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Jacques-Henri Eyraud : «Je rendrai coup pour coup»
Malgré la victoire contre Salzbourg (2-0), jeudi, en demi-finales aller de la Ligue Europa, Jacques-Henri Eyraud n'a toujours pas digéré le verdict de la commission de discipline, mardi, après les incidents de Marseille-Lyon, le 18 mars. Le président de l'OM a décidé de contrattaquer et vise Jean-Michel Aulas, le patron de l'OL.
Jeudi soir, l'OM battait le RB Salzbourg en demi-finales aller de la Ligue Europa (2-0), mais une victoire n'a pas suffi à Jacques-Henri Eyraud pour digérer les sanctions rendues par la commission de discipline de la LFP, deux jours plus tôt. Après les incidents qui avaient perturbé l'après-match entre l'OM et l'OL, le 18 mars (2-3), la commission a infligé la même sanction à Anthony Lopes et à Adil Rami (3 matches de suspension, plus deux rencontres avec sursis pour le Lyonnais Marcelo). Alors que les deux Olympiques sont à la lutte pour le podium, le président de Marseille n'a pas apprécié la sentence et il le dit, déterminé à défendre les intérêts de son club.
«Avez-vous passé une belle soirée au Vélodrome, hier ?
L'avant-match a été pénible. J'ai tendance à me fermer complètement, à être dans le match comme les joueurs. Je suis très concentré, comme à l'époque où je combattais (il a fait du taekwondo). C'est dans ces moments que j'aimerais mettre les crampons mais heureusement je n'ai pas été choisi pour ça. Grâce au résultat et à l'attitude de nos supporters, la soirée fut belle, même si rien n'est joué.
Frank McCourt a-t-il apprécié ?
Sur le deuxième but, il a littéralement explosé de joie. Il fallait le voir. Il vibre comme un supporter de longue date. Il aurait parfois sa place chez les Fanatics ou les Winners !
Mardi, votre soirée avait été moins agréable, visiblement. À la suite des sanctions prononcées par la commission de discipline, vous avez tweeté : ''J'ai compris''. Qu'avez-vous compris ?
Cela fait maintenant un an et demi que je suis à la tête de ce club et j'avais entendu beaucoup de choses qui me faisaient réfléchir. Mais j'ai l'habitude de d'abord laisser mes émotions de côté et de me faire ma propre opinion sur la réalité d'une situation. C'est d'ailleurs pour cela que, la première année de mon mandat, je suis resté assez en retrait, y compris dans les instances. Aujourd'hui, ce délai d'un an et demi me permet de tirer un nombre de conclusions de ce que j'ai pu entendre, de ce dont j'ai été témoin, et peut-être de changer d'approche.
Qu'aviez-vous entendu ?
Que depuis quinze ans tous mes prédécesseurs avaient eu à un moment donné un problème avec Jean-Michel Aulas. J'ai eu avec lui des convergences sur certains sujets et j'ai une bonne relation, qui doit être professionnelle, constructive. Mais j'ai assisté à un tel moment mardi soir que, si cela ne remet pas en cause l'opinion que je porte sur l'homme, le dirigeant de club, je rendrai désormais coup pour coup. Et je le ferai d'autant plus qu'en décembre 2017, j'ai été le premier à signer la charte des présidents, à la demande de Nathalie Boy de la Tour (la présidente de la LFP). C'était pour moi un moment assez solennel. Les présidents devaient s'engager sur cette charte qui dit trois choses (il sort le document et lit) : adopter en toutes circonstances un comportement irréprochable, notamment en ne dénigrant pas les acteurs des rencontres ; adopter un comportement honnête et respectueux vis-à-vis des autres clubs et maintenir des relations de confiance entre eux ; chercher à résoudre nos différends de façon amiable sans avoir à les porter devant des juridictions et sans les médiatiser. C'est ce que j'ai signé. Jour après jour, j'ai vu un président qui faisait l'inverse et qui bénéficiait d'une impunité absolue dans son comportement et son attitude. Aujourd'hui, cette charte, alors que j'ai été le premier à la signer, je suis officiellement le premier à m'en libérer. C'est un gadget sans aucun intérêt, sans aucun effet. J'ai compris cela et je vais continuer à comprendre davantage. Parce qu'on peut être le plus grand président de club en activité, ce que je pense profondément, mais on ne peut pas continuer dans cette impunité à dire les choses qu'il dit et à bénéficier d'une écoute qui soulève un certain nombre de questions.
