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Mohamed Bouhafsi, journaliste RMC SFR BFM TV, est-il le futur boss du football français ?
GQ
15-19 minutes
Présentateur de "Breaking Foot" sur SFR Sport 1, Mohamed Bouhafsi est aussi rédacteur en chef du football chez RMC Sport, BFM TV et SFR Sport. À seulement 25 ans. Avec un carnet d’adresses long comme le bras, une assurance à toute épreuve et un talent reconnu, son influence dans le football français ne cesse de grandir. Au point d’en faire un personnage central dans les années qui viennent ?
"Au boulot à 9h, conf’ de rédaction RMC à 10h, conf’ de rédaction SFR à 11h, déjeuner avec les gens du foot ou les médias, point conducteur à 16h, préparation de ma chronique chez Dugarry à 17h, chronique dans Team Duga à 18h45, maquillage à 19h, début du show à 19h30, fin du show à 20h30, début du débrief avec les équipes à 21h, dîner (parfois) avec des agents ou des joueurs, minuit à la maison, quelques coups de fil, visionnage (parfois) de la rediffusion de l’émission pour voir ce qui allait ou pas, au lit pas avant 1h du matin, nuit de 5h maximum." Lorsqu’il débite façon homme de radio son emploi du temps quotidien, nous apprécions que Mohamed Bouhafsi ait pris le temps de déjeuner pendant plus d’une heure avec GQ. Fan de longue date du titre, il nous rappelle son bonheur lorsqu’il apprenait que nous envisagions de dresser son portait cet été dans notre magazine, avant d’expliquer son malheur de devoir tout annuler au dernier moment. Sa direction ne souhaitait pas l’exposer, préférant le préserver pour la promotion de Breaking Foot. Dans cette émission débarquée à la rentrée sur SFR Sport 1, Bouhafsi et son équipe "décryptent l’actu du football avec les news importantes de la journée, des interviews exclusives et des interactions permanentes avec les téléspectateurs."
C’est un showman qui aime la lumière et qui a su gagner la confiance des acteurs du football»
"SFR Sport tente le pari d’une émission hard news sur une chaîne de sports", nous explique François Pesenti, Directeur Général de RMC Sport
et SFR Sport. Il y a un enjeu de fidélisation de nos abonnés (un peu plus de 5 millions de personnes disposent d’une box SFR, ndlr).
Il faut leur donner quelque chose d’attractif, avec une expérience éditoriale différente des schémas classiques - résumé des matchs, débats, etc. - que nos concurrents font très bien." Pour le moment, si les chiffres d’audience restent secrets ("Ce n’est pas un enjeu de la nouvelle aventure SFR Sport pour le moment", se justifie François Pesenti), les remontées sur les réseaux sociaux sont plutôt positives et la présence des téléspectateurs devant le programme de SFR Sport a progressé de 63% entre septembre 2016 et septembre 2017 sur le créneau horaire 19h30-20h30, celui de Breaking Foot
. Ceci grâce, notamment, à quelques belles exclus. Le président de l’OM Jacques-Henri Eyraud pour la première du show, Nasser Al-Khelaïfi
, juste après la signature au PSG
de Kylian Mbappé, ou encore José Mourinho, qui évoque la mort de son père et la rue à son nom à Setubal, ont accepté de répondre aux questions de Mohamed Bouhafsi. "Un showman qui aime la lumière et qui a su gagner la confiance des acteurs du football", comme le décrit François Pesenti, qui en a fait son boss du foot en 2016.
