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France Football
Nouveau venu dans la famille des présidents de club depuis septembre 2016, Jacques-Henri Eyraud impose ces derniers mois son profil clinique d’entrepreneur, au discours tenu et aux décisions tranchées. Il a réformé l’OM, son fonctionnement, son efficacité économique et, surtout, a donné les moyens à Rudi Garcia de construire une équipe candidate à la victoire en Ligue Europa. France Football lui a proposé de répondre aux questions de ses homologues de Ligue 1 et de certains de ses prédécesseurs. Messieurs Chabane, Keller, Kita, Lopez, Masoni et Sadran ont décliné, tout comme le duo Diouf-Labrune. Peu importe, les mots du boss marseillais décrivent bien ses désirs de s’ancrer dans la ville, de moderniser le football français, de garder la tête froide, tout comme son goût pour la tarte aux framboises.
Bernard Joannin
Amiens
« Je souhaite te dire que l’ensemble du football professionnel est derrière vous pour la finale de Ligue Europa. Mon équipe espère se déplacer chez un OM vainqueur lors de la dernière journée de Ligue 1. »
« Ce soutien me frappe jour après jour. Vraiment ! J’ai l’impression que l’OM est l’autre équipe de France. Je le mesure au volume de témoignages de dirigeants, à l’enthousiasme généré derrière cette équipe. Une dizaine de présidents aimeraient venir assister à la finale à Lyon. Cette dynamique super positive est dans le prolongement de la sympathie assez exceptionnelle dont bénéfice l’OM partout sur le territoire. L’OM est le club qui attire le plus de supporters en dehors de son stade, à Guingamp, à Bourg-Péronnas... L’OM peut être rebelle, fidèle à sa culture de combat et rassembler les Français. Après tout, la rébellion marseillaise rejoint peut-être l’esprit français et gaulois. »
Stéphane Martin
Bordeaux
« As-tu un rituel particulier ou une superstition avant un match ? »
« Étant assez rationnel, je ne suis pas superstitieux. Mais je m’autorise à manger une tarte aux framboises avant chaque match à domicile. Je l’achète chez Amandine, rue Paradis. »
Jean-François Fortin
Caen
« N’aurait-il pas été préférable de penser à la finale de Ligue Europa plutôt que de polémiquer avec Jean-Michel Aulas ? »
« Je ne pense pas que je me sois dissipé. La commission de discipline de la LFP a donné ses décisions trente-sept jours après les faits ! Si elle avait été plus rapide, nous n’aurions pas parlé de ce sujet à quelques jours de la finale. Je suis un dirigeant qui ne va quasi jamais en zone mixte après un match. J’interviens le moins possible dans les médias, mais je vis très intensément la nécessité de défendre mon club quand la cause est juste. Quitte à hausser le ton. C’est une façon de montrer à l’ensemble de mes collaborateurs qu’ils peuvent compter sur moi pour les défendre. »
Olivier Delcourt
Dijon
« Le fait de connaître toutes les ficelles de la communication grâce à tes activités passées est-il une force dans l’univers très médiatique du football ? »
« J’ai un atout : avoir existé avant l’Olympique de Marseille. J’ai été un entrepreneur généraliste dans le secteur des médias et du divertissement, qui est celui aussi du sport. Bien avant l’OM, j’ai vécu des expériences professionnelles à forte intensité, avec une grande pression économique. Ce fut une vraie chance. Quand j’étais chez Euro Disney, j’ai été catapulté porte-parole du groupe et, à chaque problème, à chaque annonce, j’allais m’expliquer devant CNN, TF1, le Monde, etc. Ç’a été très formateur ! Idem quand j’ai créé ma boîte (Sporever). Nous avions levé de l’argent quatre mois avant l’éclatement de la bulle Internet en 2000. Il a fallu encaisser le choc ! Ce passé professionnel m’a très bien préparé à mon engagement avec l’OM. Ma première expérience professionnelle, dans la communication, m’aide aussi beaucoup. L’OM est une petite PME qui a la caisse de résonance d’un groupe du CAC 40. En tant que dirigeant, je dois peser chaque mot. Or, depuis plus de vingt ans, je pèse chaque mot. Une fois président de l’OM, cette partie du job ne m’a pas du tout surpris. Je m’attendais à ça. »
Bertrand Desplat
Guingamp
« Lors de ton arrivée dans notre microcosme de présidents de L1 en 2016, tu as souhaité me rencontrer pour un échange convivial autour de ma vision du foot pro. Cela a-t-il été utile dans ta prise de fonctions à l’OM ? »
« On a eu une bonne discussion tous les deux... À mon arrivée à l’OM, l’une de mes rares surprises a été de voir l’état de division du football professionnel, avec les querelles entre l’UCPF (syndicat historique des présidents de club) et Première Ligue (créée en 2015) sur la répartition des droits télé. J’ai trouvé ça très préoccupant et anormal, compte tenu des enjeux. Nous avons tous conscience que le football français est à la traîne par rapport aux quatre grandes nations européennes et qu’il faut le réformer. Il faut que sa gouvernance soit repensée. L’OM était membre de Première Ligue, Bertrand Desplat, lui, représentait l’UCPF. Moi, j’ai débarqué en plein milieu de ces tiraillements et j’ai voulu comprendre en rencontrant des présidents de tous bords. Le président de l’OM se doit d’être actif dans les instances afin de peser dans certains combats. »
