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Laurent Colette, le cerveau caché du Barça
Barcelone, auteur samedi d'une véritable démonstration (3-0) face au Racing Santander au Camp-Nou, se maintient provisoirement en tête du championnat d'Espagne. Le Barça, qui compte désormais 17 points, peut toutefois encore être rejoint en tête du classement par Levante (14 points) qui accueillera dimanche Malaga. Les Catalans auront connu, samedi, un match assez commode contre un Racing Santander impuissant face à la magie des combinaisons d'Iniesta et de Messi, auteur d'un doublé samedi. | REUTERS/GUSTAU NACARINO
Il ne veut tout simplement pas rajouter de l'huile sur le feu à quelques heures du clasico espagnol ce samedi 10 décembre. On lui suggère les débordements de la saison passée avec les multiples provocations de Mourinho, la cascade d'expulsions, la cuisante défaite madrilène 5-0 au Camp Nou face à des Catalans survoltés un soir de novembre 2010... Mais rien n'y fait. Laurent Colette, actuel directeur marketing, commercial, international et exploitation du FC Barcelone, le jure : "Pour moi, le Real Madrid n'est pas un ennemi. Ne comptez pas sur moi pour le critiquer ! Le Barça ne serait peut être pas aussi grand sans le Real…"
Le Français ne serait, lui, certainement pas aussi grand sans le Barça. Sans fausse modestie, il admet "avoir de la chance, [il] ne croit pas être supérieur à quiconque. Et puis [il] ne se balade pas dans la rue en hurlant qu'['il] travaille pour le club catalan !" La lumière, très peu pour lui. Tout juste reconnaît-il "des amitiés avec le père de Lionel Messi et les francophones de l'effectif, comme Eric Abidal ou Seydou Keita." L'homme est peu bavard quand il s'agit d'évoquer sa vie actuelle en Catalogne ou ses passions personnelles. On le sent même presque perdu lorsqu'il lui est demandé si la pression à son poste ne lui pèse pas. "Je suis préparé et même blindé… Et puis, je ne suis pas non plus un méchant pirate mercantile qui cherche l'argent sous n'importe quelle pierre !" En revanche, la voix posée de Laurent Colette s'emballe quand il raconte la façon dont il est devenu responsable d'un service qui cherche "à trouver 300 des 450 millions d'euros annuels du budget du FC Barcelone."
SANDRO ROSELL, L'INTIME
Diplômé d'une grande école de commerce française, cet originaire de Besançon est recruté par Nike en 1996, après avoir découvert l'Espagne au sein d'un groupe agroalimentaire cinq ans plus tôt. A la manière d'un scénario de film hollywoodien bien ficelé, il fait une rencontre qui va changer la suite de sa carrière. "Je suis devenu très ami avec Sandro Rosell, qui a signé le contrat entre l'équipementier et le Barça. Il dit souvent que je suis la tête et lui les jambes ! Moi dans la réflexion, lui dans l'action. Ensemble, on a appris chez Nike à prioriser, faire des sacrifices et mettre toute la puissance sur un seul objectif" se rappelle le Français. Le tandem s'éloigne ensuite en 1999, Sandro Rosell toujours chez Nike mais au Brésil, Laurent Colette à Tarragone, au parc d'attractions de Portaventura.
Mais loin des yeux ne signifie pas toujours, n'en déplaise au dicton populaire, loin du cœur. En 2003, Sandro Rosell est sur la liste de Joan Laporta, fraîchement élu président du FC Barcelone. Il n'a aucun mal à convaincre son ami de le rejoindre dans l'aventure : "J'occupais la fonction de directeur d'exploitation en charge de la billetterie, de la restauration, des loges..." se souvient-il. "Mais Sandro s'est fâché avec le président Laporta et j'ai été victime d'un 'nettoyage' quelques mois plus tard, en 2006" avoue celui qui reconnaît pudiquement qu'il "en a pleuré."
DE "DIRECTEUR DE CAMPAGNE" À DIRECTEUR MARKETING
Besoin de recul mais aussi d'indépendance. Laurent Colette décide de se mettre à son propre compte en qualité de consultant international stratégique. Les liens avec Sandro Rosell sont loin d'être rompus et les deux hommes travaillent en collaboration sur un projet, financé par le Qatar, de recherche de jeunes talents du foot dans seize pays en voie de développement. C'est donc le plus normalement du monde que le Français est l'un des premiers informés des velléités de Rosell de briguer en juin 2010 la présidence du club catalan. "Plus d'un an avant l'élection, je décide, seul, de rédiger une cinquantaine de pages qui pourraient faire office de programme. Je connaissais la maison, j'avais mes idées. Cela a tellement plu à Sandro qu'il m'a inclus dans le comité de sa campagne. Je me suis retrouvé jusqu'à coller des affiches dans des meetings !" La récompense est à la hauteur des efforts consentis lorsque l'ami de dix ans accède à la tête de la structure blaugrana.
Le nouveau nom sur la porte du bureau du "directeur marketing, commercial, international et exploitation" est donc celui de Laurent Colette. Il doit axer son travail sur la recherche de sources de revenus pour le club ainsi que la protection et le développement de la marque. "Mon département, composé de 65 personnes, doit faire rentrer deux tiers du budget à travers l'exploitation des installations, les abonnements, les loges, les évènements spéciaux, les billetteries, le parrainage, les tournées d'été, les matches amicaux, le sponsoring… Les seuls secteurs que je ne contrôle pas concernent les transferts et les droits télé" énumère celui qui ne manque aucun match au Camp Nou. Pour rivaliser avec les autres puissances européennes, le Barça essaye de se démarquer en proposant une stratégie à 360 degrés. "N'importe quelle action de notre club fait écho à une autre. Par exemple, quand on va aux Etats-Unis pour une tournée estivale, on en profite pour signer un accord avec la fondation Bill Gates. On continue ainsi à être présent toute l'année sur le marché mais avec d'autres projets".
Aux yeux de l'opinion publique, certains projets semblent toutefois privilégier les valeurs marchandes du capitalisme. En décembre dernier, le Barça accepte que Qatar Foundation devienne sponsor maillot, historiquement vierge (soit un contrat de près de 170 millions d'euros). "Mais la démarche a été dictée par les impératifs financiers !" se défend Laurent Colette. "Le club perdait de l'argent et perd toujours de l'argent. Le dernier exercice a été clôturé avec neuf millions de perte. Qatar Foundation n'a pas de but lucratif et puis on continue notre partenariat avec l'Unicef, toujours présent sur notre tunique." A 49 ans, le plus catalan des Français confie avec gourmandise qu'il ne manque pas d'idées pour le club de Messi. "Je suis obligé de travailler en cohérence avec les valeurs historiques. Le Barça croit qu'il a un rôle, certes modeste, à jouer dans la société." S'il refusera de l'admettre, le sien à Barcelone est tout sauf modeste.