Vous dîtes que vous rendrez coup pour coup. En occupant le terrain médiatique, comme vous le faites maintenant ?
Mon objectif professionnel n'est pas d'afficher 8 000 tweets sur mon compte. J'ai autre chose à faire que de passer mon temps sur mon téléphone, y compris en vacances à Saint-Barthélemy, à tweeter sur l'Olympique lyonnais. J'ai un principe, c'est l'attitude que j'ai adoptée entre les quatre murs de la commission : beaucoup travailler mes dossiers et m'expliquer parfois de manière forte pour convaincre, m'opposer ou m'affronter. Dans la gestion autour du foot, il y a souvent trop de place pour l'émotion, l'irrationnel, et je ne suis pas comme ça. J'essaie de mettre mes émotions de côté. Après, quand il existe une succession de faits, l'utilisation d'insultes, de langage excessif, alors libre à moi de décider jusqu'où je suis prêt à entendre ces insultes, ces provocations, ces pressions.
Qu'est-ce qui vous a interpellé mardi, et avant ?
D'abord, j'ai cru que cette audience se déroulerait en milieu de saison 2018-2019... Je rappelle les faits. Le match a eu lieu le 18 mars, la première réunion devait être fixée le 12 avril, ensuite le 12 avril est devenu le 19, puis on a reçu un courrier où il était question du 2 mai. Les grèves ont été une des raisons invoquées par le directeur général adjoint de l'OL (Vincent Ponsot). Mardi, les joueurs de l'OL sont repartis en avion privé. J'avais pour ma part proposé d'annuler ma présence lors du déjeuner officiel avec Leipzig pour être avec la commission. L'autre surprise a été de voir que les semaines passaient et que l'instructeur ne s'était toujours pas saisi du dossier. Trois semaines après le match, l'instructeur est venu vers les parties prenantes en leur demandant des pièces. Trois semaines après ! J'ignore si c'est un lien de cause à effet, mais nous avons reçu le rapport de l'instructeur à quelques heures de l'audition, mardi en début d'après-midi. Je passe sur la troisième surprise où, en entrant dans la pièce, j'ai vu dix personnes qui se levaient plus pour saluer le président de l'OL que pour saluer le président de l'OM. C'est certainement lié au privilège de l'âge. Ensuite, il y a eu le verdict que je trouve à la fois asymétrique, disproportionné et profondément injuste pour Adil Rami.
Ce verdict était-il vraiment inattendu ?
On avait tellement travaillé ce dossier, à la lumière de la jurisprudence, des images, que je ne m'attendais pas à cette délibération. Quelle est la prochaine étape ? Comme disait Kant, je vais continuer à "oser comprendre".
Comment la séance s'est-elle déroulée ?
La tactique de Lyon a été celle de deux écoliers pris en flagrant délit dans un coin de la cour de récréation après avoir eu des échanges un peu trop violents et qui finalement se mettent d'accord ensemble en disant au maître qu'il ne s'est rien passé. Ma tactique à moi était différente. Pourquoi ? Parce que j'ai un collaborateur qui ne s'appelle pas Dimitri Payet ou Florian Thauvin ou Adil Rami. Il s'appelle Walid Baaloul (un intendant de l'OM), et il est quelqu'un de remarquable, qui s'est fait frapper au visage par le capitaine de l'Olympique Lyonnais (Anthony Lopes). Walid Baaloul je ne l'ai pas acheté 30M€, il est peut-être un peu moins important que Dimitri Payet sur la pelouse, mais Walid Baaloul, mon collaborateur, s'il est frappé au visage par qui que ce soit, et encore plus le capitaine de l'équipe adverse, alors je vais aller jusqu'au bout pour le défendre. Jusqu'au bout. Il n'était pas question de mettre un mouchoir sur une situation et de ne pas rendre justice à Walid. C'est une question d'éthique personnelle, de valeurs, et je suis fier d'avoir eu cette attitude. C'est ça la différence entre l'OL et nous.
Quitte à risquer d'alourdir aussi, de manière indirecte, la sanction d'Adil Rami ?
