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« Zubi », doucement le Basque
Andoni Zubizarreta est le directeur sportif de l’OM depuis octobre 2016. Frédéric Porcu/L’Équipe
Rudi Garcia évincé en mai, Andoni Zubizarreta, le directeur sportif de l’OM, devait donner le ton sur ce mercato. Son empreinte reste mitigée, son efficacité interroge.
Le 4 septembre, à l’heure d’avouer son soulagement après l’arrivée du Nantais Valentin Rongier, l’entraîneur marseillais André Villas-Boas s’est permis une petite blague : « Ce joker nous a donné plus de temps pour bien terminer cette négociation. Le mercato est terminé, cela va nous donner un peu de stabilité, et on va laisser Andoni (Zubizarreta) partir en vacances ! » Le Basque semblait en avoir besoin. Mais les a-t-il méritées ?
Sa place au club enfin libre !
Voilà peut-être le péché originel de l’OM Champions Project. À son arrivée, en octobre 2016, l’ex-entraîneur du club, Rudi Garcia, raconte à un proche pourquoi il a choisi de travailler avec Zubizarreta, et non Luis Campos, également pressenti : « Avec lui, je vais pouvoir faire ce que je veux. » Implantés en Espagne, les agents de Garcia connaissent bien le style de sénateur jovial et consensuel de Zubizarreta (57 ans). Au FC Barcelone, où il a été directeur sportif de 2010 à 2015, le Basque est connu pour sa détestation du conflit. Quand il faut rompre avec un collaborateur, la tâche échoue à son bras droit à l’OM, le plus clivant Albert Valentin.
À Marseille, aujourd’hui, Zubizarreta a une bonne cote affective parmi les salariés, supérieure à celle du président Eyraud. Certains ont droit à un gentil texto en quittant le club. Sa cellule de recrutement l’apprécie, et au printemps dernier, un membre confiait : « Les profils, on les suit, on les travaille. Mais on a l’impression que nos rapports terminent toujours à la poubelle. » Valentin, lors d’un séminaire de fin de saison, souffle : « Il n’y a pas de projet sportif au secteur pro, de toute façon… »
Le fidèle de « Zubi » critique parfois le clan Garcia en privé. Idem pour son chef, qui évoque ses réserves sur de nombreux dossiers auprès de certains agents : les recrutements à grands frais de Payet, de Balotelli, de Strootman, le départ d’Anguissa, le retoquage des pistes Nicolas Pépé ou Moussa Dembélé. Il fait savoir sa déception par des moyens détournés, laisse filtrer au club l’intérêt d’Arsenal pour ses services, mais n’affrontera jamais Garcia sur les sujets chauds. Il disparaît plutôt du paysage, comme sur le feuilleton Balotelli, où il négociera timidement à l’été 2018, avant de le suivre de loin en janvier 2019.
Après Garcia, il initie l’arrivée du nouveau coach, Villas-Boas. Les deux hommes se sont connus à l’occasion du transfert de Romeu à Chelsea, en 2011, quand AVB entraînait le club londonien. Zubizarreta a pensé à lui en 2013, pour entraîner le Barça, mais le club catalan a préféré Tata Martino. La paire s’apprécie, passe du temps ensemble, « Zubi » appuie AVB sur les réformes souhaitées par le Portugais, comme sur le secteur médical.
Son action cet été un rôle variable
Un intermédiaire ayant officié pour l’OM lors des derniers mercatos : « Il y a une erreur sur le titre. “Zubi” n’est pas directeur sportif mais plus un chef scout. Il manque quelqu’un dans la pyramide pour prendre le relais dans les négociations. Il y a un vide à l’OM. Sur le côté juridique, on tire la langue. Il ne maîtrise pas bien les clauses, la façon de négocier. »
Ce vide est à moitié comblé par le directeur juridique, Alexandre Mialhe, qui a abattu un travail considérable sur le volet des départs. Ce volet, Zubizarreta l’a totalement abandonné au président Eyraud. Tout juste a-t-il mandaté quelques agents pour activer des portes de sortie, et une de ses connaissances en Espagne a amené le Dynamo Moscou pour Njie.