Jean-Michel Aulas
Lyon
« Comme moi, tu es fils de professeur. Est-ce que tu sais que nous sommes nés le même jour (22 mars), certes avec quelques années d’expérience en plus pour moi (1949 contre 1968) ? »
« Cette question me fait penser à une scène célèbre d’un film qui a marqué mon adolescence. Dans l’Empire contre-attaque, Dark Vador affronte Luke Skywalker et, à un moment du combat qui est paroxystique, il dit : “Luke, je suis ton père !’’ (Sourire.) Une chose est certaine, je me sens plein de points communs avec Jean-Michel Aulas, qui est un grand dirigeant, fort d’un succès exceptionnel à la tête de l’OL. Pour autant, je me sens le droit de lui dire quand je ne suis pas d’accord avec lui, voire de m’opposer franchement à lui. Quant aux conséquences de notre “accrochage’’ sur la finale de Ligue Europa à Lyon, les médias ont aussi une responsabilité dans la façon de faire prendre la mayonnaise ou pas... Moi, je reste en retrait, car chaque petite phrase est exploitée afin que la polémique ne cesse jamais. Pour moi, le chapitre est clos. Il faut que la finale soit une fête, joyeuse et paisible. Nous faisons tout pour qu’il n’y ait aucun incident. Nous travaillons beaucoup avec les groupes de supporters. Eux-mêmes sont convaincus qu’il s’agit d’un événement à part et qu’il faut en être digne. »
Bernard Serin
Metz
« Nous gardons un œil sur les performances de Bouna Sarr, formé au FC Metz. Quelle est son importance au sein du club à l’avenir ? »
« Je tire un grand coup de chapeau à Bernard. Quand je suis arrivé à l’OM, j’ai fait un audit de la formation et de la détection en Ligue 1 et ailleurs. En 2017, j’ai fait une étape au Sénégal, à Génération Foot, qui est lié au FC Metz (NDLR : Sadio Mané et Ismaïla Sarr y ont été formés). Le travail effectué là-bas est exceptionnel. Le FC Metz a beaucoup d’avance sur l’Olympique de Marseille en matière de formation, j’ose le dire. Je prends exemple sur ce qu’ils font. Nous mettons en place un processus pour faire complètement évoluer notre formation. Ça commence à venir et j’espère que nous aurons de belles surprises dans les prochaines années. À la suite des conventions signées avec une vingtaine de clubs marseillais, une proximité est née, et plusieurs gamins sont venus chez nous. Nous voulons remettre l’OM au cœur des préoccupations des familles de Marseille pour qu’elles se disent que tout est possible avec l’OM si leur enfant joue au foot. L’OM ne doit plus être un objet hors sol, inaccessible. Quant à l’Afrique et au Maghreb, nous réfléchissons à un club filiale, pourquoi pas. C’est un terrain tellement fertile en talents. »
Vadim Vasilyev
Monaco
« Tu as vécu aux États-Unis et M. McCourt a été propriétaire d’une franchise de baseball : qu’aimerais-tu importer du sport américain dans notre football ? »
« Il faut toujours agir dans l’intérêt de la marque, qui est l’actif le plus important. Cela englobe l’histoire du club, sa tradition, son identité, sa culture... Il faut faire évoluer cette marque afin d’engranger des ressources, ce qui ne se limite pas à vendre plus de maillots et de casquettes. Il s’agit de concevoir une véritable expérience autour de l’équipe avec, au centre, les supporters. Je me vois comme un serviteur du club qui doit faire vivre au mieux possible une passion. Le prix de certaines places peut augmenter, mais nous voulons garder les virages populaires, car Marseille n’est pas Londres ou une ville américaine. Même s’il existe des clubs très populaires aux États-Unis, par exemple les Red Sox à Boston (baseball) dont nous avons étudié le modèle économique. Nos inspirations sont plutôt le FC Barcelone ou le Bayern. Nous ne voulons pas copier un modèle économique, nous voulons construire le nôtre. Tout n’est pas transposable et il n’y aura pas de pom-pom girls au Vélodrome. »
Laurent Nicollin
Montpellier
« Quelles sont les clés de la réussite d’un Parisien à Marseille ? »
