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MARSEILLE - Mardi, Andoni Zubizarreta a reçu longuement L'Équipe à la Commanderie pour évoquer son rôle de directeur sportif à l'OM. C'était avant la débâcle, jeudi, à Francfort en Ligue Europa (0-4). Recontacté hier, l'Espagnol a expliqué : « On a très mal démarré avec ce match bizarre contre l'Eintracht (1-2, le 20 septembre) au Vélodrome et le résultat nul contre Limassol (2-2, le 4 octobre). Un point au lieu de six, c'est très dur à récupérer dans ce genre de compétition courte. Le groupe était difficile avec deux très bonnes équipes et un déplacement à Chypre toujours compliqué. La Lazio a perdu là-bas et Francfort a eu du mal à gagner. »
L'OM a touché le fond contre Francfort
Mardi, l'entretien a été plus loin que l'actualité chaude. Il a duré une heure et demie, preuve que l'Espagnol (57 ans) avait des choses à dire et nous beaucoup de questions à lui poser, entre les mercatos olympiens pas toujours limpides, la recherche, vaine pour le moment, de l'avant-centre idéal, la formation ou sa relation avec l'entraîneur marseillais, Rudi Garcia. L'ancien dirigeant du FC Barcelone, qui vient de prolonger jusqu'en 2021, n'aime pas donner de noms mais il sait faire passer des messages. Il explique sa manière de travailler, avec les agents notamment, et les postes ciblés sur les prochains marchés des transferts.
«Deux ans après votre nomination au poste de directeur sportif, quelle est votre plus grande réussite ?
Certainement l'OM Campus. Je sais bien que tout ce qui se passe autour de l'équipe première, c'est plus spectaculaire, mais la formation, c'est stratégique dans le projet. On a reçu la visite de la DTN (Direction technique nationale) la semaine dernière, avec notamment Hubert Fournier (DTN) et un responsable de la Jeunesse et des Sports. Ils ont ressenti cette volonté de devenir un club formateur. En accord avec la mairie (dans le cadre d'un bail emphytéotique de cinquante ans), on a transformé le stade Paul-Le Cesne, un endroit historique en plus parce que c'était le premier lieu du football à Marseille. On y a créé trois terrains synthétiques, un vrai espace de vie pour toutes nos équipes jusqu'aux moins de 15 ans et pour le football féminin. Ça nous permet d'avoir un lieu plus clair vis-à-vis de nos clubs partenaires (dans le cadre du projet NextGeneration).
La fibre régionale pour l'Athletic Bilbao, une philosophie de jeu pour le FC Barcelone. Quelle est la ligne directrice que vous voulez donner aux jeunes de l'OM ?
La fierté de porter ce maillot, avec ce slogan “Droit au But”. Le joueur doit avoir conscience de la responsabilité qu'il a en le portant, il doit être combatif. De l'autre côté, nous voulons des joueurs de ballon, des éléments techniques qui correspondent bien aux profils des jeunes dans la région. Quand on voit (Boubacar) Kamara ou (Maxime) Lopez, ce ne sont pas les deux plus grands à leur poste, pas les plus costauds (il sourit). Après, on n'est pas un laboratoire, on ne fabrique pas des machines. Dans le projet qu'on mène, la plupart des profils de joueurs ressemblent à ceux-là.
Rassurez-nous, vous ne tenez pas les mêmes fiches qu'au PSG ?
(Il rit.) On tient des fiches sur chacun d'entre eux mais pas ethniques ! Marseille, c'est une ville multiculturelle, c'est sa force. Au club, toutes les religions sont représentées, de nombreuses nationalités aussi, des Arméniens, des Monténégrins, des Comoriens, des Espagnols...
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Les Football Leaks ont aussi révélé certaines pratiques comme rémunérer les jeunes et leur famille de plus en plus tôt. Comment le club se positionne-t-il face à ça ?
L'argent a transformé le football, c'est certain, et maintenant on parle même d'un marché des très jeunes joueurs, même si j'ai du mal avec ce terme de "marché". Il faut rester solide, montrer au joueur qu'il y a une vraie vision et des perspectives jusqu'à la Ligue 1, voire encore plus haut. On a deux modèles : "Bouba" (Kamara) qui a commencé dès l'école de foot et "Max" (Lopez) qui est venu de Burel, un de nos partenaires. Il y aura toujours un club qui paiera plus que toi, surtout en Angleterre. Sans parler de Manchester City, on ne peut pas rivaliser face à des clubs comme West Ham. Il faut donc proposer quelque chose d'autre aux gamins. Max était allé faire un essai à Liverpool, plus jeune. Il a vu quarante joueurs comme lui, de quoi être effrayé par les perspectives.
Pour parler des pros maintenant, pouvez-vous nous décrire précisément le mode de fonctionnement de la cellule de recrutement ?
