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D’Eyraud à anti-héros
L’ex-président de l’OM a tenu quatre ans et demi à un des postes les plus exposés du foot français. Retour sur une mandature heurtée. DE NOS ENVOYéS SPéCIAUX
VINCENT GARCIA et MATHIEU GRéGOIRE MARSEILLE – Injoignable depuis la fin de la semaine, Jacques-Henri Eyraud est passé à la Commanderie hier, il s’est garé pour la dernière fois sur la place bleutée réservée au président de l’OM et annoncée par le panneau « JHE ». Puis, à quelques heures du match, devant quelques happy few réunis dans une loge de l’Orange Vélodrome, il a remis la clé du stade à son successeur, Pablo Longoria, marquant symboliquement la passation de pouvoir. Longtemps, Eyraud a eu l’oreille et l’appui inconditionnel de Frank McCourt, le propriétaire américain, qui s’est décidé à appuyer sur le bouton vendredi.
Trop contesté à Marseille, par les supporters, les politiques ou les anciens joueurs, « JHE », 52 ans, était aussi isolé en interne. Désormais au conseil de surveillance, une coquille vide sous l’ère McCourt, il pourra néanmoins œuvrer en coulisses avant peut-être de se lancer dans d’autres aventures. Même s’il n’est plus l’homme fort du club phocéen, on dit qu’il ne serait pas fâché avec le boss de Boston et il faudra surveiller aussi, dans les semaines à venir, si son rôle dans les instances est remis en question. Présenté l’été précédent à McCourt par Didier Quillot, l’ancien directeur général de la Ligue, Eyraud aura occupé la fonction depuis octobre 2016 et le rachat du propriétaire américain, qu’il avait su charmer.
Au-delà des premiers mois de son mandat, l’opération séduction à Marseille n’aura pas duré, un climat de haine s’était même installé ces derniers temps. Aujourd’hui, de nombreux amoureux de l’OM lui ont décerné le titre officieux de pire président de l’histoire du club. Le temps atténuera peut-être un peu les rancunes du présent mais il ne gommera pas les échecs, nombreux, pour quelques rares succès sous sa présidence. « Le bilan n’est pas si négatif, nuance-t-on dans l’entourage de McCourt. Il y a eu de bonnes choses avec la restructuration du centre de formation ou les actions sociales menées notamment pendant le confinement. Mais il n’a pas été toujours à l’écoute de Marseille. Il y a eu des maladresses et des erreurs sur ce qu’est l’OM pour les Marseillais. Au-delà de ça, il avait un objectif, sportif et financier. Et il n’a pas réussi. C’est la vie et l’actionnaire doit prendre les décisions en conséquence. »
La Ligue Europa 2018, l’apogée
Comme un héritage, « JHE » a utilisé le prestigieux passé du club pour servir sa cause, sollicitant au début les glorieux anciens – qui attendent toujours de ses nouvelles en 2021 –, allant même jusqu’à se balader avec la Coupe aux grandes oreilles à son arrivée dans les couloirs de la Commanderie. Mais sportivement, « JHE » n’a pas eu les résultats espérés alors que l’objectif était, à son arrivée, de se qualifier tous les ans pour la Ligue des champions, voire de titiller le Paris-SG pour le titre. Le Champions Project, anglicisme pompeux comme il les adorait, a vécu. Sous sa mandature, l’OM ne s’est qualifié qu’une fois en C1, et encore dans un exercice 2019-2020 tronqué par le Covid-19, pour y faire de la figuration cette saison.
Finalement, même si les Marseillais ont loupé le podium cette année-là, le plus beau parcours restera celui qui a mené l’équipe jusqu’en finale de la Ligue Europa en 2017-2018, sous l’ère Rudi Garcia. Avec lui et André Villas-Boas, Eyraud aura eu deux vrais coaches sous ses ordres, sans compter l’intérim de Nasser Larguet. Son erreur majeure, au-delà de la confiance aveugle placée longtemps en Andoni Zubizarreta, un directeur sportif amorphe, aura été de donner à chacun d’eux beaucoup trop de pouvoir, notamment sur le recrutement. Les choses du mercato ne l’intéressaient pas, lui qui répétait souvent « détester » les agents et ce milieu des transferts. Il a prolongé Garcia quand il ne fallait pas, à l’automne 2018, avant de s’en séparer en fin de saison. Et il a failli commettre la même bourde avec « AVB » en mai dernier. Le Portugais a refusé, évitant à McCourt une addition salée lors de son départ début février.
