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2020-12-22T23:05:20+01:00
Mathieu Grégoire et Baptiste Chaumier
Jacques-Henri Eyraud (président de l'OM) : « Notre atout, c'est Frank McCourt »
Pour cet entretien par Zoom, ce mardi midi, la vidéo de l'ordinateur portable de Jacques-Henri Eyraud a lâché d'entrée. Ne restait que sa voix, posée, concentrée. À la fin d'une année à la complexité inattendue, le président de l'OM (52 ans) a fait le tour des défis que son club doit relever.
« Vous avez choisi de vous faire plus discret médiatiquement ces derniers mois. Est-ce vraiment possible quand on est président de l'OM ?
Non seulement c'est possible, mais c'est nécessaire. Sinon on est happé par des tourbillons quotidiens. Et quand on dirige un club comme celui-là, il faut essayer de garder un cap, continuer à voir loin. C'est essentiel de prendre un peu de hauteur. J'ai la volonté de me reposer sur deux directeurs généraux forts, Pablo Longoria pour le sportif et Hugues Ouvrard pour le business.
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Longoria a travaillé dans de grands clubs européens mais jamais à un poste aussi élevé. Un directeur sportif de 34 ans peut-il tenir les rênes à l'OM ?
Je n'ai jamais fait dans le jeunisme. Mais cette question montre à quel point on est dans un milieu très conservateur. Malgré son âge, Pablo a démarré sa vie professionnelle dans le football à un peu plus de 20 ans, il en a vu beaucoup. Il a une vraie modernité dans l'approche de son métier, une vision complète de ce que doit être un projet sportif, des tout-petits jusqu'à l'équipe professionnelle.
« On a essayé de mieux travailler avec André Villas-Boas, de l'impliquer plus »
Il n'a pas du tout le même profil que son prédécesseur au poste, Andoni Zubizarreta.
On a tiré plein de leçons de cette phase 1. J'ai beaucoup appris d'Andoni, il m'a beaucoup apporté, j'ai aimé sa personnalité, son humanité. Andoni est un esthète du jeu, un penseur de son sport. À la tête du projet sportif, aujourd'hui, j'avais besoin de quelqu'un de plus généraliste dans son approche, et ce y compris dans sa dimension économique et transactionnelle.
Comment avez-vous vécu l'épisode du vrai-faux départ d'André Villas-Boas, au printemps ?
Il a eu des interrogations qui pouvaient être légitimes, qui pouvaient reposer sur un manque de communication. On a eu l'occasion de s'expliquer à ce moment-là. On a essayé de mieux travailler avec lui, de l'impliquer plus, y compris dans nos discussions au plus haut niveau, pour lui montrer qu'on n'avait pas d'agenda caché et qu'on n'était pas des gens à faire des coups en douce.
Après avoir écarté Zubizarreta, avec lequel il était très lié, vous ne vous doutiez pas de sa réaction ?
Je n'ai pas envie de revenir sur cet épisode. Il y a eu beaucoup d'incompréhension aussi avec l'arrivée dans le paysage de Paul Aldridge. Il a toujours été positionné comme un consultant, ni plus ni moins, qui devait nous aider à mieux comprendre le marché en Angleterre, son évolution avec le Brexit à l'horizon. Je suis toujours surpris de voir les proportions que peuvent prendre parfois des décisions, sinon des paroles. Il faut toujours faire des efforts pour expliquer ce que l'on veut faire, y compris en interne.
« En Championnat, ce qui a été fait est assez exceptionnel. (...) La Ligue des champions a été une grande déception
Paul Aldridge travaille-t-il toujours pour l'OM ?
Oui, oui. Il est basé en Angleterre et il collabore avec Pablo.
Ou en êtes-vous des discussions au sujet de la prolongation de contrat du coach ?
Pablo est chargé de ce dossier, il discute avec ses représentants de la façon dont il voit l'avenir, ses projets personnels, sa vision pour le club dans un contexte compliqué. Je souhaite qu'André poursuive son aventure à l'OM. Il apprécie le cadre de vie, il a une personnalité qui va bien avec cette ville, ce club. Et il a, d'abord, des résultats exceptionnels. Avant Angers, il a un peu plus de 57 % de victoires, c'est tout simplement l'entraîneur de l'OM le plus performant au XXIe siècle. C'est aussi celui qui nous a ramenés en Ligue des champions.
