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Sport | 5 mars 2017
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Mbappé, portrait d'un crack de Ligue 1
À 18 ans, l’attaquant de Monaco Kylian Mbappé brûle les étapes comme il grille les défenses. La Ligue des champions l’a révélé, mais il est convoité depuis toujours.
Kylian Mbappé exulte après son but contre Manchester City, le 21 février. (Reuters)
Quand Anthony Martial se pointait au centre d'entraînement de La Turbie, il garait sa voiturette au milieu des grosses cylindrées. Kylian Mbappé n'a pas le permis, lui non plus, mais il se fait conduire. La forme diffère mais, au fond, leur feuille de route est semblable. Il est question de dribbleries, de fulgurances, de promesses. Donc de fantasmes. Donc de gros sous. Martial a traversé la Manche en 2015 à 19 ans, moyennant 80 millions d'euros (dont 30 de bonus). Mbappé en a à peine 18 qu'on lui demande s'il se voit battre ce record de transfert pour un joueur de L1. "Il a un Martial dans chaque jambe, répond un agent majeur. C'est du niveau de Neymar ; bien sûr que les enchères iront plus haut. Tous les grands clubs le suivent et se doutent qu'il faudra aligner 100 Meuros."
Tout ça dépasse un peu le gamin. Ou plutôt lui glisse dessus. Le foot business a beau le couver de son irrationalité, la fraîcheur reste le trait marquant de Kylian Mbappé. "La seule chose qui l'intéresse, c'est le terrain. Il rentre dans un grand match comme s'il jouait encore en bas de chez lui", nous disait il y a quelque temps son père Wilfrid. Qui aujourd'hui préfère couper court aux sollicitations, même s'il comprend l'emballement. Tout s'est accéléré il y a douze jours, à l'Etihad Stadium de Manchester (5-3). Première titularisation en Ligue des champions, premier but, et un culot monstre. L'Europe entière découvre le phénomène. Pep Guardiola – "Il va si vite" – ou Paul Pogba – "Il m'a impressionné" – sont invités à le jauger. La fusée Mbappé est lancée, même si deux triplés (Coupe de la Ligue et championnat) avaient servi d'allumage.
En Bleu le 16 mars?
Les stats, du reste, en disent long sur l'empreinte laissée par cet attaquant capable de mordre la ligne comme de percer plein axe. Souvent confiné à un rôle de joker, il a disputé 1.346 minutes cette saison pour 13 buts et 9 passes décisives. Top rentabilité. Et puisque rien ne va trop vite, on évoque déjà l'équipe de France. Alors qu'il en était encore, l'été dernier, à mener les U19 au titre européen et n'a jamais mis un pied en Espoirs. Le 16 mars, qu'il l'intègre ou pas à sa liste pour affronter le Luxembourg et l'Espagne, Didier Deschamps aura à se prononcer sur le Monégasque. "Il y a peu de phénomènes de ce genre", souffle-t-on dans l'entourage des Bleus. L'attraction du moment, c'est lui. Et tout sauf une surprise.
Rarement, dans le petit cercle des chasseurs de nouvelles têtes, on a vu venir un garçon de si loin. "Depuis qu'il a 11 ou 12 ans, j'avais des infos sur lui, témoigne le recruteur d'un grand club européen. Mais en général, le joueur qu'on nous signale si tôt n'existe plus cinq ans plus tard. Lui, sa progression a été continue. Il est paramétré pour le haut niveau. Sans aucun signe laissant croire qu'il pourrait péter un plomb." Immergée dans le sport, la famille veille, lucide. Fayza, la mère, ex-handballeuse de haut niveau, s'occupe du volet marketing ; Nike équipe le garçon depuis ses 13 ans. La partie sportive est le fait du paternel, éducateur à l'AS Bondy (Seine-Saint-Denis), là où Kylian a fait ses classes. En appui, on retrouve l'oncle, ex-directeur sportif de Sedan. Et le frère adoptif, Jirès Kembo-Ekoko, ancien attaquant de Rennes.
