deux hommes ne se fréquentent guère, ils doivent leur arrivée sur le Rocher au même « parrain » : l'homme d'affaires belge Willy De Bruyne, très bien introduit au Palais. Dyadechko a débarqué en principauté en 2012, après avoir échappé de justesse à une tentative d'assassinat. Il serait devenu un témoin gênant dans une affaire de détournement de fonds publics, liée au sauvetage de sa banque, la Rodovid, présidée par son ami, le mythique perchiste Sergueï Bubka. L'Ukrainien, qui était président du club de Donetsk et pilote désormais une fondation sportive dans son pays, a commencé par financer l'AS Monaco basket avant d'en prendre la tête en 2015. Il a dopé les ressources du club sans faire de folie : avec 6,3 millions d'euros, la Roca Team n'a que le troisième budget du championnat. L'exbanquier a su aussi se fondre dans le microcosme local. Il a notamment embauché comme vice-président Paul Masseron, ancien ministre de l'Intérieur de la principauté, qui fut aussi le conseiller de… Rybolovlev au sein du club de foot.•
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