Quelle a été notre position, sur Adil Rami ? À la 93e minute, Marcelo vient volontairement, et les images sont extrêmement claires, donner un coup d'épaule à Adil Rami, qui a le tort de répondre par un coup de poitrine. Marcelo s'écroule au sol. L'assistant signale la scène à l'arbitre central, M. Ruddy Buquet, qui convoque les deux joueurs en leur disant qu'il souhaite que le match se termine sereinement. Au regard des règlements de la Ligue, il a jugé la chose. J'ajoute que le même Marcelo, qui s'en est sorti par un sursis, avait à la 16e minute, volontairement et en faisant en sorte que l'arbitre ne le voie pas, donné un méchant coup d'épaule à Florian Thauvin. Enfin, le même Marcelo est celui qui, dans un geste désormais habituel des joueurs de l'OL, enlève son maillot à deux mètres de Steve Mandanda, Adil Rami et les autres, pour les provoquer juste avant l'arrivée au vestiaire. Et ce geste a été relevé par le quatrième arbitre, Yohan Hamel, qui explique noir sur blanc qu'il a provoqué l'attroupement à l'entrée du tunnel.
Vous évoquiez un verdict injuste pour Adil Rami...
Notre propos a été de souligner qu'il a répondu, à tort, à une provocation. Mais il est un joueur au casier disciplinaire totalement vierge cette saison. C'est pourtant le défenseur central le plus utilisé en France et en Europe. Il a pris, quand on regarde sa carrière, trois cartons rouge directs en dix ans. Au moment où les incidents se sont passés, il n'est pas celui qui a mis de l'huile sur le feu mais, au contraire, celui qui touche l'épaule (d'un joueur lyonnais), en disant ''c'est terminé''. Il a ensuite été provoqué par Jordan Ferri, etc, etc. Pour nous, il était clair qu'à l'échelle des barèmes de la Ligue, Adil Rami méritait, au pire, le sursis. Il a eu une altercation, non pas avec Anthony Lopes, mais avec Marcelo. Marcelo s'en est sorti avec deux matches de sursis, donc on ne comprend pas.
Et Anthony Lopes ?
Sur Anthony Lopes, notre attitude n'a pas consisté à demander deux ans de suspension et un retrait de points pour l'OL. Notre attitude a été de dire : le règlement de la LFP, sur un fait de violence entraînant une incapacité de travail, prévoit ce type de sanctions. Que fait-on ? Doit-on appliquer le barème ou pas ? C'est tout. On s'est permis, et cela a beaucoup choqué Jean-Michel, de rappeler, après tout, qu'Anthony Lopes avait été dans tous les mauvais coups cette saison. Je ne parle même pas des saisons précédentes. C'est vrai, j'ai employé le terme de "multirécidiviste". Trois matches de suspension ferme pour Anthony Lopes, qui a donc frappé au visage un membre du staff de l'OM, c'est moins que Zlatan Ibrahimovic, qui dit que la France est un "pays de merde", c'est moins que Stéphane Ruffier, qui, sans le toucher, va parler de façon un peu appuyée à un arbitre, pendant le match, sur un fait de jeu (contre Monaco, 0-4, le 15 décembre, le gardien stéphanois avait touché l'assistant de M. Delerue en contestant une décision et avait ensuite été suspendu 4 matches). C'est profondément injuste, et même inexplicable.
Comment expliquez-vous ce verdict ?
Je ne peux l'expliquer que par la crainte, la peur de juger avec courage une situation à quatre journées de la fin du championnat où deux équipes sont au coude-à-coude pour la qualification à la Ligue des Champions. Peut-être qu'on se dit à ce moment-là : une telle décision qui mériterait, selon moi, de priver de la suite de la compétition des joueurs importants de l'OL, déséquilibrerait la régularité de cette compétition. Sauf que... c'est le monde à l'envers ! Aligner les sanctions entre Rami et Lopes et mettre les deux équipes sur le même pied pour ne pas risquer d'impacter la régularité de la compétition n'est pas le rôle de la commission. Cette régularité a déjà été impactée par le fait que cette décision est intervenue trente-sept jours après le match. Trente-sept jours. J'ai partagé avec les membres de la commission l'exemple concret d'un match ayant eu lieu en Angleterre le 14 avril dernier, entre Chelsea et Southampton. Match pendant lequel Marcos Alonso (Chelsea) commet un geste coupable. Il est sanctionné par la commission de discipline de la Premier League le 17 avril, qui lui donne 24 heures pour faire appel. Il le fait. Les sanctions à son encontre sont confirmées le 19 avril. Quitte à copier les modèles les plus performants, copions-les sur des sujets vraiment importants pour l'éthique, la régularité et l'organisation des compétitions.
