« J'ai vite déchanté »
PIERRE MÉNÈS
LAURENT BLANC explique sans détour les raisons de l'échec de sa venue à l'OM.
« COMMENT AVEZ-VOUS réagi au communiqué de Christophe Bouchet, samedi dernier ? - Il n'y a eu aucune surprise. Cela faisait quinze jours, trois semaines, que je savais que je n'irais pas à l'OM.
- Pourtant, au début, votre arrivée semblait acquise. Que s'est-il passé ?
- Nous avons été en négociations pendant un mois, un mois et demi. Durant les quinze premiers jours, les discussions ont été intéressantes. Après, j'ai eu l'impression qu'on s'attardait beaucoup plus sur la réelle définition de mon poste que sur l'intérêt sportif du club. Ce qui m'intéressait avant tout, c'était de savoir comment nous allions travailler ensemble pour arriver à quelque chose. C'est pour ça que j'avais été contacté, du moins je l'espère.
- Comme argument à votre non-venue, Christophe Bouchet explique que vous avez changé d'avis sur votre poste en cours de négociations. Qu'avez-vous à répondre ?
- Dès le départ, j'avais été très clair et j'avais dit que je voulais à peu près toutes les responsabilités dans le domaine sportif. Je désirais prendre en considération tout ce qui concernait le technique et m'occuper de l'équipe première.
- Et faire la composition de l'équipe ?
- Entre autres, oui. Je pense que c'est là que sont nées les difficultés. Mais j'aurais aimé aussi que l'on comprenne que le domaine sportif ne peut pas être l'affaire d'un seul homme, dans un club de la dimension et de l'ambition de l'Olympique de Marseille. J'avais envisagé la construction d'une équipe technique où tout le monde tirerait dans le même sens, un projet fédérateur.
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Dans ce projet, quelle était la place de José Anigo ?
- Entraîneur.
« J'espère que RLD sera plus convaincant »
- Oui mais un entraîneur qui ne fait pas la composition de l'équipe, c'est un entraîneur adjoint, non ?
- C'est ce qui a causé beaucoup de problèmes, en effet. Même si je sais qu'en France, on a du mal à raisonner comme ça, beaucoup plus qu'en Angleterre, en tout cas. En fait, même si je voulais être très proche de l'équipe, je ne pouvais pas en être l'entraîneur.
- José Anigo l'avait-il admis ?
- Je ne sais pas. Mais j'avais été très clair avec lui dès le début, et les choses me semblaient bien précisées. Tout restera clair entre nous.
- Et avec Christophe Bouchet ?
- J'ai eu pas mal de contacts avec lui, notamment le tout premier. Il avait pensé à moi pour un rôle bien précis et je voulais que ce rôle soit bien plus consistant. Il y a eu une évidente divergence de vues, et ça, je l'accepte. Ce que je n'accepte pas, c'est le manque de clarté par rapport à moi, ainsi que l'accumulation de déclarations pas toujours très bien venues. On aurait pu éviter de perdre tant de temps.
- Pas mal de rumeurs ont ainsi couru. Que vous demandiez 150 000 euros de salaire mensuel, que vous vouliez faire entrer Jean-Claude Darmon au club...
- Mais tout ça est faux et archifaux, et ça a d'ailleurs été confirmé par Christophe Bouchet. De toute manière, nous n'avions même pas entamé de discussions financières. Tout cela a été colporté par des gens qui avaient tout intérêt à ce que je ne revienne jamais à l'OM.
- Quelle a été l'attitude de Robert Louis-Dreyfus, dans toute cette histoire ?
- C'est quelqu'un dont l'attitude m'a semblé très énigmatique, pour ne pas dire plus, dans ce dossier. Je me souviens que, lorsque j'avais quitté Marseille pour signer à l'Inter, il m'avait dit : "Je suis très malheureux que vous partiez mais, en même temps, c'est mieux pour vous." Cette phrase était restée gravée dans ma mémoire, parce que je l'avais trouvée très mystérieuse. J'espère que, pour la suite des événements, et dans l'intérêt de son club, il sera plus convaincant.
- Y a-t-il de la déception chez vous ?
- Je pensais, et je pense toujours, que l'on pouvait faire quelque chose de bien. Je reste convaincu que l'OM peut et doit retrouver son rang. Pour le reste, j'ai vite déchanté. Mais mon cas personnel n'est pas un problème. Le plus important, c'est le club. Et il faudrait que tout le monde ait la même pensée. »
Bouchet : « Conforme à ce que j'ai perçu »
Le président marseillais considère que les propos de Laurent Blanc reflètent la réalité de leurs négociations.