Financièrement, la catastrophe
La première phase de son mandat s’est concentrée sur l’achat de joueurs d’expérience, des profils âgés, très chers, à des salaires très élevés et donc invendables, de Dimitri Payet (30 M€), qu’il a prolongé jusqu’en 2024, à Kevin Strootman (28 M€ avec bonus) en passant par Kostas Mitroglou (15 M€ pour 50 % de ses droits). Avec le Réunionnais, il a eu un retour sur investissement quand même, mais pas avec les deux autres, catastrophes industrielles. Beaucoup de simples joueurs d’équipe ont eu aussi droit à des rémunérations gourmandes, comme Valère Germain et son salaire astronomique (plus de 300 000 euros brut mensuels) pour son rendement. La remarque vaut, dans une moindre mesure, pour Dario Benedetto.
Longtemps, l’OM s’est fourvoyé sur son « grantatakan » et parfois sur des dossiers mineurs mais coûteux à la longue, comme celui de Grégory Sertic. Le projet, avec l’arrivée d’André Villas-Boas à l’été 2019 puis celle de Pablo Longoria comme directeur sportif un an plus tard, a pris une autre tournure. Plus de jeunes joueurs, plus de prêts, la levée du tabou sur le concept de trading, mais le mal était fait pour les finances. La masse salariale a gonflé de manière démesurée, entraînant des pertes colossales (42,4 M€ en 2017, 78,6 M€ en 2018, 91,4 M€ en 2019 et 120 M€ estimés pour 2020). Cette mauvaise gestion financière, entraînant des déficits à combler par l’actionnaire et des sanctions du fair-play financier de l’UEFA (près de 10 M€ cette saison), aura été accentuée par le contexte, la crise du Covid-19 et celle des droits télé, qui ont fait chuter les revenus. Et pour le coup, ce n’est pas de sa faute, cette fois.
Un isolement croissant
Petit café en terrasse avec René Malleville, couscous sur la Canebière avec un président de club amateur, haies d’honneur par les enfants des viviers partenaires de la région, déclamation d’un couplet d’IAM en direct sur une chaîne locale... Alors qu’il a vite fait le vide en coulisses en écartant l’avocat Didier Poulmaire, « JHE » a publiquement plongé dans le grand bain marseillais avec envie à l’automne 2016, caressant le poil des leaders de supporters et vantant la ferveur des ultras, travaillant son réseau, se rapprochant du premier cercle du maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin. Si certains projets immobiliers rêvés par McCourt (le centre d’entraînement à la place de l’hippodrome Borély, sur le front de mer ; la concession du Parc Chanot, au pied du Vélodrome) n’aboutissent pas, cette proximité lui permet quand même de récupérer l’exploitation du Vélodrome en décembre 2018.
Peu à peu, son influence va pourtant se réduire. Son comportement parfois cassant avec ses collaborateurs et la presse, ses remarques acerbes en privé (Gaudin est ainsi surnommé « le gros », ce qui revient aux oreilles des édiles), ses propos sur l’incurie des gens de Marseille, et sa politique jugée de plus en plus répressive par les supporters (sanctions contre les groupes, Yankee évincé du Vélodrome en juin 2018) l’enferment dans une tour d’ivoire. Les relations qu’il a tissées sont plus superficielles qu’il ne le croit. Fin octobre, il est ravi d’avoir échangé avec les élus et le nouveau maire, Benoît Payan, pendant près d’une heure et demie, sur le melting-pot marseillais. Payan, lui, s’étonne que « JHE » n’ait même pas abordé le sujet de fond du loyer du stade. « Eyraud n’est pas un séducteur, il oscille entre les banalités et le tacle, il n’y a guère de juste milieu », estime un proche. Avec le temps, il manie de plus en plus le bâton, notamment avec les supporters. Cette raideur entraînera sa perte.
L'Equipe