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e retour d'un voyage de quelques jours aux États-Unis où il s'est rendu chez Google et a rencontré plusieurs startups de la Silicon Valley, Jacques-Henri Eyraud a accepté de se livrer sur l'actualité du football français et de l'Olympique de Marseille. Dans un hôtel huppé de la capitale, en sirotant un jus de cranberry, le président de l'OM est revenu une heure durant sur les sujets chauds d'un club qu'il dirige depuis que le milliardaire américain Frank McCourt a repris l'institution provençale à Margarita Louis-Dreyfus à l'été 2016. Discret sur le mercato à propos duquel il concède toutefois qu'il sera plus "ciblé" que l'été dernier et "davantage qualitatif que quantitatif", l'ancien PDG de Paris-Turf et Bilto, passé par Sciences Po et Harvard, se montrera nettement plus disert sur le reste. Entretien.
Comment avez-vous accueilli la récente hausse des droits TV de la Ligue 1 qui va dépasser le milliard d'euros pour la période 2020-2024?
D'abord il faut dire que c'est un excellent résultat obtenu par Didier Quillot (le Directeur général de la Ligue de football professionnel, Ndlr). Il devrait permettre à la Ligue 1 de se renforcer. Il y avait en France une véritable anomalie puisqu' aujourd'hui, le dernier du championnat britannique touche 100 millions d'euros de droits domestiques ce qui est environ deux fois plus que ce que perçoit l'Olympique de Marseille, alors que cette année nous avons été le deuxième club français à générer le plus de revenus TV sur le plan national. Le fossé avec les autres grands championnats européens va donc pouvoir se combler en partie mais l'écart restera malgré tout très important. Au Royaume-Uni par exemple les droits TV domestiques s'élèvent à 2,3 milliards d'euros soit plus du double de la Ligue 1. Cela n'est pas cohérent. La saison passée le match Manchester United-Manchester City a réuni 1,6 million de téléspectateurs sur Sky soit 8,1% de part d'audience alors que le choc entre l'OM et le PSG, le 22 octobre 2017, a été suivi par 2,6 millions de personnes sur Canal + soit 10% de part d'audience. La Ligue 1 ne vaut pas moins de la moitié du championnat anglais.
Que va changer concrètement cette nouvelle manne pour l'OM?
Lorsque nous avons repris le club, nous avons acté que les saisons 2017-2018 et 2018-2019 allaient être marquées par des investissements massifs. Nous avions donc prévu pour la saison qui vient de se terminer et la saison prochaine, deux exercices complets de pertes opérationnelles très importantes. Dans notre trajectoire financière, la saison 2020 a depuis le début été considérée comme essentielle car c'est elle qui doit nous permettre, au moment de l'entrée en vigueur des droits TV 2020-2024, d'atteindre un équilibre financier pérenne. C'est important car nous ne sommes pas un état souverain, nous sommes des entrepreneurs, et donc il n'est pas question d'exploiter un club qui perde de l'argent de façon structurelle. Le prochain cycle de droits TV nous permettra de renforcer notre projet et peut-être d'envisager d'aller plus loin et plus vite.
Depuis plusieurs mois vous pointez du doigt la faiblesse des droits TV de la Ligue 1 à l'international. Que préconisez-vous pour que là-aussi la France comble son retard avec les autres championnats européens?
Ce qui est certain c'est que avant même le bilan de cet appel d'offres sur les droits domestiques, les droits internationaux du football français étaient pour moi et pour beaucoup de présidents de clubs, le sujet numéro un car ils vont rapporter au football français 80 millions d'euros la saison prochaine. Ils en rapportent 360 millions pour le football italien, 241 pour le football allemand, 636 millions pour l'Espagne et 1,2 milliard pour le football anglais. Est-il logique que le foot anglais soit valorisé à l'international douze fois plus que le football français ? La réponse est bien évidemment non. Pour être performant sur la valorisation de notre football à l'international, il faut investir. La Ligue de football professionnelle (LFP) pourrait prendre exemple sur l'Espagne qui a dépensé 20 millions d'euros en quelques années pour digitaliser le football espagnol. Chez nous, c'est quatre fois moins. Javier Tebas, le patron de la Liga espagnole, passe aussi 115 jours par an à l'étranger. En France, nous sommes extrêmement en retard. Les précédentes directions de la LFP n'ont absolument pas investi dans le développement du football français à l'international. Les différents acteurs du football français doivent aussi balayer devant leurs portes. Les clubs de Ligue 1 suivent parfois une logique court-termiste en privilégiant des revenus immédiats. Je fais partie des présidents de clubs qui pensent qu'il faut être capable de sacrifier un peu de revenus à court-terme pour maximiser les rendements à moyen et long terme. La LFP doit donc investir aujourd'hui beaucoup plus dans la promotion de notre football, en marketing, en communication, et surtout dans le domaine du digital, pour récolter les fruits de cet investissements dans les années qui viennent.
Vous êtes assez critique vis-à-vis de la gouvernance du football français. En quoi est-elle défaillante à vos yeux?
