Le LOSC vers une « catastrophe industrielle »
Menacé de relégation sportive et de sanction administrative, le club lillois, criblé de dettes, avait pourtant obtenu il y a dix mois le feu vert de la DNCG pour recruter.
Le « gendarme financier » du football français a-t-il fait preuve de laxisme à l’égard du Lille olympique sporting club (LOSC) ? Dix mois seulement après que le club a été autorisé à recruter sans limite par la Direction nationale de contrôle de gestion (DNCG), la situation sportive et financière du club nordiste fait craindre « la plus grande catastrophe industrielle du football français », selon les mots d’un dirigeant de Ligue 1 bien informé. Elle pose la question du bien-fondé de la décision, en juin 2017, de laisser le nouveau propriétaire du club, Gérard Lopez, acheter pour quelque 70 millions d’euros de joueurs – sans compter leurs salaires – grâce à des emprunts obtenus auprès d’Elliott Management, un fonds américain d’investissement spéculatif.
En janvier 2017, l’homme d’affaires hispano-luxembourgeois rachetait en grande pompe ce fleuron du football français par l’entremise de Victory Soccer, une holding britannique contrôlée par des sociétés offshore. Dans un premier temps, la DNCG n’avait pas validé le budget lillois pour la saison actuelle. Mais après avoir requis et obtenu des « des éléments complémentaires », le gendarme financier avait laissé les mains libres à l’ancien patron de l’écurie de formule 1 Lotus.
La DNCG « a laissé passer le dossier LOSC en juin 2017 sans demander toutes les garanties », en dépit d’un « certain nombre d’interrogations posées », déplore un influent président de club. Il met en cause la Ligue de football professionnel (LFP), laquelle « n’a pas les fesses propres dans cette affaire ». Selon lui, c’est « sur intervention de la LFP » que la DNCG a agi. Cette dernière est officiellement indépendante mais « hébergée » par la Ligue.
« Psychose »
Appâtée par le clinquant du projet lillois et l’aura du nom de Marcelo Bielsa, l’entraîneur star attaché au projet, la LFP n’aurait « pas demandé les garanties financières qu’elle a par exemple demandées à [Frank] McCourt », le repreneur américain de l’Olympique de Marseille en 2016. Selon cette source, l’ancien patron de la DNCG Henri Tcheng a payé très cher sa gestion solitaire du dossier lillois, ce qui se murmure aussi en interne. En octobre, il a été battu lors de l’élection interne à l’instance et remplacé par son bras droit et rival, Jean-Marc Mickeler.
Rappelant que « la DNCG est un organe de régulation, pas une instance de gestion directe des clubs », la LFP précise qu’en « juin 2017, le LOSC a présenté un budget prévisionnel dont la DNCG a pris acte tout en demandant un certain nombre d’engagements et en effectuant un suivi attentif de la situation ». Depuis, la DNCG l’a, en décembre, interdit de recrutement lors du mercato hivernal et rétrogradé en Ligue 2 à titre conservatoire.
Une source proche de la Ligue assure qu’on ne peut imputer à cette dernière les déboires du LOSC : depuis un an, il y a « eu des erreurs de gestion et de management au LOSC, et les engagements de juin n’ont pas été tenus ». Et si le cas lillois a pu avoir un impact sur l’organigramme de la DNCG, la Ligue rappelle qu’elle n’interfère pas dans les décisions de cette commission. Contacté par Le Monde, M. Tcheng, toujours membre de la DNCG, n’a pas répondu à nos questions en raison de « ses obligations de confidentialité ».
C’est fin mai que Gérard Lopez défendra l’avenir du club devant les auditeurs. La publication des comptes du LOSC sur la saison passée, la semaine dernière (voir ci-contre), donne une idée de l’ampleur de la tâche. Ceux de la saison en cours seraient bien plus alarmants. Le fonds d’investissement Elliott, créancier de Gérard Lopez, rôde et inquiète la DNCG, qui ne veut plus de clubs financés par la dette.
Depuis décembre, le nouveau propriétaire assure que les comptes seront validés et dénonce la « psychose » régnant autour du club, s’efforçant de rassurer les supporteurs. « Nous préparons des choses qui sont actuellement inaudibles en ce qui concerne la DNCG, se contente de répondre le LOSC. Nous espérons bien évidemment nous maintenir. »
Le directeur général du club, Marc Ingla, fixait l’« objectif de viser le top 5 et de retrouver la scène européenne ». Mais le LOSC, qui se déplace à Marseille samedi 21 avril, est englué à la 18e place de Ligue 1, celle de barragiste. Le cinquième budget du championnat (90 millions d’euros) n’a plus remporté le moindre match depuis la fin du mois de janvier.
Le projet « LOSC Unlimited » visait à ramener le club champion de France 2011 vers les sommets en axant son développement sur le « trading » de joueurs, consistant à investir sur de jeunes joueurs à fort potentiel pour espérer en tirer un bénéfice important à la revente. Mais le groupe monté par l’entraîneur vedette Marcelo Bielsa ne s’est jamais illustré sur le terrain. L’Argentin a été licencié dès novembre pour faute grave et poursuit son ancien employeur en justice.
« Si descente il y a, ce serait un soulagement que le club ne tombe qu’en Ligue 2 », résume l’ancien joueur du LOSC Grégory Tafforeau (2001-2009), évoquant les cas du Mans, Strasbourg ou Bastia, contraints de repartir du niveau amateur après un dépôt de bilan.
« Certains ont joué à la loterie »
Autant de scénarios « impensables » pour Damien Castelain, le président de la métropole européenne de Lille, concernée par la question en tant que propriétaire du stade Pierre-Mauroy (50 000 places) de Villeneuve-d’Ascq, où évolue le LOSC depuis 2012. « Les dirigeants sont rassurants, ils ont à leurs côtés Elliott, qui n’a pas envie de perdre son investissement de 100 millions d’euros », dit cet authentique supporteur du club. En cas de descente en Ligue 2, la location payée par le club passera de 4,5 millions d’euros à 1 million, ce qui « sera absorbé sans souci majeur dans les finances de la métropole » (au budget de 1,7 milliard d’euros).
Comme nombre d’anciens du club nordiste, Grégory Tafforeau a « un peu l’impression que certaines personnes ont joué à la loterie avec le club ». Premier visé : Marcelo Bielsa qui, investi des pleins pouvoirs par la direction lilloise, a bâti un groupe « vert » – la plus jeune équipe des cinq grands championnats européens –, cosmopolite (14 nationalités) et novice de la Ligue 1.
Désireux de faire table rase du passé, « El Loco » (« le fou ») a mis à l’écart douze vétérans du club avant de les forcer à quitter le LOSC. Une expérience qui « fait cruellement défaut au groupe en cette période compliquée », regrette Grégory Tafforeau, désormais éducateur au club de Bondues, dans la banlieue lilloise.
« Ce fut une véritable erreur stratégique de ne pas avoir gardé des cadres, abonde Damien Février, porte-parole du groupe de supporteurs des Dogues Pompon’s, même pour ne pas jouer. »
Comme souvent en temps de crise, le silence se fait autour du LOSC. « Je me dois d’être solidaire avec le club et les dirigeants et mes propos risquent de ne pas être positifs », dit un cadre du club nordiste. La mairie de Lille ne veut pas évoquer le sujet, pas plus que l’ancien propriétaire Michel Seydoux. En janvier 2017, le producteur de cinéma avait annoncé son départ avec humour, sur son compte Twitter : « Les supporteurs ne pourront plus dire “Seydoux des sous”, ils devront dire “Lopez du pèze”. » Tristement prophétique.
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