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Retour sur le cyberharcèlement de Jacques-Henri Eyraud, l'ancien président de l'OM
Onze supporters de l'Olympique de Marseille doivent être jugés en 2024 pour le cyberharcèlement de Jacques-Henri Eyraud. Une affaire qui dépeint l'énorme tension qui régnait au club entre 2020 et 2021.
Un photomontage pornographique avec le visage de sa fille adolescente publié sur les réseaux sociaux ; des cercueils en cartons reçus par la poste ; une voiture caillassée ; un graffiti « À mort » peint sur sa maison ; des menaces de plus en plus violentes sur Twitter ; et même un appel à la délation pour nuire à sa réputation et faire naître le doute parmi ses proches : « Si vous avez été victime de Damien [*] avec du harcèlement sexuel, dites-le », pouvait-on lire dans la publication Internet. C'est un véritable calvaire que cet ancien cadre de l'OM, qui tient aujourd'hui à son anonymat, a expliqué avoir vécu, dans le cadre d'une enquête menée ces derniers mois par le pôle national de lutte contre la haine en ligne, plus connu sous le nom de parquet numérique.
L'homme, qui a dû soigner une dépression et faire déménager, dans l'urgence, sa famille de Marseille, doit cette situation à la folie de plusieurs dizaines d'ultras marseillais, auteurs d'une campagne de cyberharcèlement massive entre fin 2020 et début 2021. Les faits se sont poursuivis jusqu'à quinze jours après les incidents de la Commanderie, le 30 janvier 2021. Ce fut également un enfer pour Jacques-Henri Eyraud, alors président mal aimé de l'OM (de 2016 à 2021). Un de ses enfants est menacé par messages privés, de très nombreuses publications appellent à le tuer ou à le brûler vif, un montage le montre la tête décapitée ou le corps positionné sur une guillotine. En février 2021, l'Olympique de Marseille porte plainte au nom de l'institution et des deux hommes, mais la crise est trop profonde, trop ancrée, entre les supporters et Eyraud, qui est remplacé quelques semaines plus tard par Pablo Longoria.
Au total, une centaine de jeunes hommes ont publié des messages de haine
En septembre 2021, l'OM, qui souhaite calmer le jeu, se montre bien peu offensif au tribunal face aux ultras ayant attaqué la Commanderie. Bis repetita la semaine dernière : nouvelle démonstration de force des ultras et des South Winners, dirigés par Rachid Zeroual. Longoria, qui s'est plaint de menaces et d'intimidations (dans une proportion moindre toutefois que ses prédécesseurs), exerce son droit de retrait, met sa démission dans la balance, avant de finalement poursuivre sa mission. Il annonce le dépôt d'une plainte dont les services de communication de l'OM ne pouvaient dire, hier, si elle avait bien été déposée. Le parquet n'a pas attendu et a ouvert d'initiative une enquête préliminaire.
Sur la centaine de jeunes hommes - aucune femme parmi eux - qui ont publié, début 2021, des messages de haine sur les réseaux sociaux, onze ont pu être identifiés et ont été placés en garde à vue, perquisitionnés et cités à comparaître devant le tribunal correctionnel de Paris pour des faits de menaces de mort, d'injures ou de harcèlement. Le procès doit se tenir en mai 2024. Eyraud sera partie civile, représenté par son avocat, Me Olivier Baratelli, tout comme le club, défendu par Me Olivier Grimaldi.
Cependant, les enquêteurs semblent n'avoir identifié que les suiveurs. Ils viennent de Pontarlier, Arles, Saint-Philibert, Marseille, Béziers ou Rouen. Jean (*) est adhérent des South Winners et a tweeté pour « faire comme tout le monde », sous le coup de « l'énervement ». Il précise s'être laissé entraîner par les posts des autres. Le tweet qui lui est reproché ? « Fils de pute, on aura ta peau. » Damien, lui, est un jeune schizophrène sous curatelle renforcée. Il a publiquement dit qu'il fallait « saigner » le président de l'OM. « À ce moment-là, j'espère que quelqu'un de Twitter prenne ses responsabilités, oui. J'étais sûrement en crise à cet instant », se défend-il. Il se rend compte aujourd'hui que « c'est grave ». Son rêve est d'aller au Vélodrome un jour. À 24 ans, Thomas vit avec sa copine, travaille et est parfaitement inséré. En passionné, il reconnaît que la L 1 « joue sur [s] on moral ». « S'ils gagnent, je me sens bien la semaine. S'ils perdent... » Thomas, qui reproche à Eyraud sa gestion du club, estime lui aussi s'être laissé emporter par la colère. « Je ne voulais pas le tuer », s'excuse-t-il.
« Un groupe d'agitateurs » pointé du doigt par Eyraud
Pour les policiers qui les auditionnent, les profils se ressemblent. Des supporters plus ou moins jeunes, sans histoire pour la plupart et qui, pris dans la meute, ont déraillé sur Internet. Florilège non exhaustif : « Faudra pas se plaindre quand ce qui doit arriver arrivera », « T'auras plus le choix que de quitter cette ville », « Tu joues un jeu très dangereux [...] Fais attention ». « J'ai suivi le troupeau [...] Je me sens bête face à mes messages », admet Malik.
Baptist Agostini-Croce est avocat. Il défend trois des mis en cause avec son confrère, Rodolphe Brun d'Arre. Pour lui, il y a eu une « démesure des moyens employés dans cette affaire. Ces jeunes auraient tout à fait pu être convoqués en audition libre, plutôt qu'être placés en garde à vue et perquisitionnés. On les traite comme des cybercriminels chevronnés alors qu'on parle d'un tweet écrit sous le coup de l'émotion. Ils vivent au rythme de l'OM. Certains n'ont que ça dans leur vie. Cela n'excuse pas leur comportement, mais cela l'explique peut-être un peu. » Ce n'est pas l'avis d'Eyraud. Contacté, celui-ci n'a pas souhaité nous répondre.
Devant la police marseillaise en janvier 2021, il disait cependant subir un harcèlement très violent. « Depuis maintenant un an et demi, je fais l'objet de tentatives de déstabilisation de la part de groupes ciblés composés d'anciens salariés [...], d'anciens prestataires de services, voire d'anciens joueurs et dirigeants de l'OM. J'ai décidé, il y a deux ans, de sortir du Vélodrome le groupe ultra des Yankee à la suite de plusieurs malversations commises à l'encontre du club. » Des Yankee qui, sortis de la convention de commercialisation des abonnements et plus reconnus comme partenaires par l'OM, avaient saisi sans succès la justice pour tenter de revenir au stade. Les soupçons de malversations soulignés par Eyraud n'ont en revanche pas donné lieu à une condamnation pénale.
Dans son audition, l'ancien président de l'OM a estimé avoir vécu « une campagne de déstabilisation » médiatique, au moment notamment de la vraie-fausse proposition de rachat de l'OM par le duo Ajroudi-Boudjellal à l'été 2020. Il évoque un « groupe d'agitateurs », dont ferait partie un certain Rachid Zeroual, leader charismatique des South Winners. Celui-là même qui s'oppose à Pablo Longoria depuis plusieurs jours.