Le concept de #BreakingFoot et le "plateau interactif" présentés par @mohamedbouhafsi La grande 1ère avec J-H Eyraud sur #SFRSport 1 pic.twitter.com/7Tq7VqL5Es
— SFR Sport (@SFR_Sport) 21 août 2017
Un (jeune) homme de réseaux
A tout juste 25 ans, le natif de Marseille est aujourd’hui le rédacteur en chef du football du groupe de Patrick Drahi
. Engagé à 19 ans en CDI en 2012 par la radio RMC après un premier stage d’été de trois mois puis un stage d’une année mené de front avec ses études de journalistes (à l’IEJ Paris, après un Bac ES), il gère le ballon rond sur les médias RMC, BFM TV et SFR Sport. À seulement 25 ans donc… Comment cela est-il possible ?! En premier lieu car il a opté pour RMC à ses débuts au détriment de Canal Plus qui lui proposait, comme la radio, un long stage en 2011. "Canal était une grande rédaction où je craignais de ne pas pouvoir faire de choses concrètes alors que je sentais qu’à RMC j’allais vite être mis dans le bain avec des papiers, des interviews à faire." Des étoiles dans les yeux, assis à la terrasse du restaurant libanais Happy Break situé à quelques dizaines de mètres des locaux de son employeur, il explique son amour du foot et du journalisme. "J’ai su très tôt que je voulais faire ce métier. À 13 ans, j’ai fait mon stage d’observation à L’Equipe
. J’écoutais tous les soirs L’After Foot
sur RMC. Lors des dîners avec ma maman, nous nous imaginions journalistes et nous faisions des interviews. Et puis elle travaillait dans un restaurant près de la Maison de la Radio, beaucoup de personnalités des médias y venaient. Je passais mes journées là-bas, j’apprenais des choses, je prenais des contacts pour les stages." Ce sont là les premières heures de la construction de son réseau qu’il a su étendre au monde du football. C’est la deuxième raison qui explique la position qu’il occupe aujourd’hui : l’homme sait avancer et le fait vite. François Pesenti, le Directeur Général de RMC Sport et SFR Sport, le confirme : "Il est légitime, fiable et efficace. C’est rare en France de voir un jeune à son poste, mais il ne débarque pas de nulle part. Cela fait sept ans qu’il est chez nous, c’est une question de mérite. Très tôt nous avions décelé sa capacité à créer du lien, des réseaux. Nous l’avons formé et offert ce qu’aucun autre groupe de presse ne pouvait lui offrir en termes d’expérience médias. Il a beaucoup progressé. Il a compris la prudence et les précautions de notre métier. Il n’est pas le chouchou. Je l’ai nommé à ce poste car il est le meilleur."
Toute la journée au téléphone
Nostalgique des commentaires de Thierry Gilardi qui "transpiraient le football", envieux de l’aisance d’Hervé Mathoux au Canal Football Club
et de la façon qu’a Yann Barthès
d’informer en divertissant, Mohamed Bouhafsi trace à sa route à son rythme. Un rythme effréné quand on sait qu'hors caméra il passe son temps sur ses deux téléphones portables (pas dernier cri, mais bon…) avec joueurs, agents, directeurs sportifs, présidents. "Je suis à 150 coups de fil chaque jour. Ce sont plus souvent des appels sortants qu’entrants car j’ai davantage intérêt à le faire qu’eux. J’entretiens une relation tout au long de la saison, nous parlons des matchs, de leur famille, de la saison, de tout, de rien. Et du mercato bien sûr." C’est grâce à ce mercato, le marché des transferts des footballeurs, que Bouhafsi est devenu un nom connu. La confiance et le respect des personnalités du football français lui ouvrent des portes, lui permettent d’obtenir des informations qu’il sort sur son compte Twitter. Les fans de foot le suivent (il compte aujourd’hui plus de 246.000 followers sur Twitter) et lui se retrouve presque davantage cité en source que les médias pour lesquels il travaille. "C’est dommage, mais bon… Les acteurs du foot aiment ma façon de faire, même s’il faut avouer que je n’ai rien eu à sortir de dur comme info. C’est délicat parfois durant le mercato mais je prends le temps de prévenir les personnes concernées, de vérifier si mon info est bonne. Et je ne m’empêche jamais de sortir une info, même si cela touche quelqu’un que je connais bien." S’ouvre alors le débat éternel des rédactions sports : Peut-on être amis avec des joueurs ?
Ami-ami avec les acteurs du football ?