Il y a aujourd'hui un décalage fort entre le poids économique du football français et son système de gouvernance. Si on regarde le football espagnol, on voit que quelqu'un comme Javier Tebas incarne un leadership extrêmement fort, y compris sur les présidents de clubs. Cela n'est pas le cas en France. La Liga espagnole recrute aussi chez Netflix, Facebook et Marca (quotidien sportif espagnol, Ndlr). Cela n'est pas encore suffisamment le cas en France. J'ajoute enfin que le football français porte encore les stigmates du monde associatif. Il est aujourd'hui trop géré comme une association loi 1901. Nous devons passer d'une ligue au fonctionnement essentiellement associatif à une ligue qui ressemblerait à une entreprise moderne, agile. Il serait par exemple tout à fait envisageable que la LFP prenne des tickets dans des startups qui évoluent dans des secteurs tels que la goal-line technology ou la data pour en faire des leaders mondiaux.
Le 1er juin, la société Arema, gestionnaire du stade Vélodrome, a annoncé la suspension des discussions avec l'OM concernant l'exploitation du stade que vous souhaitez récupérer. Comment avez-vous accueilli cette décision?
Arema a rompu des discussions qui n'avaient plus lieu depuis deux mois. Nous attendions leur réponse à une proposition que nous leur avions faite et nous ne l'avons pas eu donc cette annonce n'était pas une surprise. Notre position n'a pas varié, l'OM doit devenir l'opérateur du stade Vélodrome comme le sont la quasi-totalité des clubs de référence en Europe. 90% des clubs anglais et 95% des clubs espagnols contrôlent leur outil de production. Même en France, nos concurrents directs sont propriétaires de leur stade ou bénéficient d'un bail à long terme qui leur permet d'être chez eux. J'ai toujours espoir qu'une solution soit trouvée car il y a de part et d'autre des gens de bonne volonté.
Comment débloquer cette situation?
L'ensemble des décideurs publics, dont la mairie de Marseille, souhaitent que l'OM devienne l'opérateur du stade Vélodrome. Nous ne serons pas en mesure d'investir autant que nous le voulons, si on ne devient pas l'opérateur du stade. C'est de la responsabilité de l'ensemble des parties prenantes dans ce dossier.
La menace que vous avez brandie de construire votre propre stade est-elle toujours d'actualité?
Dès notre arrivée nous avons commencé à travailler sur le sujet avec le cabinet d'architecte américain HKS. Nous y sommes prêts même si l'intérêt supérieur du football français et marseillais n'est pas d'en arriver là. Les Marseillais ne sont pas là pour assurer à un fonds de pension un rendement de 15% sur son investissement, et ce n'est pas mon mandat. Mon job c'est d'investir comme un entrepreneur dans un stade qui peut être amélioré de manière importante.
Cette semaine l'UEFA va faire connaître sa décision à propos du fair-play financier que l'OM n'a pas respecté puisque le déficit du club sur les trois dernières saisons a dépassé les 30 millions d'euros. Quelles conséquences pourraient avoir une éventuelle sanction de l'UEFA?
Il n'y a pas de raison que cela remette en cause l'avancée de notre plan. Les discussions avec l'UEFA ont été extrêmement professionnelles. Les représentants de l'UEFA n'ont pas seulement regardé ce qui s'est passé sur les trois dernières saisons, où nous avons dépassé de neuf millions d'euros le plafond, mais ils ont cherché à comprendre notre trajectoire économique et financière. Je leur ai expliqué, et c'est l'une de mes marottes, qu'avec notre actionnaire nous voulions que l'OM soit géré au jour le jour comme une entreprise.
Vous donnez justement parfois l'impression de gérer l'OM comme un groupe du CAC 40.
L'OM est une PME qui a la caisse de résonance d'un groupe du CAC 40. Si en tant que dirigeant de club on se réfugie derrière les spécificités propres au football alors c'est là où l'on commence à faire des erreurs et j'ai essayé de me protéger par rapport à ça. Définir une vision, identifier des objectifs concrets, être focalisé sur l'exécution et savoir s'entourer des meilleurs talents, c'est ce qui fait qu'on est capable d'être performant.
Pour certains, cela pourrait ressembler à une définition du "macronisme"...
Vous n'êtes pas le premier à me le dire. Je ne sais pas trop ce que cela signifie mais j'ai une obsession : rendre ce club dans un meilleur état que celui dans lequel je l'ai trouvé y compris en cassant quelques codes. Alors oui, je pense que nous sommes bel et bien en marche… Mais marcher ne suffit plus dans le football d'aujourd'hui !
Pour conclure, comment définiriez-vous le business model de l'Olympique de Marseille?
La performance sportive, l'expérience offerte à nos supporters, la dimension citoyenne de ce club et la recherche de la pérennité économique et financières sont les piliers de notre projet. Cette pérennité ne sera atteinte que si la formation se place au cœur de notre stratégie. Nous avons pris ce virage alors que la formation n'était, avant nous, pas au cœur du modèle de l'OM. Nous allons aussi investir de plus en plus dans la post-formation. Nous ne sommes pas là sur le court terme, pour faire un coup comme revendre le club, ce que Frank McCourt ne m'a jamais demandé.