La commission n'est-elle pas soucieuse de préserver les enjeux d'image et l'attractivité de la L 1 ? Cette saison, il y a eu le cas – favorable à l'OM – de Luiz Gustavo, expulsé à Nice le 2 octobre, et aussi celui de Kylian Mbappé, expulsé à Rennes le 30 janvier : une certaine mansuétude leur a permis de disputer les Classiques, aller et retour. Qu'en pensez-vous ?
On regardera ces faits-là avec attention. Vous avez peut-être raison, ces paramètres ne devraient pas entrer en ligne de compte. La justice est censée juger le même fait de la même façon, qu'il se soit produit dans le 8e arrondissement de Marseille ou dans la cité des Micocouliers (14e arrondissement). Ensuite, je pense qu'il faut le faire dans un cadre et avec des professionnels en nombre plus restreint. J'ajoute que je n'ai pas eu l'honneur d'être présenté, je suis incapable de vous dire le nom des membres présents de la commission et ce qu'a été leur passé ou leur présent professionnels. Sauf un médecin légiste qui a eu une intervention étonnante (Walid Baaloul s'est vu signifier deux jours d'ITT et trente de soins par un médecin mais le médecin qui siège à la commission de discipline de la LFP a estimé que le certificat médical recelait deux irrégularités).
Selon certaines indiscrétions, vous appelez à dissoudre la commission de discipline...
Absolument pas. Je n'appelle pas à la dissolution de la commission de discipline, ni au siège de la Ligue ! J'appelle à une réforme profonde du fonctionnement de la LFP, à la poursuite de la professionnalisation de l'arbitrage, à des changements qui vont faire basculer le football pro français dans une autre dimension. Et qui va ne pas se satisfaire de ce qu'on peut appeler une saison de transgressions. Un joueur lyonnais qui touche un arbitre : pas de sanction (en fait, expulsé à Angers le 1eroctobre pour avoir involontairement touché le bras de M. Lesage, Marcelo avait été automatiquement suspendu pour une rencontre). Un joueur lyonnais qui met la main au visage d'un juge de touche : pas de sanction (à Caen, le 3 décembre, Fernando Marçal avait repoussé un arbitre assistant de la main, sans être expulsé). Et maintenant un joueur lyonnais qui frappe un intendant au visage : trois matches. On ne peut plus accepter ça. Il faut trouver les moyens de limiter les aléas, affiner le jugement. Je suis très satisfait que la vidéo ait été votée à l'unanimité du conseil d'administration. Parce que j'étais un peu inquiet, pour tout vous dire, d'entendre dans les dernières heures précédant le vote que Jean-Michel soulignait la prudence des Anglais, qui attendaient un an de plus pour l'instaurer.
Après un an et demi à la tête de l'OM, vous estimez donc qu'il y a un problème avec Lyon ?
Il y a une attitude, un comportement, une agressivité, il y a des provocations. Suite à notre intervention en séance, on a été menacés par Lyon, de procédures judiciaires, y compris pénales, ce que j'ai trouvé étonnant.
C'est-à-dire ?
Je ne sais pas si la qualification a été prononcée, ça n'était pas dirigé vers moi, mais vers notre secrétaire général (Alexandre Mialhe) et notre avocat (Olivier Grimaldi). J'ai trouvé ces méthodes curieuses, et je n'aime pas quand Jean-Michel devient "Don Giovanni-Michele". Ce que je veux noter plutôt, dans tous ces événements, c'est le contexte qui entoure l'OM aujourd'hui : un enthousiasme, une passion, des valeurs positives, une équipe qui vit bien, une ville dont le cœur bat comme il n'a pas battu depuis longtemps pour ce club.
Vos prédécesseurs, Pape Diouf, Jean-Claude Dassier, Vincent Labrune, avaient aussi été rattrapés par la rivalité sportive et financière avec l'OL. Ce sprint final, avec des enjeux industriels énormes, vous ajoute-t-il de la pression sur les épaules ?
Absolument pas. Je crois qu'un homme politique a dit un jour : "Je préfère perdre des élections plutôt que perdre mon âme" (Michel Noir, en 1987). Je ne suis pas celui qui compte vaincre au mépris de ses valeurs. Si je termine quatrième, j'aurai vécu une saison incroyablement forte et stimulante et j'aurai donc d'énormes motifs de satisfaction. Après, je veux vraiment aller plus loin et dépasser nos objectifs. Les quatre matches qui restent, nous les jouerons avec toute notre volonté et notre caractère, sans compter ce parcours exceptionnel en Ligue Europa, dont j'espère qu'il ne s'arrêtera pas en demi-finales.»