"L'étiquette Real"
Le clan a déjà eu à faire des choix forts. D'abord celui du centre de formation, au sortir de l'INF Clairefontaine. Cela mène au fameux épisode du Real Madrid, avec Zidane en personne pour l'accueillir et une photo avec Cristiano Ronaldo. L'étranger dès 14 ans? Risqué. Caen tient un temps la corde, Monaco l'emporte. "En général, on faisait venir le joueur ciblé pour des tests, se souvient Souleymane Camara, alors patron du recrutement des jeunes. Avec Kylian, ce n'était pas la peine. L'échange avec la famille a été très plaisant. On a très peu parlé de l'aspect financier, mais beaucoup de l'évolution de l'enfant." Pour faciliter la transition, le père s'installe une saison sur place.
Mais les débuts s'avèrent cahoteux. "Beaucoup, en interne, se demandaient pourquoi on l'avait fait venir, reprend Camara. Il avait l'étiquette du gamin qui devait signer au Real, ça l'a desservi tant on était exigeant avec lui. Le club a mis du temps à comprendre qu'il tenait une pépite." Quand le petit Mbappé n'est pas aligné, le sourire déserte. C'est comme si on le privait de son habitat naturel, lui qui passe son temps à parler de foot, prolonge le plaisir sur console (Real, Barça et PSG en équipes fétiches). Les nuages se dissipent en U19, où il est surclassé : quatre rencontres et autant de doublés pour débuter. "Il nous gagnait les matches à lui tout seul", se rappelle un coéquipier. Direction la CFA, en mode express là encore.
A l'automne 2015, profitant des absences à la trêve internationale, on le pousse vers l'entraînement des pros. Leonardo Jardim est parti lui aussi en Amérique du Sud pour superviser un joueur. Ses adjoints lui signalent ce gamin intrépide, aux dribbles effrontés. A son retour, le technicien portugais comprend d'emblée qu'il a affaire à un futur crack, même s'il juge que Mbappé doit mettre de l'ordre dans son jeu et travailler sur l'impact physique. Il lui offre son baptême en L1 juste avant ses 17 ans. Le premier but arrive deux mois et demi plus tard. Record de précocité local : Mbappé efface Thierry Henry, dont le style et le parcours relèvent du copier-coller.
80.000 euros brut de salaire
Tout semble avoir été fluide. La coulisse était pourtant agitée : la signature du premier contrat pro a pris des mois. A la table des négociations, Wilfrid Mbappé attendait des signes forts avant de s'engager. D'abord en termes de temps de jeu. Jardim, lui, était réticent à exposer un talent susceptible de filer gratuitement à la concurrence, à l'affût et fournie. Arsène Wenger s'implique alors personnellement pour Arsenal. Au PSG, c'est Olivier Létang qui maintient le contact. L'aspect financier coince aussi. Devant la lenteur des discussions, le vice-président Vadim Vasilyev finit par dresser un ultimatum, sous peine de retour à la case U19. Wilfrid Mbappé s'en affranchit sans paniquer.
Il y a un an jour pour jour, son fils s'est donc engagé avec l'ASM jusqu'en 2019, avec une prime à la signature avoisinant 1,6 Meuros et un salaire de 80.000 euros brut. Evidemment très au-dessus des standards pour un premier contrat (autour de 5.500 euros à Monaco). La direction sait déjà qu'il faudra monter le curseur de plusieurs crans en vue d'une prolongation. A priori, l'interlocuteur sera encore le même : pour l'heure, Mbappé père refuse l'immixtion d'agents, malgré d'incessantes relances, se reposant sur le cabinet Verheyden & Cognard (qui compte Teddy Riner parmi ses clients) pour le cadre juridique.
D'abord sous l'aile de Lacina Traoré, Mbappé a désormais pris son envol. S'il a joué les utilités en début de saison, ce qui a agacé son entourage au regard des engagements initiaux du club, il n'est plus considéré comme un simple chérubin dans le vestiaire. "Il chambre beaucoup, il est à l'aise, j'ai même l'impression que c'est le gars le plus apprécié du groupe", observe un autre jeune de l'effectif. Les éloges, la notoriété? "Aucune influence sur lui, zéro pression. Il ne se prend pas pour un autre. Là, il passe son code et, le connaissant, il ne va pas flamber avec une première voiture tape-à-l'œil." Peu importe, la route est tracée.
*Monaco-Nantes. Stade Louis-II (21 h, Canal+)