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Le rendez-vous avait été calé entre la réception de Strasbourg et le déplacement à Lille. L'objectif était simple : évoquer avec l'un de ses principaux acteurs ce mercato de l'OM qui passionne tellement les supporters et les tient en haleine pendant tout un trimestre. Revenu reposé de ses vacances en Espagne auprès des siens, Andoni Zubizarreta en a accepté le principe et a joué le jeu pendant plus d'une heure, vendredi à l'heure du déjeuner, au centre Robert Louis-Dreyfus. Toujours aussi désarmant de simplicité et de franchise, même s'il prend soin de ne pas dévoiler certains détails, le directeur sportif basque a tour à tour évoqué les venues de trois recrues, le feuilleton Balotelli, le difficile dégraissage ou le départ d'Anguissa. Il en a également profité pour clarifier sa relation et sa manière de fonctionner avec Rudi Garcia que l'on dit omnipotent en matière de recrutement. Le tout avec le flegme qui le caractérise et, souvent, un vrai sens de l'humour.
Polo et chaussures du nouvel équipementier, il place le club au-dessus de tout et se verrait bien y poursuivre l'aventure, alors que son contrat expire en juin. "Il n'y a pas de souci particulier sur la question", souffle-t-on à La Commanderie. En attendant, "Zubi" s'est confié sans détour.
Le mercato n'a vu arriver que trois recrues sur le trimestre imparti. Estimez-vous avoir fait ce qu'il fallait pour renforcer l'équipe ?
Trois arrivées dans une équipe structurée, c'est un chiffre assez normal. Il y a toujours des projets que l'on ne finit pas, ou peut-être que l'on continue de travailler pour l'hiver suivant ou pour l'an prochain. Celui qui n'est pas arrivé cet été peut venir plus tard. Ça dépend aussi des joueurs dont tu as besoin. Mais oui, on est content. On a recruté en fonction de nos besoins. Il n'y a eu que trois arrivées, mais les situations ont été différentes et, dans ce sens, le mercato a été assez intense même si pour l'extérieur, il n'a pas paru très spectaculaire.
Rudi Garcia estime que le groupe s'est amélioré qualitativement mais pas en quantité. D'accord ?
On a l'expérience de la saison dernière qui nous a vu arriver en finale de Ligue Europa et disputer 60 matches. Cette année, dans le meilleur des cas, on peut en faire 54 ou 55, voire un peu plus selon les parcours en coupes. On verra. Difficile de savoir. Caleta Car et Jordan (Amavi) ont été suspendus, Morgan (Sanson) est blessé, Adil (Rami), Rolando et Njie aussi. Dans les moments les plus difficiles, on peut se dire qu'on a besoin de quelques joueurs de plus ; en situation normale, notre effectif est capable d'assurer nos ambitions. On est tous touchés par la fin de la saison dernière. La blessure de Rolando a contraint Luiz (Gustavo) à jouer en défense centrale et on a pu dire qu'il manquait quelques joueurs. Difficile de faire de telles projections, surtout quand tu joues une telle finale une fois tous les quatorze ans. Il faut garder un équilibre de vestiaire.
Quelles sont les principales difficultés rencontrées cet été ?
Elles concernent le défenseur central. Les gros clubs avaient le même besoin que nous. Tout le monde cherchait le même profil, un joueur incarnant le présent et l'avenir. On était plusieurs à discuter avec les mêmes joueurs, puis chacun a présenté son projet. Parfois ça marche, d'autres non. Il y a aussi eu la coupe du monde qui a vu le marché s'arrêter, et les marchés anglais et italien qui se sont fermés plus tôt. Après la finale et pendant les trois semaines allant jusqu'à la fin du marché anglais, on s'attendait à une explosion de mouvements. Il n'y en a pas trop eu.
Est-ce un problème ?
Quand les gros clubs n'achètent pas, le marché s'arrête. Normalement, l'argent ruisselle jusqu'aux autres clubs, même les plus petits. Le marché a été un peu bizarre. Tu dois penser à tes besoins mais aussi à tes joueurs intéressants sur le marché. Il peut arriver une grosse offre sur un joueur X et tu dois décider s'il part. La première chose qu'on a essayé de faire, c'est de continuer avec le même effectif. On a atteint cet objectif sauf pour Frank (Anguissa). L'offre de Fulham était magnifique.
Vous a-t-elle pris de court ?
Le marché anglais fermait un jeudi. Je suis parti de La Commanderie le mercredi soir, l'offre de Fulham était trop faible. Je suis rentré chez moi en me disant qu'il allait rester. Le lendemain, à 7 heures du matin, je reçois un appel de Jacques-Henri (Eyraud) pour dire que Fulham venait de monter son offre (à 30 M€, ndlr). C'est comme ça que le départ de Frank a pris forme. C'était une journée de fou. Le point de départ était de garder l'effectif, sauf offre hors marché que tu ne peux pas refuser.
Étiez-vous d'accord pour lâcher Anguissa ?
