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Quand Doyen voulait racheter l'OM
Le fonds d'investissement a mis un pied dans le club marseillais à l'été 2015, pensant y faire affaire. Il a même espéré le racheter et a proposé à Margarita Louis-Dreyfus d'investir dans un port au Brésil. Mais la relation s'est délitée, au fil de transferts rocambolesques et guère avantageux pour l'OM.
Le fonds d'investissement Doyen et l'OM auraient pu vivre une belle histoire d'amour, avec des liens dans le football et bien au-delà, si l'on en croit un mail envoyé le 9 décembre 2015 par Arif Efendi, le fils d'un des oligarques kazakhs qui contrôlent Doyen (lire ici). Il écrit alors à Margarita Louis-Dreyfus (MLD), à l'époque propriétaire du club, et lui propose de racheter en commun un port au Brésil, en faisant miroiter de rapides bénéfices. Avec un profit attendu de « 15-20 millions de dollars » par an, rapporté à un investissement initial de 40 millions de dollars, la rentabilité serait atteinte en trois ans à peine.
Pour Arif Efendi, copatron de Doyen Sports (lire nos enquêtes ici et là) et toujours à l'affût de bonnes occasions, il faut profiter des difficultés financières rencontrées par le propriétaire du port, une « structure brésilienne » rattachée à des sociétés enregistrées aux îles Caïmans, dont l'une a été placée en redressement en raison notamment d'erreurs de management. Arif Efendi donne rendez-vous à MLD pour un déjeuner le lendemain. On ignore si l'affaire a prospéré, les documents Football Leaks, analysés par Mediapart et ses partenaires de l'EIC, ne le disant pas. Ils racontent en revanche plusieurs épisodes de la relation entre le fonds d'investissement et le club français, de ses débuts en forme de lune de miel à ses prolongements plus décevants.
Cette liaison commence à l'été 2015, au moment où Doyen Sports négocie un tournant délicat de son histoire. En mai, la Fifa a interdit la TPO, cette tierce propriété qui permet d'acheter des parts de joueurs (lire ici). La TPO constituait le fonds de commerce de Doyen, qui essaye de maintenir ses positions en changeant ses éléments de langage. Un porte-parole explique ainsi à un journaliste que le football français, comme l’espagnol, sont étouffés « par un nombre de lois et de règlements qui limitent les revenus des clubs et leur imposent de lourdes charges, et par conséquent leur pouvoir sur le mercato mondial ». Doyen se propose de les aider : « Nous n’opérons pas dans le modèle de tierce propriété, mais plutôt comme tiers-investisseurs (TPI). Nous investissons avec les clubs, pour les soutenir dans leurs objectifs de construire des équipes compétitives. »
Nelio Lucas a aussi une autre idée en tête. Depuis que la TPO est interdite, l'une des façons les plus simples de continuer à se livrer au commerce de joueurs est de racheter un club (lire notre enquête ici). En juillet 2015, il a tenté sans succès d’acheter celui de Grenade. Il lorgne désormais du côté de la Canebière.
La collaboration avec l'Olympique de Marseille commence avec l'embauche du nouvel entraîneur, Michel, drivé par Doyen. Et avec l'arrivée de Lucas Silva, un Brésilien du Real Madrid guère coté mais pour lequel le club madrilène avait fixé une clause de départ à… 500 millions d'euros. Curieusement, le boss opérationnel de Doyen, Nelio Lucas, se déplace en personne, alors que ni le prêt de Silva pour un an, facturé par le Real 650 000 euros, ni la qualité du joueur ne le justifient. Mais Nelio Lucas entend sans doute établir les bases d'une relation durable avec l'OM. Aussi annonce-t-il le 26 août 2015 qu'il sera sur place. « Je voyage avec le joueur et je resterai à Marseille jusqu'à ce que tout soit parfaitement conclu, avertit-il. Je représente le Real Madrid pour m'assurer que tout sera fait correctement. »
Acheter l'OM ?