Sur le dossier Luiz Gustavo, un joueur cher à AVB, il est très loin des discussions tendues entre Eyraud, le propriétaire Frank McCourt et les émissaires de Fenerbahçe. Au rayon des arrivées ou prolongations, Zubi paraît très à l’aise pour parler du projet sportif, du jeu, mais il se crispe dès que les éléments contractuels ou salariaux sont abordés. « Il ne faut pas oublier qu’il n’a pas de pognon aussi. Ce n’est pas facile », dit un agent. Il n’a « plus » d’argent, pour être précis : lors des premières négociations, en 2017, le dirigeant pouvait présenter des émoluments XXL à des joueurs vite séduits par cet aspect financier.
Sur les trois recrues de l’été, son rôle est variable. Il initie la venue de Gonzalez, défenseur de Villarreal qui collabore avec Promoesport, l’ancienne boîte d’Albert Valentin, qui représente encore deux fils footballeurs de ce dernier. En Espagne, cela fait doucement sourire dans les milieux autorisés. En interne, des cadres de l’OM tiltent: « Rien à voir avec Gonzalez, l’homme et le joueur, mais Valentin, qui taillait Garcia, fait donc pareil que lui sur sa première recrue… »
Sur Benedetto, choix d’AVB, un dossier complexe et tentaculaire, avec changements réguliers d’intermédiaires et de prix, Zubizarreta prend vite du recul et mandate un agent français pour débloquer la situation.
Sur Rongier, qu’il apprécie depuis longtemps, il se met vite d’accord avec les proches du joueur, charge à eux de faire avancer le dossier avec Nantes. Avec le psychodrame que l’on sait à la fin (le joueur a finalement été recruté comme joker). L’absence de plan B interroge sur ces fameuses listes mises au point avec Valentin, et l’OM semble cantonné au marché dit « d’opportunités ».
Sa façon de faire lenteur et distance
Zubizarreta n’aime guère les agents français, il ne se prive pas de le faire savoir aux intéressés, surtout quand ils le dérangent un dimanche. La réciproque est vraie, mais tout ce petit monde est obligé de travailler ensemble. Dans l’Hexagone, le Basque n’a pas de circuits préférentiels, pas de réseaux privilégiés. Il s’avère même désarmant. Sur le sujet Nsoki, après avoir fait la cour au joueur, il ne répond plus au téléphone, du jour au lendemain. L’hiver dernier, il discute avec un agent d’un ancien joueur du LOSC qu’il aurait bien vu associé à Luiz Gustavo. Le représentant lui fait remarquer qu’il lui a proposé le joueur quelques mois auparavant, Zubizarreta faisant alors part de son désintérêt.
Beaucoup de dossiers prennent « un temps fou », selon l’expression de plusieurs témoins, et il ne s’agit pas d’une stratégie de pourrissement voulue par le dirigeant pour mettre la pression sur la partie adverse : en mai 2017 (signature du premier contrat pro) comme en août 2019 (prolongation de deux ans), Boubacar Kamara a eu exactement ce qu’il voulait. Fin août, il donne rendez-vous à Moussa Sissoko, l’agent de l’attaquant Isaac Lihadji (17 ans), pour plancher sur le contrat pro du gamin… après ses vacances, en septembre. Entre décembre 2018 et juillet 2019, il n’a pas discuté avec l’entourage du joueur, et les tarifs se sont envolés.
À la tête du centre de formation, il a mis plus de deux ans et demi à installer Nasser Larguet, « meilleure recrue de l’été » selon JHE. Au dernier classement des centres établi par la FFF, l’OM pointait à la 16e place, comme en 2012. La dernière saison a été parcourue par des fortes dissensions internes entre formateurs. Lassé de voir Zubizarreta se pincer le nez, David le Frapper, entraîneur de la réserve, a été dans le bureau d’Eyraud, puis son opposant, le patron du centre Jean-Luc Cassini, a fait de même. JHE n’a pas goûté ces intrusions, et il l’a dit au directeur sportif. Qui a annoncé aux deux hommes qu’ils n’étaient pas reconduits fin juin, alors que le mercato des formateurs était quasiment clos. Des représailles ? «Je n’ose pas y croire », dit Le Frapper. La saison dernière, Zubizarreta a empêché l’exclusion d’un grand espoir du centre, pris en train de faire une grosse bêtise. Engourdi, ou apathique, mais pas cruel.
L’Equipe