Il a un gros potentiel. Pour moi, il n'a qu'une saison et demie, voire deux au haut niveau. Sa dernière année à l'OM est sa première vraie saison pleine. S'il était resté, j'aurais été content. Je comprends aussi que l'offre était si importante. Il y a d'autres réalités dont il faut tenir compte. Cela aurait été bête de dire qu'il devait absolument rester. Il faut travailler sur des réalités et prendre des décisions à partir de celles-ci. Je suis content pour lui, il va faire un beau parcours dans le football anglais.
Le bon parcours en Ligue Europa vous a-t-il ouvert des portes ?
Oui. La finale nous a donné plus de crédit. En conférence de presse, il a été demandé à Radonjic pourquoi il était venu ici alors qu'il avait la possibilité de jouer la Ligue des champions avec Belgrade. Ça a rendu le club intéressant. Je me souviens de nos discussions avec (Stevan) Jovetic, à l'été 2017. Il a décidé de signer à Monaco car il y avait la Ligue des champions. Quatre mois plus tard, Monaco était 4e et éliminé, l'Atlético était 3e avant de gagner la Ligue Europa. La finale de Ligue Europa permet d'équilibrer un peu par rapport à la Ligue des champions. On a eu une belle vitrine, avec un stade et une ambiance magnifiques, des matches émotionnellement forts qui donnent aux joueurs l'envie d'aller dans un vrai projet de football. La Ligue Europa nous a permis de le montrer. Pour le club, il s'est agi d'une campagne marketing magnifique.
Les joueurs recrutés étaient-ils vos premiers choix ?
Quand le mercato a commencé, après le dernier match de la saison à domicile contre Amiens, on n'avait pas besoin d'un milieu. C'en est devenu un quand Frank est parti. Strootman est donc un cas à part. Les autres joueurs faisaient partie de nos premiers choix. Normalement, on fait des listes de possibilités avec les profils de joueurs. Si j'avais appelé Monchi et qu'il m'avait demandé 50 M€ pour Strootman, on serait allé chercher ailleurs, par exemple. Si Duje (Caleta Car) avait joué les trois derniers matches du Mondial, il aurait eu une exposition encore plus grande et tout ce qu'on avait préparé avec lui aurait pu tomber à l'eau à la dernière minute.
Aujourd'hui, Amavi n'a pas de doublure. Manque-t-il un latéral gauche et pourquoi n'en avez-vous pas engagé un cet été ?
Avec notre budget, on est parti sur Mario (Balotelli, lire ci-contre), un défenseur central et un attaquant avec un profil différent. Si on avait eu des départs, on aurait pu enclencher sur le profil du latéral gauche. Puis, on a pensé que Hiroki (Sakai) pouvait jouer les doublures comme lors de la deuxième moitié de saison dernière. On n'a pas trouvé d'issue positive sur les dossiers exploités.
Vous vous intéressiez de près au Parisien Stanley Nsoki ?
Moi ? (Sourire) Quand un joueur est titulaire comme Jordan, la question se pose ainsi : faut-il prendre un titulaire et courir le risque de les faire cohabiter ? Faut-il privilégier un prêt ? Faut-il profiter d'un jeune joueur du cru ? Faut-il faire venir un jeune joueur d'ailleurs ? On n'a pas trouvé le bon profil. Et puis, Christopher Rocchia a fait une très bonne préparation.
Est-ce un poste sur lequel vous travaillez déjà pour le mercato de janvier ?
On verra. Tout dépend des autres besoins. Si Christopher dispute quatre ou cinq matches d'ici décembre et qu'il donne satisfaction, on ne se posera plus la question. Mais oui, normalement, le profil du latéral gauche devrait être étudié. C'est le seul poste où il n'y a pas de doublure évidente.
Est-ce si difficile de vendre des joueurs ? On pense à Abdennour, Njie, Sertic...
Il y a un élément important, c'est l'âge des joueurs. Ce sont des joueurs moins recherchés sur le marché de la vente. Le mercato dépend de nombreux éléments. Ce n'est pas évident de vendre. Quand tu veux vendre un joueur comme Thauvin, il n'y a pas de problèmes pour trouver un acheteur...
Justement, a-t-il été simple de garder un joueur comme Thauvin ?
Il avait la volonté de rester avec nous. D'un côté, la coupe du monde nous a fait du bien. Il est devenu champion du monde, il ne peut plus aller plus loin que ça. Après, on sait aussi que si on veut garder nos joueurs, il faut se qualifier pour la Ligue des champions chaque année. L'Atlético de Madrid n'est pas arrivé en finale de Ligue des champions d'une année sur l'autre. Il lui a fallu dix ans pour quitter la Deuxième division, se qualifier en Ligue Europa, puis en Ligue des champions. Avec le temps, dix ans à peu près (ce qui fait un siècle à Marseille !), l'Atlético peut maintenant garder un joueur comme Griezmann.
Passons à Rudi Garcia. Beaucoup disent qu'il est tout-puissant à l'OM et qu'il a tout fait durant ce mercato. Qu'en pensez-vous ?