Le responsable de la cellule, c'est Albert Valentin. Il travaille avec cinq "scouts". Chacun surveille une zone géographique et un d'eux surveille plus spécifiquement la post-formation. On réfléchit encore sur l'Amérique du Sud et l'Afrique : est-ce qu'on ouvre une structure sur place ? Est-ce qu'il faut plutôt des partenariats ? C'est la prochaine étape. Tout le monde bouge le week-end ou en semaine. Le lundi, on peut trouver deux ou trois scouts au bureau. Et toutes les trois semaines, on essaye de tous se voir pour débriefer. On a un logiciel dans lequel on entre tous les rapports sur les joueurs suivis. Ces rapports, il faut les mettre à jour tous les deux ans environ. Ce qui est sûr, c'est qu'on a une connaissance du marché plus grande que lorsqu'on a démarré.
Si vous cherchez un latéral gauche cet hiver, vous retrouvez dans ce logiciel tous les joueurs que vous avez supervisés à ce poste ?
Tout à fait, avec de nombreux critères : son historique, sa situation contractuelle, etc.
Alberto Moreno devrait donc y figurer (*) ?
(Il sourit.) Lui, je n'ai pas besoin d'aller sur le logiciel, je le connais très bien depuis le Séville FC.
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Mais est-ce que l'OM peut recruter un joueur de Liverpool ?
Normalement, ce n'est pas notre marché. Après, il peut y avoir des circonstances qui ouvrent des possibilités. Sa situation est intéressante (libre en fin de saison) mais c'est aussi intéressant pour le Séville FC, qui cherche un latéral gauche.
Sur ce genre de profil, c'est votre réseau qui peut faire la différence ?
Le travail de recruteur, ce n'est pas seulement de faire des rapports sur des joueurs, c'est aussi de connaître le marché. Il y a des dirigeants, des agents ou des amis qui t'appellent, qui te donnent des infos précieuses, tel joueur veut partir, tel autre s'est blessé... La question se pose aussi avec les jeunes talents des grands clubs. Comment pouvoir travailler pour récupérer ce type de joueurs ? Peut-être en leur offrant le temps de jeu qu'ils n'ont pas, avant qu'ils retournent dans leurs clubs.
Comme Moïse Kean (18 ans), de la Juventus ?
(Il sourit.) Qui a parlé de Moïse Kean ? (envisagé cet ét é, le prêt de l'attaquant ne s'est pas concrétisé) Mais c'est vrai que la question est aussi de savoir comment on peut établir des relations avec des clubs comme ça pour trouver ce type de joueur. Après ce n'est pas facile car si c'est un bon joueur, l'entraîneur n'est pas bête, il veut qu'il reste.
Comment se déroule le processus quand vous êtes intéressés par un joueur ? Certains agents ont pu se plaindre de la lenteur entre le moment du contact et celui de votre retour.
Avec Rudi (Garcia), on mène une réflexion sur les besoins pour renforcer l'effectif : à quel poste ? Un joueur polyvalent ? Après, on met des noms sur le papier. On discute aussi avec Jacques-Henri (Eyraud, le président). Entre-temps, je reçois des appels d'agents qui me proposent leurs joueurs. Quand nous étions sur le dossier de Caleta-Car, par exemple, j'ai reçu des appels - un, deux, trois, dix, vingt - pour me proposer d'autres défenseurs centraux. Mais pour moi, à ce moment-là, la priorité, c'est Caleta-Car, c'est vu avec Rudi, donc j'avance là-dessus. Même s'il faut toujours avoir une deuxième, une troisième possibilité.
Filtrez-vous certains agents ?
Quand on est arrivés, il y a quelques agents avec lesquels on a décidé de ne pas travailler. Mais je réponds à tout le monde même à ceux dont je n'ai pas le contact dans mon répertoire. En ce moment, on me propose entre dix et quinze joueurs par jour. Quand je suis arrivé sur le marché français je connaissais l'agent d'Abidal (David Venditelli), les agents de Rudi car c'était ceux de Jérémy Mathieu à Barcelone (Pascal et Sébastien Boisseau). Maintenant je connais un peu plus de monde. Après, c'est comme dans la vie, il y en a avec qui c'est plus agréable de travailler. Mino(Raiola), je le connais depuis Ibrahimovic, au Barça aussi. Une belle discussion qui a duré des mois (sourire). Je reste professionnel mais il y en a avec qui tu travailles plus en confiance. En France, j'ai aussi appris qu'on a l'agent, le consultant, l'avocat, l'ami, la famille... En Espagne, c'est plus clair. Ici, 99,9 % des agents qui m'appellent ne sont pas ceux du joueur.
Vous parliez de Mino Raiola, cela n'a pas été plus simple avec lui pour Balotelli cet été.
On n'a pas été capables d'arriver à un accord car on n'a jamais trouvé l'élément pour faire le lien entre les trois parties. On a peut-être trouvé des liens entre nous et Balotelli, Mino et Nice (il se reprend), non, Nice et nous plutôt mais mettre ensemble les trois pièces du puzzle, non.
En janvier, il sera libre de signer où il veut pour la saison prochaine, c'est un dossier que vous suivez toujours ?
Je ne dis pas oui, je ne dis pas non. Il faut laisser passer un peu de temps. C'est un grand joueur c'est clair, mais on verra.
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Le dossier du grand attaquant va encore revenir sur le tapis au mercato d'hiver.
Non, je ne crois pas (clin d'oeil et rire).