« Il faut passer beaucoup de temps dans la ville. Depuis le début, je vis dans le cœur de Marseille. Sinon, peu de gens savent que je passe beaucoup de temps dans les quartiers, avec des acteurs de terrain, afin de mieux comprendre cette ville, ses enjeux, sa situation sociale. Il y a eu les visites à tous les clubs de l’agglomération qui ont signé une convention avec nous. J’ai fait aussi des choses plus extrêmes. Comme une nuit d’intervention avec les marins-pompiers dans les quartiers Nord et à la Belle de Mai. J’ai assisté à des situations très tendues. C’était important de voir Marseille par ce biais-là. J’ai également passé du temps avec une femme à la volonté incroyable : Jane Bouvier. Elle dirige l’École au présent, une association qui scolarise les enfants roms. Avec elle, je suis allé dans les bidonvilles, et je le referai. Même si j’ai fait mon service militaire à Carpiagne, tout près d’ici, j’avais besoin de ces expériences très concrètes. Aujourd’hui, je comprends mieux la ville. »
Jean-Pierre Rivère
Nice
« Quel aspect de la profession de président t’a le plus surpris depuis ta prise de fonction ? »
« Par rapport au monde de l’entreprise, le plus difficile, c’est l’incapacité à prendre un peu de recul, à profiter des moments fastes... À la tête d’un club, le rythme est effréné. Après la victoire contre Leipzig (5-2), une pure magie dans le stade, j’ai eu le temps d’être heureux... six heures maximum. Il fallait vite passer à autre chose, car on jouait à Troyes trois jours plus tard. Ça, c’est difficile ! En entreprise, si vous rachetez une société, vous bossez très dur pendant quatre, cinq mois mais, une fois l’opération réussie, vous pouvez décompresser, profiter du travail bien fait. Dans le football, non ! »
Nasser al-Khelaïfi
Paris-SG
« Comment les clubs français peuvent-ils mieux travailler ensemble pour développer sur le long terme les intérêts de la L1 en France et à l’international ? »
« Ces dernières années ont été marquées par l’arrivée d’investisseurs étrangers. On attend les investisseurs français, ce serait intéressant. Ces dirigeants viennent avec une vision plus professionnelle et plus internationale. Il y a besoin de locomotives soudées qui travaillent au rayonnement de notre football hors des frontières. Je serais très heureux de travailler encore plus aux côtés de Nasser en ce sens, car il faut se préparer à la concurrence avec d’autres formes de divertissement. Aujourd’hui, le foot est le seul spectacle pouvant attirer dix, quinze millions de téléspectateurs, mais il ne faut pas croire que c’est acquis à jamais ! Un jour, notamment auprès des jeunes générations, il peut être dépassé par du football virtuel sur consoles de jeu ou téléphone mobile. Le football n’est pas à l’abri. Dans dix ans, c’est-à-dire demain, grâce à la technologie, deux entrepreneurs de dix-huit ans inventeront peut-être un divertissement monstrueux, un loisir global qui détrônera les sports traditionnels. Il faut être très conscient de ça. Ne pas croire que la rente sera croissante éternellement. »
Olivier Létang
Rennes
« Il existe un décalage énorme entre l’image publique de notre activité de président et la réalité concrète de la gestion d’un club professionnel. Imaginais-tu un décalage aussi important ? »
« Olivier veut sans doute dire qu’il y a, en France, encore une vision artisanale du football. Il faut absolument franchir un cap et appliquer des processus de gestion éprouvés dans d’autres secteurs d’activité. La difficulté du football, c’est que bon nombre de ses acteurs vivent dans un monde à part, ce qui justifie des comportements inadaptés. Le football est un secteur d’activité comme un autre avec ses spécificités, mais qui doit changer sa gouvernance, ses pratiques. L’activité au sein de la Ligue professionnelle doit être moins politique et plus orientée vers le développement économique afin de se trouver à armes égales avec ses homologues européennes. La Ligue espagnole dépense plus de 20 M€ pour sa transformation digitale. En France, on budgète 3,4 M€. »
Bernard Caïazzo
Saint-Étienne
« Jouer la finale de la Ligue Europa vingt-cinq ans après la victoire de Munich n’est-il pas la preuve que Dieu existe ? »
« Je cherche encore si Dieu existe... Mais quel formidable coup du destin ! Avant notre qualification pour la finale, on était en train de travailler sur l’anniversaire de la victoire de 1993. Quelle meilleure célébration que de rejouer une finale ? Ce sera l’occasion de fêter tous ceux qui ont porté l’OM au plus haut, notamment les acteurs de 1993. Pour préparer au mieux cette finale, à moi d’être encore plus dans l’écoute. Les équilibres sont instables, le moindre grain de poussière peut tout fragiliser. On essaie d’être les meilleurs dans la logistique. Je pense aux billets alloués à chaque joueur. Eux ont besoin que leurs proches soient présents pour ce moment si fort de leur carrière. Or l’UEFA nous a expliqué que chacun n’aurait que deux places. Ce n’était pas possible ! On a en obtenu davantage. Il y a aussi l’hôtellerie, les déplacements à Lyon… Être extrêmement pointilleux, c’est mon job. Par mon passé de sportif, j’ai un peu appris à aborder la compétition. Avant chaque match, j’ai tendance à me refermer sur moi-même afin de rester dans mes pensées en vue de l’objectif. »