Doyen espère aller le plus loin possible avec l'OM. Certes, au sein du fonds, certains s'inquiètent de la fragilité économique du club, qui perd de l'argent par millions et que l'actionnaire doit renflouer chaque année, et des enquêtes judiciaires en cours. Mais cela n'empêche pas d'envisager le rachat du club. Le 7 décembre 2015, Nelio Lucas signe un accord confidentiel pour avoir accès aux informations financières sur l'OM, et l'envoie au banquier mandaté pour la vente par MLD.
Trois semaines plus tard, le banquier, qui a bien envoyé les premières données du « Projet Dumas » (le nom de l'investissement dans le club), relance Lucas : « Cher Nelio, moi aussi j'espère que vous avez passé un Noël merveilleux […]. Sur le projet Dumas, vous avez reçu toute l'information que nous sommes disposés à partager à ce stade. […] Si vous confirmez votre intérêt par une offre sans engagement, nous vous donnerons évidemment accès à plus d'informations. »
Nelio Lucas fait suivre le dossier à Alfredo Garzon, l'avocat de la firme madrilène Senn Ferrero avec laquelle Doyen travaille. Trois mois plus tard, Doyen n'a toujours pas fait d'offre. Le 1er mars 2016, Garzon interroge Lucas : « Ce dossier ne continue pas. Vrai ? » Nelio Lucas le contredit : « Il se poursuit. Je veux que tu écrives une lettre indiquant que nous voulons passer à la phase suivante. Nous sommes vraiment en train d'évaluer l'achat et pour cela, nous avons besoin de toutes les données comptables. »
L'affaire, pourtant, ne se fera pas. Fin août 2016, MLD entrera en négociations exclusives avec l'Américain Frank McCourt, qui rachètera le club en octobre. On ignore ce qui a dissuadé Doyen, mais, les mois passant, le contact avec l'OM s'est beaucoup refroidi, sans doute plombé par l'échec des recrues amenées au club par le fonds.
Au premier chef, Michel l'entraîneur n'a jamais donné satisfaction. Son licenciement, acquis dès le printemps 2016, traîne en longueur plusieurs semaines, dans un interminable feuilleton. C'est que, grâce à Doyen, Michel a signé un contrat en béton : quoi qu'il arrive lors de ses deux ans de contrat, et même s'il s'achève précocement, il doit toucher l'intégralité des 3 millions d'euros promis à la signature.
Pour obtenir ce résultat favorable, ses agents ont négocié des semaines avec l'OM, à l'été 2015. En vertu de ce chef-d'œuvre de contrat, il ne paye aucune taxe : prélèvements sociaux, impôt sur le revenu, ISF, taxe régionale, taxe municipale ou « toute autre taxe ». À charge pour l'OM de remettre éventuellement au pot pour qu'il atteigne les 3 millions d'euros net. Marseille a établi un « contrat privé » avec lui pour cette « garantie des salaires ». En cas de renvoi par le club, il doit aussi toucher cette somme, sauf s'il y a faute grave ou lourde.
Voilà pourquoi le club tergiverse avant de le licencier pour faute lourde le 19 avril 2016. Michel a porté l'affaire en justice. « Comme le président m'a congédié sans me payer la totalité de mon contrat, j'ai dû déposer plainte », a-t-il expliqué au site espagnol El Confidencial le 8 octobre 2016. D'après L'Équipe (19 octobre 2016), une audience de conciliation est prévue aux prud'hommes le 13 mars 2017.
L'idylle OM/Doyen vire ainsi au divorce cauchemardesque. Et Michel, qui réclame 2 millions d'euros, regrette peut-être de ne pas avoir suivi cet étrange appel du pied d'un journaliste lyonnais qui, confondant son métier avec le rôle d'un agent, lui avait, en 2014, proposé de venir à Lyon, présentée comme plus tranquille que Marseille… Sa proposition avait été transmise à l'agent de joueurs Mariano Aguilar : « Le profil de Michel pourrait correspondre très bien à l'Olympique de Lyon, affirmait le journaliste. Ce n'est pas une ville comme Marseille. Elle est plus discrète, plus élégante et de bon goût. Elle est la capitale mondiale de la gastronomie ! »