Est-ce que cela vous empoisonne la vie ?
Non, je le prends avec philosophie. Dans la difficulté, ce sont toujours les avants-centres et le gardien qui souffrent. Mais un grand attaquant, c'est quoi ? Mariano (Diaz), à Lyon la saison dernière, n'avait pas le profil. Mais si le joueur commence à marquer un but à chaque match, on va changer d'avis. Après cela peut créer des soucis avec d'autres, parce qu'ils marqueront moins de buts. Pour Mariano, il y a eu ce type de problèmes relationnels à Lyon avec Memphis (Depay). L'équilibre de l'équipe est important. (Gonzalo) Higuain, Alexis Sanchez peuvent entrer dans cette catégorie du grand attaquant. On dit qu'Alexis n'est pas bien à Manchester United et il serait peut-être content de venir dans le sud de la France. Je pourrais appeler son agent que je connais bien depuis Barcelone. Mais il va me donner son salaire et je ne pense pas qu'on puisse le faire.
L'OM a quand même des moyens. Kevin Strootman n'est pas venu pour rien.
On peut discuter, oui mais jusqu'à un certain point.
Si les grands attaquants sont trop chers, quel est le projet ? Des jeunes ?
On raisonne au présent. On a trois attaquants en manque de confiance. (Clinton) Njie a la vitesse. Kostas (Mitroglou) est un joueur de surface et Valère (Germain) est très intelligent dans ses déplacements. On se demande plutôt comment leur redonner confiance pour gagner contre Reims, Nantes, Saint-Étienne... Car sans Ligue des champions la saison prochaine, cela sera encore plus difficile de convaincre des joueurs intéressants.
Steve Mandanda et Yohann Pelé sont plus proches de la fin de carrière que du début. Est-ce que vous travaillez sur le poste de gardien ?
Oui, on travaille sur ce poste avec Stéphane Cassard aussi. Mais quand ? Demain ? Après-demain ? Il faut travailler sur le futur, c'est sûr. La mission du directeur sportif doit aller un peu plus loin que celle de l'entraîneur. On parle du gardien par exemple. D'ici deux ans, qu'est-ce qu'on fait ? C'est un dossier où j'ai toujours eu plus de pression, comme à Barcelone, car c'est mon ancien poste. On me propose aussi pas mal de joueurs.
Au final, n'est-ce pas frustrant de travailler sur des dossiers pour voir Rudi Garcia décider, comme sur Strootman ?
De nombreux joueurs sont arrivés chez nous et vous me parlez de Strootman... La question n'est pas de savoir si c'est lui qui a fait venir Untel. On discute ensemble, on décide. Par exemple, on avait trois centraux en tête cet été. Un a signé dans un autre club. Sur les deux qu'il restait, on a décidé, ici un jour vers midi, avec Rudi, de prendre Caleta-Car. Et le lendemain matin, j'étais en Croatie pour discuter. Ce n'est pas possible de recruter un joueur qu'un entraîneur n'aime pas.
Ce n'est pas ce qu'on voulait dire. Vous avez le droit de penser que pour le prix de Strootman, c'est mieux de prendre un jeune attaquant et un jeune milieu. N'est-ce pas frustrant qu'on ne tienne pas compte de votre avis dans ce cas-là ?
Non. Je peux proposer des solutions plus risquées pour le futur. Mais le présent est très important ici à l'OM. Il faut se projeter mais pas trop. Quand j'ai une idée différente, on en discute à trois. Et une fois qu'on décide, cela ne fait aucune différence. Certains disent que Strootman, c'est Rudi, et Luiz Gustavo, c'est moi. Ce sont deux joueurs de l'OM. L'ego, je le laisse un peu de côté. Ce que j'ai appris dans ma carrière, c'est que tu dois être flexible pour travailler dans un club.
Mais vous êtes quand même à Marseille pour apporter quelque chose en plus, votre aura d'ancien grand joueur, votre expérience, votre réseau, votre culture du foot espagnol.
Oui. Vous savez, pour faire carrière dans le football, il faut avoir quand même une personnalité, même si je n'étais pas le gardien le plus fou. Dans le quotidien, j'essaye de comprendre ce que l'autre me propose, ce dont l'autre a besoin. C'est comme dans la vie. Après, je défends ma position, mon avis, j'explique. Je ne dis pas oui à tout. Je suis combatif sur certaines de mes idées, sur la formation, le scouting...
Et avec les joueurs, quel type de rapports entretenez-vous ?
Avec les gardiens j'ai toujours un élément relationnel un peu plus fort car je comprends bien ce qu'il peut se passer dans leur tête dans les moments compliqués. Au quotidien avec les joueurs, on se voit aux entraînements, on se salue mais j'interviens plutôt sur des problèmes annexes, quand il y a un souci avec l'appartement ou avec le visa de la maman. Le reste, le sportif, c'est l'entraîneur qui gère. Je n'aime pas trop entrer dans le vestiaire. Je pense que c'est l'espace des joueurs. C'est l'endroit où on se parle en confiance. Je n'aime pas trop aussi venir sur la pelouse. C'est le bureau des joueurs et de l'entraîneur.»