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Quel est votre bilan de cette première partie de saison ?
En Championnat, ce qui a été fait est assez exceptionnel. Être quatrième avec deux matches en retard, c'est une grande performance. La Ligue des champions a été une grande déception. Il y a eu des soirées et des nuits difficiles où je n'ai pas beaucoup dormi. On voit à quel point l'expérience compte dans ces compétitions-là. Tout le monde fait son apprentissage même si, c'est vrai, dans la performance même, il y a eu des déceptions. Le match de Porto a été une souffrance pour moi.
De nombreuses incertitudes existent au sujet de l'effectif, avec les prolongations de contrat de Florian Thauvin ou de Jordan Amavi, par exemple. Plus largement, de nombreux joueurs seront libres en 2021 et en 2022.
Ce sera une année importante dans la régénération de cet effectif. Ce sera une de nos priorités, c'est au coeur du projet sportif conçu par Pablo. Je souhaite que Florian continue comme un homme de base de cette équipe. Il a peut-être des aspirations personnelles, financières. Chacun comprendra que la période actuelle nous impose une rigueur extrême.
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Quelles seront les possibilités financières de l'OM sur le marché des transferts, cet hiver comme l'été prochain ?
Nos organisations sont soumises à l'écroulement d'un modèle. J'entends les voix qui demandent à ce que l'on continue de faire ce que l'on a fait depuis le début. Nous avions annoncé dès notre arrivée qu'on dépenserait 200 M€ pour renforcer l'équipe, et on en a dépensé 220. Le mercato va être difficile, la donne a changé. On espère tous beaucoup de l'Angleterre mais, vu ce qui se passe, y compris en termes de pandémie, là-bas, on est sur une crise profonde et l'entrée en vigueur du Brexit ne va rien arranger. Les marchés ont horreur de l'incertitude et on baigne dedans. Je fais toute confiance à Pablo, qui travaille sur ce mercato depuis plusieurs mois, qui a su déjà démontrer sa créativité cet été.
L'OM a attiré des jeunes à fort potentiel comme Gueye, Balerdi ou Cuisance ; son plus grand investissement a été Luis Henrique, 18 ans. Ces jeunes talents deviendront-ils la norme de vos mercatos ?
Non, Marseille est un club pas comme les autres, où la pression est forte. Notre modèle n'est pas un modèle de trading. Il faut trouver le bon équilibre entre des jeunes issus de la formation, une stratégie de post-formation mais aussi l'arrivée de joueurs très expérimentés qui nous apportent de la stabilité. C'est ce qu'on a fait, par exemple, avec l'arrivée d'Alvaro.
Jacques-Henri Eyraud a pris la tête de l'OM en 2016. (F. Porcu/L'Équipe)
Jacques-Henri Eyraud a pris la tête de l'OM en 2016. (F. Porcu/L'Équipe)
Vous évoquez un ancien monde qui s'écroule, mais le monde du football et son environnement en ont-il vraiment conscience ?
Le foot professionnel et le sport en général manquent cruellement d'influence dans notre société. Pour avoir une influence plus grande, nous devons nous montrer davantage en dehors des terrains. Regardez ce qui se passe en Angleterre avec Marcus Rashford (Manchester United). Ce joueur est en mesure de faire plier à lui tout seul un gouvernement en obtenant de lui qu'il investisse 400 millions de livres pour que des enfants défavorisés puissent manger à leur faim pendant les périodes scolaires. On doit aller vers ce monde-là. Quand Kylian Mbappé s'émeut des violences policières, pourquoi n'en parlerait-il pas au monde ? Après tout, on s'en fout des haineux, sur Twitter et sur Instagram, qui vont leur répondre qu'ils devraient d'abord se concentrer sur leurs matches. Ce qui compte, c'est la caisse de résonance de ces joueurs.