INFORMÉ DU CONTENU de l'entretien accordé par Laurent Blanc, Christophe Bouchet a réagi ainsi aux explications données par l'ancien international : « Ce qu'il dit sur le déroulement et le détail des négociations est conforme, à quelques détails près, à ce que j'ai perçu. Lui et moi avons discuté très précisément et longuement de la définition du poste à pourvoir à l'OM et, de sa part comme de la mienne, cela correspondait à la volonté de bien préciser les choses, avant plutôt qu'après. J'ai rencontré quelqu'un qui a tenu des propos et avancé des arguments extrêmement clairs et limpides. »
Le président marseillais relève toutefois ceci dans l'argumentation de l'ancien champion du monde : « Lorsqu'il dit que nous nous sommes exagérément attardés sur la définition de son poste au détriment de l'intérêt sportif, moi, je pense que les deux choses sont intimement liées. C'est pour cela qu'il fallait bien préciser ses éventuelles attributions, dans l'intérêt du sportif. D'autant que la venue de Blanc, ce n'est pas un événement ordinaire dans un club. »
À propos de la non-intervention de Robert Louis-Dreyfus, Christophe Bouchet répond que « ce que Laurent n'a pas compris, et ses conseillers non plus, c'est que Robert Louis-Dreyfus ne veut plus prendre de décision dans le club, dans la mesure où il a totalement changé son mode de travail par rapport au club. Il a évidemment un avis en tant qu'actionnaire principal, que je sollicite deux fois dans la saison, au moment des mercatos d'été et d'hiver. Mais pour le reste, il se refuse à intervenir en quoi que ce soit ».
Pour le reste, Bouchet regrette seulement la petite phrase de Blanc évoquant son désenchantement : « Je trouve cela dommage, parce que j'ai rencontré quelqu'un qui se proposait de prendre personnellement une lourde responsabilité, c'était très courageux de sa part. Il est inexact de laisser penser qu'au club, tout le monde ne va pas dans le même sens. Si cela ne s'est pas fait avec Laurent, c'est parce que ce n'était pas le bon poste au bon moment. À un moment, il y a eu télescopage entre le poste de directeur sportif qui était à pourvoir et sa volonté d'être manager général. Peut-être que, trois mois plus tôt ou plus tard, cela aurait pu se faire. Mais ce que j'ai dit aussi à Laurent, c'est que la vie était longue... »
Emile déçu, mais fataliste
ROTTERDAM - (HOL) de notre envoyé spécial
Bien que sollicité en premier, Henri Émile s'est solidarisé avec Blanc et a décliné l'offre de l'OM.
HENRI ÉMILE VEILLE à ce que rien ne manque sur la pelouse du stade de Rotterdam avant l'entraînement des Bleus. Ces gestes, l'entraîneur adjoint de Santini en charge de la logistique les connaît par coeur. Il les exécute depuis août 1984 au service de l'équipe de France. Il se voyait pourtant bien les répéter pour une des dernières fois.
L'OM lui faisait en effet la cour depuis début février, soit une dizaine de jours avant d'approcher Laurent Blanc. Ses cadres se révélant jeunes et, pour la plupart, novices au haut niveau, le club phocéen cherchait à s'attacher les services d'un élément d'âge mûr, expérimenté et bénéficiant de ses entrées auprès des instances nationales et internationales. Le choix s'est logiquement porté sur Henri Émile, qui dispose par ailleurs de tous ses diplômes d'entraîneur.
Conseillé notamment par Hidalgo, Christophe Bouchet avait donc profité de Marseille-Ajaccio (2-1) pour établir un premier contact, le 7 février. Les deux hommes s'étaient ensuite revus à Marseille à l'occasion de la venue de Dniepropetrovsk (1-0), le 26 février. Le poste exact et élargi d'Émile avait même été défini : coordinateur général de l'équipe professionnelle, comme au temps de Jacquet en sélection.
« Le club passe à côté de quelque chose de grand »
Si la perspective de l'arrivée de Blanc changeait la donne, elle ne faisait que le conforter dans son désir. « J'ai vu dans "Lolo" quelqu'un de déterminé, ambitionnant quelque chose de grand pour l'OM, avec des idées sur le recrutement, explique Émile. Je me suis retrouvé dans son projet. »
Bien qu'il n'y fût pas obligé, ce dernier a décidé de s'y associer. Les deux compères ont profité de leur présence conjointe à Clairefontaine, le mois dernier (Blanc y passait le premier degré du diplôme d'entraîneur), pour peaufiner leur nouveau projet commun. Il en était notamment ressorti qu'Émile ne rejoindrait l'OM qu'après l'Euro. En attendant, Blanc se serait occupé de débroussailler le terrain et de fixer les priorités.
Une autre date avait aussi été arrêtée : le 27 mars. Courant avril, Émile doit en effet se rendre aux îles Féroé, à Chypre et à Rennes afin de boucler la reprise des Bleus jusqu'en novembre. Par correction vis-à-vis de son employeur (la FFF), ce dernier souhaitait être fixé sur son avenir avant.