"Le football, c’est un peu comme la politique, avance-t-il. Tout le monde sait que les journalistes politiques sont amis avec les hommes politiques, pourquoi cela devrait être tabou dans le foot ? Je n’ai aucun souci à dire que j’ai des amis dans le foot (joueurs, dirigeants) mais je tairai leurs noms". Nous lançons notre interlocuteur sur Jean-Michel Aulas, le brillant mais parfois omnipotent président de Lyon. Réponse immédiate par le biais d’une anecdote récente : "Il y a quelques jours, il m’a appelé à plus de 23h pour me dire qu’il voulait passer dans L’After Foot
(émission diffusée sur RMC chaque soir à partir de 23h) car il se faisait "dézinguer" par Daniel Riolo
". Il m’a dit que comme j’étais le patron du foot sur l’antenne, je pouvais l’aider à faire en sorte qu’il puisse réagir en direct. Je regardais un film chez moi… J’ai appelé la rédac' et ils lui ont donné la parole. Deux ou trois fois, il dit alors à l’antenne 'Mon ami Mohamed'. Cela me fait rire car pour moi c’est une marque de respect, de confiance mais les supporters de Paris ou de Marseille me tombent dessus 'Tu es ami avec Aulas ?!'. Je respecte beaucoup cet homme qui est un dirigeant exceptionnel. Il est parfois un peu gamin sur Twitter, il réagit trop à chaud. Mais je ne l’ai que toutes les deux ou trois semaines au téléphone, ce n’est pas un ami. Des présidents parlent de moi entre eux, certains me demandent parfois mon avis sur des joueurs qu’ils veulent recruter. C’est agréable et flatteur mais je porte plus d’attention au regard des spectateurs plutôt que celui des acteurs du football. Je n’ai pas de meilleur ami chez les présidents, dirigeants ou joueurs." Patron de Mohamed Bouhafsi, François Pesenti reconnaît que son journaliste s’enflamme parfois avec les acteurs du foot : "Il peut être trop enthousiaste, il a tendance les à tutoyer, à être trop familier, très direct. Ce qui peut heurter ceux qui ont l’habitude de plus déférence ou de révérence. Mais avec un peu de vécu et d’expérience en plus, ça ira."
Si j’avais le melon, des gens ici s’occuperaient très vite de moi !»
Des liens, il en a également tissé avec ses équipes football. Celle du foot du samedi matin bien sûr où il lui arrive de claquer deux trois buts quand ses adversaires, supériorité hiérarchique oblige, le laissent briller. Celle du boulot la semaine surtout, qui turbine de 9h à 22h. Lorsque nous déambulons avec lui dans les locaux, Mohamed Bouhafsi nous les présente un par un, à commencer par Nathanael Franchi, ancien de La Chaîne L’Equipe aujourd’hui rédacteur en chef de Breaking Foot
, Loïc Tanzi et Sonia Carneiro, présents avec lui sur le plateau. Si comme eux, la plupart des salariés de l’équipe ont à peine 30 ans, certains sont plus âgés. Ce qui peut poser parfois problème pour un chef de seulement 25 ans, non ? "Cela a pu gêner au départ, confirme Mohamed Bouhafsi. Mais ils ont eu l’intelligence de comprendre que je n’étais pas là pour leur faire du mal, du tort. Je ne suis pas un chef dictateur mais un fédérateur. En entreprise, le concept de la politique n’est pas simple, surtout quand on est jeune. Des mecs ont pu se demander ce que ce minot de 25 ans venait faire là et pourquoi il leur donnait des ordres. Mais quand je voyais que cela arrivait à ce stade-là, je me mettais en retrait, je laissais la personne s’énerver et revenir ensuite pour entamer une discussion. Il faut communiquer et cela se passe formidablement bien." Même avec les plus vieux ? Oui selon son boss, François Pesenti. "La promotion interne est la logique de notre groupe, nous explique-t-il. Personne n’est venu se plaindre de sa nomination même si je sais que nous ne sommes pas dans un monde de bisounours et que c’est peut-être plus dur à accepter pour ceux qui sont dans la quarantaine par exemple." Avec la voix foot iconique de RMC, Jean Rességuié, Bouhafsi avoue parfois "se clasher". "Mais c’est mieux ainsi plutôt que d’être aigri prétend-il. Jeannot est une institution ici, ce qui ne m’empêche pas d’être en désaccord parfois avec lui. On parle et cela s’arrange. Je n’aime pas donner des ordres. Quand il faut, je tranche, évidemment, mais je préfère le compromis. Être tranchant sur le long terme s’avérera perdant. Cela ne m’empêche pas d’être très exigeant avec les équipes."