« Nous sommes un théâtre qui paie ses acteurs à jouer dans une salle vide, des représentations qui sont diffusées quasiment gratuitement à la télévision, puisque notre principal diffuseur ne nous paie pas
Comment l'OM traverse-t-il cette crise sanitaire et économique inouïe ?
On parle beaucoup du secteur culturel mais nous, nous sommes un théâtre qui paie ses acteurs à jouer dans une salle vide, des représentations qui sont diffusées quasiment gratuitement à la télévision, puisque notre principal diffuseur ne nous paie pas. C'est une situation inouïe, effectivement. On est arrivés dans cette pandémie avec aucun euro de dette à notre bilan, sauf la dette d'actionnaire de Frank McCourt, qui l'a convertie à hauteur de plus de 100 M€ en capital (1). Avec le Covid et Mediapro, nous avons grosso modo 65 % de notre chiffre d'affaires qui s'envole en l'espace de quelques mois. Notre atout, c'est Frank McCourt. Il est le premier investisseur de Marseille, de très loin. Il a investi plus de 350 M€ à l'OM en quatre ans. Il faut accélérer davantage la diversification des ressources des clubs, on ne peut plus s'appuyer uniquement sur la billetterie et les droits télé. Il faut travailler aussi sur une modération salariale.
À combien estimez-vous les pertes liées à la billetterie ? Et à la défection de Mediapro ?
Dans la première hypothèse, on était sur des pertes entre 40 et 50 M€ sur la billetterie. Un autre critère sera important : retrouvera-t-on un marché des transferts plus ou moins normalisé l'été prochain ? Concernant Mediapro, l'impact est plus lourd encore puisque, pour compenser la perte de recettes, la Ligue comme le club se sont endettés, et cette dette, il va falloir la rembourser sur plusieurs saisons.
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Comme de nombreux présidents, vous vous êtes félicité de l'arrivée de Mediapro et du montant de ces droits télé. Quelles leçons tirez-vous de cet épisode ?
Cette affaire nous laisse un goût très amer. On a été trompés. Le Covid a bon dos. On n'arrête pas une affaire deux mois après le démarrage d'un cycle de quatre ans. L'objectif, je ne sais pas s'il était d'atteindre le milliard d'euros... On avait demandé aux présidents ce qu'ils attendaient, je n'étais pas allé aussi loin que cela. Mediapro, au moment de l'appel d'offres, en 2018, est une entreprise qui générait pas loin de 2 milliards d'euros de chiffre d'affaires, connue de tous dans le foot et les médias. Une organisation qui n'avait rien à envier aux meilleurs. Cet immense gâchis, cela laisse très interrogatif. Cette crise souligne aussi un enjeu capital des prochains mois.
Les Marseillais se montrent performants en L1 cette saison, beaucoup moins en Coupe d'Europe... (P. Lahalle/L'Équipe)
Les Marseillais se montrent performants en L1 cette saison, beaucoup moins en Coupe d'Europe... (P. Lahalle/L'Équipe)
Lequel ?
La lutte contre le piratage. Notre responsabilité en tant que détenteurs de droits, c'est de protéger les diffuseurs. La Ligue a été un peu naïve dans ce domaine, pendant de nombreuses années. J'étais chez un ami, l'autre soir, qui m'a montré, un peu penaud, une clé USB qu'il avait achetée sur un très grand site d'e-commerce, et qui lui permettait d'accéder à 500 chaînes du monde entier, dont les chaînes payantes de sport. Tout ça pour 18 euros par an. Ce n'est plus possible ! Il va falloir employer les mêmes méthodes que les pirates, taper fort. Il va falloir avoir une armée de hackers qui pourchassent en direct les sites de streaming, qui les bombardent de requêtes, pour les rendre inopérants, les mettre à genoux. La législation française n'est pas au niveau de l'enjeu.
Face à tous ces écueils, n'existe-t-il pas un risque : celui que Frank McCourt décide d'arrêter de combler les déficits ?