Dans les clubs où je suis passé, je n'ai jamais pris un joueur que l'entraîneur ne voulait pas. Et je ne le ferai jamais. Bon, si je prends Messi sans en parler à Rudi, il ne dira rien... (rires) Mais normalement, c'est un point de départ très important dans la relation entre un directeur sportif et un entraîneur. On discute de tout ensemble. Sur Caleta Car, on a été d'accord et le lendemain je partais à Zagreb. Sur Radonjic, ce n'était pas un joueur qu'il connaissait, mais quand je lui ai montré les images, il s'est souvenu qu'il l'avait vu à Rome ; le lendemain, j'étais à Belgrade. Sur Strootman, c'était clair aussi. On fait les choses ensemble.
L'un n'est donc pas plus important que l'autre selon vous ?
Non. Je dis souvent que c'est le président qui signe les contrats, ce serait donc lui le plus important. Et, en plus, on a quelqu'un à Boston (Frank McCourt) qui dépense l'argent pour que la machine fonctionne... C'est un assemblage de pièces. On a la volonté de trouver des points d'accord. Si vous m'aviez posé la question sur Anguissa au mois de mai dernier, je vous aurais dit que je souhaitais qu'il reste. Après, quand Jacques-Henri m'appelle à 7h du matin pour me dire que Fulham a revu son offre à la hausse et que le joueur veut partir, on avance.
Quelle est la nature de vos rapports avec Garcia ? Est-ce strictement professionnel ?
C'est une question intéressante. Quand on a démarré, on a dîné quelques fois ensemble en dehors de La Commanderie. Mais il y a eu tellement de matches la saison dernière qu'on n'a pas forcément trouvé le temps par la suite pour se voir dans un autre cadre.
Ce sera un objectif pour cette saison !
Comme Rudi Garcia, votre contrat prend fin en juin prochain. Avez-vous évoqué une prolongation ?
On a parlé, on est en train de voir ce qui est le mieux pour l'OM, pour le projet, pour moi. Ça fait presque deux ans que je suis là. C'est positif, on échange de façon constructive pour voir comment faire grandir le projet. Il y a de la confiance entre nous, on ne se cache rien.
Avez-vous envie de continuer ?
C'est intéressant. C'est une ville où j'ai retrouvé l'émotion du football. Je me sens bien ici. Hier après-midi (mercredi dernier), j'ai pu partir un peu plus tôt et je me suis retrouvé dans les fameux bouchons. Je me suis arrêté un moment et je suis tombé sur une jeune femme. Elle m'a demandé si c'était moi. Elle a eu du mal à prononcer mon nom, mais elle m'a dit : "Merci pour le travail que vous faites !" Ça m'est arrivé quand je suis parti de Barcelone, mais jamais quand j'étais en poste. Ce sont des choses qui font plaisir. Ça me montre aussi que le projet prend de l'ampleur. Je tombe aussi sur celui qui me dit : "Vous avez raté Balotelli !" Je le comprends car c'est le monde du foot et nous sommes confrontés à ce genre de réactions, mais beaucoup moins aux compliments. Marseille, c'est la passion, pas autre chose. Et puis, c'est un bel endroit, il fait beau, il y a la Méditerranée. Et c'est à côté de chez moi.
NEMANJA RADONJIC; "Il faut expliquer un peu plus comment il est"
"On avait quelques références et un rapport fait par "Manu" Clément (un recruteur). Un temps, il avait disparu des radars et venait de réapparaître avec l'Étoile Rouge. Quand on lui parle de la pression et des supporters, il répond qu'il a joué au petit Marakana avec les supporters serbes qui sont assez chauds. On pensait prendre un profil différent de nos attaquants, un joueur capable de prendre la profondeur, avec de la vitesse. Il joue à gauche et à droite. On a pensé que sonprofil était complémentaire. Il est jeune tout en étant expérimenté. On a commencé à discuter avec l'Étoile Rouge. Le joueur était prêté (par l'AS Rome) mais Belgrade avait la décision. L'accord entre clubs a été trouvé assez vite, à Milan. Belgrade nous a demandé de le garder car jouer la Ligue des champions était historique pour lui. Salzbourg nous a fait la même demande pour Caleta Car, mais on a refusé, on voulait qu'il arrive vite chez nous.
Nemanja est un joueur de talent, il m'a expliqué son parcours. Il est arrivé à Rome sans parvenir à s'y développer. Son retour en Serbie l'a relancé. Je suis sûr que son expérience difficile à Rome l'aide à comprendre que l'OM est une vraie opportunité et qu'il doit en profiter. En plus, il parle italien et peut discuter avec Rudi. Quand je lui ai montré la vidéo, Rudi a dit : 'Je connais ce petit, il était à Rome en même temps que moi'. Dans un cas comme celui-là, il faut expliquer un peu plus comment il est. On a regardé sa réussite et ce qu'il avait fait pour y arriver. On s'est renseigné sur le joueur, son comportement, son entourage familial et qui était son agent."
La Provence