La maman, l’anti-melon
À l’écouter parler si naturellement de son métier, de son statut, on se demande parfois si Mohamed Bouhafsi n’aurait pas un peu le melon. "Si j’avais le melon, des gens ici s’occuperaient très vite de moi ! Comme Laurent Lopez le directeur de la rédaction, et François Pesenti. Sans parler de ma mère ! Il y a quelques jours, je me baladais avec elle dans la rue et deux jeunes nous ont parlé. Ils voulaient faire une photo, j’étais assez fier. Ma mère m’a tout de suite calmé en me disant 'Ne fais pas le malin, arrête avec ton sourire niais. Ça ne change rien. Tu vas aller faire les courses et tu vas fermer ta bouche.' Je peux comprendre parfois que le mec de 25 ans qui connaît tout le monde dans le foot, bien exposé, cela agace. Alors, je fais attention à ne pas paraître hautain. ce serait donner les clés à des gens qui ne m’aiment pas. À chaque fois qu’on peut se la péter, lorsque l’on fait un super coup comme Nasser en interview, le jour de la signature de Mbappé ou le président de l’OM en direct sur le plateau pour la première de Breaking Foot, des gens qui parlent très rarement, je reste sobre." S’il évoque souvent sa maman et son neveu adoré (en photo ci-dessus avec lui à New York) lors de notre discussion, quid du père ? Peu à l’aise sur ce sujet, il se contente de nous confier qu’il est parti à l’âge de 8 ans. "Ma mère nous a élevés, avec mes deux frères et ma sœur (plus âgés que lui, ndlr), seule. Elle est la personne la plus importante pour moi. Elle s’est sacrifiée pour me mettre dans un collège privé du 16e arrondissement plutôt que je reste dans la cité des Francs-Moisins à Saint-Denis, où nous habitions. Elle m’emmenait tous les matins, venait me chercher le soir et travaillait le reste de la journée et de la soirée. Si je suis ce que je suis, c’est grâce à elle. Si elle ne me répond pas pendant 1h30, je suis en panique. Je sais qu’elle est fière de moi. Ce qui est le plus important pour moi." La veille de notre entretien, il lui avait offert "un gros bouquet de roses" et un "très beau sac".
Dieu, le juge de paix
Le beau, il aime aussi le faire. Pull en maille gris porté à même la peau, jean brut slim, paire de sneakers noires et cheveux bien minutieusement gominés, Mohamed Bouhafsi aime être tiré à quatre épingles. Pour François Pesenti, il est "moderne et symbolise cette nouvelle génération qui veut réussir. Peut-être met-il trop de gel, oui. Mais c’est la mode et cela a l’air de plaire !". Mohamed Bouhafsi se défend d’être quelqu’un qui insiste plus qu’il ne faut sur le paraître. "J’aime les belles affaires et je fais attention pour chaque RDV à l’extérieur, reconnaît-il. Mais je ne suis pas quelqu’un de matérialiste. Je prends juste soin de moi." Nous l’interrogeons tout de même sur la Submariner qu’il porte au poignet. "Elle n’est pas à moi ! affirme-t-il. J’aime les montres, oui, mais je ne peux pas m’en payer une comme ça. Quand ma mère me voit avec, elle me dit de la ranger, qu’il va m’arriver des soucis." Toujours attentive et prévenante cette maman, qu’il écoute quasi-religieusement. "Ma mère m’a inculqué des valeurs, des principes qui me forgent aujourd’hui, nous explique-t-il. Dans la foi mais aussi dans le respect des valeurs républicaines comme l’éducation, l’école. Je suis croyant mais je ne pratique pas tout. De toute façon, à la fin de notre vie, on sera seul face au juge, avec nos péchés et notre bâton de pèlerin." Ce fan discret de l’Olympique de Marseille (il est né à Marseille et y a vécu jusqu’à l’âge de sept ans) et affirmé de Zinédine Zidane aura sûrement passé la sienne dans le foot. "À 45 ans, j’aimerais être tranquille avec ma famille, évoluer dans le monde du football dans le foot, dans un club pourquoi pas, nous confie-t-il. Mais aujourd’hui je suis tellement heureux, les objectifs sont tellement incroyables : la Coupe du Monde, la Ligue des Champions sur SFR la saison prochaine... que je ne sais pas ce que je ferai dans un an ou deux. Je n’ai même pas le temps d’avoir une vie sociale. C’est peut-être mon stress ou le fait que je sois superstitieux qui fait que je ne souhaite pas évoquer l’avenir. Et puis de toute façon, tout ce qui m’arrivera sera si Dieu veut !"