Après avoir travaillé sur les fondations avec des investissements massifs, le principe de la phase 2 de ce projet est de maintenir un niveau de performance sportive élevé tout en atteignant l'équilibre financier. C'est là où le Covid arrive, et Frank en a conscience. Sans le Covid, on aurait équilibré nos comptes cette saison, on était déjà sur cette trajectoire (2). En tant qu'investisseur, ce qui compte le plus aujourd'hui pour Frank McCourt, c'est la façon dont le football français va être capable de changer, de se réinventer, de s'adapter aux enjeux du XXIe siècle. C'est un sujet majeur dans sa stratégie d'investisseur, sa volonté de jouer les premiers rôles à l'OM et dans le football français.
McCourt a-t-il songé, ces derniers mois, à vendre le club ?
Non. Et c'est dommage que des pseudo-tentatives, très vite avortées, n'aient pas été davantage démasquées par vos confrères.
« À l'OM, nous voyons, de temps à autre, des bandes désorganisées fondre sur nous
Vous faites allusion à Mourad Boudjellal. L'épisode Ajroudi est terminé, mais que pensez-vous de ses dernières déclarations, sur ses envies de revenir à la charge avec un pool d'investisseurs ?
À l'OM, nous voyons, de temps à autre, des bandes désorganisées fondre sur nous. Ce sont les coalitions baroques d'anciens salariés licenciés, de dirigeants à la retraite qui pensent que l'OM leur appartient toujours, de supporters ultras exclus du stade, de prestataires écartés, de politiques locaux en mal de notoriété, d'anciens joueurs frustrés de ne pas avoir décroché de contrat avec le club. On regarde ça avec beaucoup de distance. Là, cela a été mené avec une intention profondément négative, on les a assignés en justice, les juges diront le droit, et on ira jusqu'au bout pour démasquer les imposteurs, les haineux qui se cachent derrière les comptes Twitter anonymes, bref, tous ceux qui ont cherché à nous déstabiliser, que nous avons identifiés. Il y a une citation de Clemenceau : "Ne craignez pas d'avoir des ennemis ; si vous n'en avez pas, c'est que vous n'avez rien fait." Visiblement, j'ai beaucoup fait... Je regrette que cette histoire (Boudjellal-Ajroudi) soit devenue le feuilleton de l'été, alors que cinq appels à des personnes qualifiées auraient permis de faire comprendre à chacun l'étendue de la supercherie. Bernard Tapie m'a appelé pour me dire à quel point il a été outré par ces méthodes, avec des mots justes. »
(1) Frank McCourt a converti en capital 132 M€ de compte courant. Pour éponger les déficits du club, l'actionnaire a ainsi renoncé à être remboursé sur cette somme qu'il avait investie dans la société SASP OM.
(2) Devant la DNCG, début juillet, Frank McCourt a évoqué des comptes à l'équilibre pour l'exercice 2020-2021 en tenant compte d'un apport de 20 M€ de sa part et d'un excédent de 40 M€ sur la balance des transferts réalisés par l'OM sur cette même saison.
Un besoin de clarté et de précision
La semaine dernière, le président Jacques-Henri Eyraud a décidé d'une double prise de parole avant les fêtes : sur France Bleu Provence et dans L'Équipe. Entretemps, une polémique a éclaté sur des propos tenus à des influenceurs sur le « Shack Talk », un podcast de managers, début décembre, où il dévoilait sa philosophie. « Quand je suis arrivé à l'OM, j'ai été frappé de voir que 99 % des collaborateurs du club étaient marseillais, glissait-il. C'est un danger et c'est un risque. Après une série de défaites, j'ai vu que les visages se refermaient, les dépressions étaient proches. En termes de productivité, l'impact d'une défaite sur les attitudes et les comportements des collaborateurs étaient forts et cela ne va pas. »
Cette déclaration a provoqué un tollé sur les réseaux sociaux et de l'incompréhension au club, dont la moitié des salariés sont des locaux. Cela a influé sur le ton de cet entretien, prudent, pédagogique, alors que l'heure est déjà assez grave pour les clubs français. « J'essaye d'expliquer quelle est ma philosophie pour que l'OM devienne un club du top 10 européen, avec les talents nécessaires, les expériences, les compétences dont j'ai besoin autour de moi et qui ne sont pas issues que de notre ville, a-t-il tenu à nous préciser vendredi. Ce n'est pas une attaque que je porte envers les Marseillais. »Ba.C. et M.Gr.