C'est dans cette optique qu'il a vu Bouchet pour la troisième et dernière fois, samedi dernier à Marseille. « Il m'a fait part de son désir de renforcer Anigo et de voir Blanc acquérir d'abord une expérience avant de le rejoindre, raconte Émile. Je comprends son attitude. Mais le club passe à côté de quelque chose de grand car, à des degrés et des compétences différents, on épousait le même projet coup de coeur avec "Lolo". »
Après avoir déjà passé une partie de sa carrière à l'OM, Émile rêvait d'y revenir. Mais, après 1986, et malgré l'insistance d'Hidalgo (alors entraîneur), puis il y a quatre ans à la demande de Ceccaldi, ce Méridional dans l'âme a été contraint de se désister à nouveau. « Mon sort n'était pas lié à "Lolo", rappelle-t-il. Mais, comme je marche à l'affectif, je ne me voyais pas venir à Marseille dans ce contexte. Comme je l'avais promis à Laurent, je me suis retiré. » Avec une pointe de regret : « Je ne suis pas amer, mais déçu. Car je sentais les choses. Peut-être qu'un jour les choses évolueront. »
Pape Diouf en pole
DOMINIQUE ROUSSEAU
L'agent de joueurs est désormais le mieux placé pour occuper le poste de directeur sportif de l'OM.
POUR L'INSTANT, Christophe Bouchet se refuse à donner une indication sur l'identité du futur directeur sportif du club : « Il y a effectivement les pistes Henri Biancheri et Pape Diouf, entre autres. » Il décrit le Monégasque de manière élogieuse (« Il n'y a pas beaucoup de clubs en France qui disposent d'hommes de sa valeur ») et rappelle, à propos du second : « Je l'ai contacté pour occuper le poste à mon arrivée et, que je sache, il n'est pas devenu mauvais entre temps. »
Pape Diouf, 52 ans, est également en pole position afin d'occuper le poste. D'origine sénégalaise, il était employé à La Poste à Marseille avant de devenir journaliste à La Marseillaise, puis au Sport et à L'Hebdo (première mouture) de Marseille, avant de devenir agent et de créer la société Mondial Promotion. Marcel Desailly est le plus célèbre des joueurs dont il défend les intérêts, avec Grégory Coupet, Didier Drogba, Peguy Luyindula, David Sommeil, Laurent Robert, Marama Vahirua, entre autres.
Le précédent Courbis
S'il est en pole position, c'est qu'il rallie les suffrages des trois composantes qui comptent au club. Robert Louis-Dreyfus, d'abord, qu'il connaît personnellement, et qui considère qu'il s'agit d'un postulant incontestable. Christophe Bouchet, qui a eu l'idée de lui proposer le poste et entretient d'excellentes relations avec lui. Elles datent de 1986, au moment de la présidence Tapie, époque où l'actuel président de l'OM était journaliste à Marseille, en poste pour l'AFP. Le troisième est José Anigo, qui le connaît bien et que l'on dit prêt à travailler avec lui.
Parmi les qualités qui servent le dossier de Pape Diouf auprès de l'OM, figure son statut de Marseillais, proche du club depuis près d'une vingtaine d'années. Il y a, d'autre part, sa réputation d'agent intègre, acquise auprès des dirigeants de clubs français et étrangers.
Son carnet d'adresses constitue évidemment un atout, un réseau de relations qui se révélerait utile. Dans le cadre hexagonal, mais aussi international, l'habitude qu'il a de fréquenter, pour affaires, les dirigeants des grands clubs européens et du monde est de nature à faciliter des négociations et à éviter à l'OM de recevoir des propositions incongrues. Instruit des pratiques en vigueur dans le milieu, Pape Diouf sait que l'OM est parfois tombé dans l'interdit, ce qui vaut à la justice de s'intéresser au club.
L'écueil principal, en dehors de son inexpérience du poste, est constitué par son métier actuel d'agent de joueurs. L'OM a connu un précédent, celui de Rolland Courbis, qui était à la fois entraîneur et conseiller, direct ou indirect, de joueurs du club ou en passe de l'être. Pour Pape Diouf, dans l'hypothèse de son arrivée à l'OM, il n'est pas question de mélange des genres. Dans ce cas, il dissoudrait sa société, Mondial Promotion.
Reste, et c'est, pour l'agent, ce qui constitue le plus grand motif de réflexion actuellement, le sort de ses actuels collaborateurs et de ses joueurs. Hier, Pape Diouf a réuni les membres de sa société afin de dresser un bilan et de réfléchir à son éventuel départ. L'agent a informé les joueurs dont il défend les intérêts de l'éventualité de son arrivée au club marseillais, ce qui impliquerait qu'il ne s'occupe plus d'eux. Leurs réponses nourriront sa réflexion avant qu'il ne donne sa réponse à Christophe Bouchet, dans les prochains jours.
Dans l'hypothèse du choix de Pape Diouf, l'OM ferait le choix de la proximité, avec lui et José Anigo. Une proximité que cultivent également Bouchet et Diouf depuis près de vingt ans. Le président de l'OM a évoqué, samedi dernier, l'inexpérience commune du trio qui aurait pu être constitué par lui-même, Laurent Blanc et José Anigo. Le trio Bouchet-Diouf-Anigo ne serait pas plus expérimenté, mais le relationnel de ses membres est excellent. Et, si cela ne fait pas gagner une équipe, ça aide...
L'Equipe