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« IL FAUT EMPLOYER LES ARMES QU'EMPLOIENT CERTAINS »
Le président marseillais, à la tête du club depuis un an, porte un regard critique sur le milieu du football, les agents, l'arbitrage et même l'OL. Il défend vigoureusement l'OM et incite ses joueurs à un peu plus de vice.
Jeudi, 8 h 30, dans un salon du Sofitel Vieux-Port réservé pour l'occasion. Jacques-Henri Eyraud a enfilé son légendaire pull camouflage. Une chemise remplie d'arguments et de statistiques est posée face à lui. Le président a ainsi compilé le nombre de penalties obtenus par Lyon et Marseille depuis août 2016. Ce sera un des sujets sur lequel il se montrera offensif, bien décidé à défendre l'OM et plus largement Marseille, une ville «qui dérange » selon lui.
« Quel bilan faites-vous de cette première partie de saison ?
On est en avance sur les temps de passage. On a 38 points. L'OM a terminé deuxième dans le passé avec 29 et 32 points à la trêve (35 en 2009-2010, en fait). C'est donc une très belle performance. On sait aussi que l'OM a terminé avec 41 points à la pause pour finir quatrième en fin de saison (avec Bielsa en 2014-2015). Cela dit, pour nous, ce serait un bon résultat.
Vraiment ?
Nous n'avons pas prévu cette saison de nous qualifier pour la Ligue des champions. Après, quand on voit le classement et la façon dont l'équipe monte en puissance, s'il y a un coup à jouer, on le jouera à fond.
Quand sera-t-il impératif de se qualifier en C 1 ? La saison prochaine ?
On avait prévu de devenir un outsider sérieux pour une place en Ligue des champions en 2018-2019. C'est notre première saison complète. On bâtit encore les fondations du projet. On n'avait pas pensé qu'on se qualifierait au bout de six mois en Ligue Europa, comme on ne pensait pas être dans le coup pour se qualifier pour la C 1 dès cette saison. On a un an d'avance sur le plan. Ce serait bien qu'on le maintienne.
Quels sont vos meilleurs et vos pires moments de cette première partie de saison ?
Il y a eu des moments forts. Celui que je garde à l'esprit, c'est Paris (2-2,le 22 octobre). Les joueurs ont fait plaisir à beaucoup de monde et on était à quelques secondes de la victoire. Ce match a été pour moi d'une intensité incroyable. Il a été un détonateur et a montré aux joueurs que tout était possible. Il a fallu un Cavani, un joueur que je trouve exceptionnel, pour nous ramener à la dure réalité.
C'était d'autant plus fort qu'il y avait cette crainte de prendre une volée...
Non, les joueurs ont démontré qu'ils n'abordaient pas ce type de rencontre avec la peur au ventre, même si on est passés complètement à côté contre Monaco(1-6, le 27 août). Il y a eu parfois des entames de match pas bien maîtrisées. Mais cela a été corrigé rapidement. Bon, après Monaco, il y a eu Rennes (1-3, le 10 septembre). C'était la deuxième défaite de suite et, depuis que Rudi (Garcia) entraîne cette équipe, ce n'est pas arrivé souvent (c'était la troisième fois). Contre Rennes, ce que je retiens, c'est le discours de Steve Mandanda dans le vestiaire après le match. C'était un moment très fort, avec beaucoup de dignité, de calme et de détermination. Steve a été un grand monsieur.
Vous étiez inquiet à ce moment-là ?
Non, ce sont des choses qui peuvent arriver. Ce qui m'a fait le plus sourire, c'est le déluge. Cela fait partie des choses que j'ai apprises en un an, j'appelle ça l'information girouette. Tout est à jeter quand on perd et tout est formidable quand on gagne.
Vous avez discuté avec les supporters après Rennes, comment avez-vous abordé ce rendez-vous un peu chaud ?
Je discute tout le temps avec eux et je pense que cela nous rend plus crédibles. J'aime bien ces réunions, où on se dit les choses. Il faut être capable de maintenir un dialogue permanent et pas seulement quand il se passe des moments difficiles. Et puis on a Thierry Aldebert (responsable sécurité), quelqu'un de droit, de juste. À Marseille, la température montre très vite mais elle redescend très vite aussi.
Pourquoi Rudi Garcia a-t-il refusé, à cette époque, de rencontrer les groupes de supporters ?
Dans des moments comme ça, ce n'était pas opportun. C'est moi qui ai décidé que ce n'était pas nécessaire. Je ne me cache derrière personne. Il y a eu des excès et il fallait être certain que le dialogue soit productif. Quand on a eu des incidents contre Salzbourg (bagarre entre groupes, le 7 décembre), le club a décidé un huis clos partiel sans se cacher derrière la Ligue ou une autorité. Je suis très reconnaissant de l'attitude des South Winners et des MTP, qui ont quand même publié un communiqué dans lequel ils regrettent et, encore mieux, ils s'excusent des violences. Ces groupes ont fait preuve d'un sens des responsabilités qui les honore. Même si l'OM, c'est la passion, il y a des moments où chacun comprend qu'il est allé trop loin. J'ajouterai que Marseille, cette ville, ce club, ces supporters, sont souvent stigmatisés de façon insupportable. J'ai vu un jour qu'on accusait les supporters marseillais de racisme(dans l'affaire Évra). C'est un gag. S'il y a bien un public qui est cosmopolite, respectueux des cultures, c'est le public marseillais. En tout cas, ce n'est pas au Vélodrome que l'on voit une banane.
Vous faites référence aux supporters lyonnais ? Que s'est-il passé exactement ?
Avant de se plaindre et de sauter dans l'arène médiatique, on aime avoir des faits. On essaie de comprendre ce qu'il s'est passé. C'était pendant l'échauffement (au Groupama Stadium, 0-2, dimanche). Mandanda ne l'a pas vu et, à ma connaissance, les joueurs n'ont pas fait état d'insultes racistes au staff. En revanche, j'ai vu une vidéo sur laquelle cette banane était clairement là. Il s'agit de comprendre pourquoi et dans quel cadre elle a été agitée par un supporter. On essaye d'en savoir un peu plus.
Estimez-vous que Lyon et ses supporters sont plus protégés ?
Je ne parle que de l'OM. Mais je suis assez frappé de la stigmatisation dont souffre cette ville. Marseille dérange, représente un certain nombre de symboles qui attirent parfois un traitement injustifié et inégalitaire. Il y a beaucoup de paranoïa dans le football mais je ne suis pas parano. Un jour, dans mon bureau, je vois en boucle sur une chaîne info bien connue, texto : "À Marseille, les rats empêchent les voitures de démarrer". J'ai appelé la personne la plus élevée dans la hiérarchie de cette chaîne pour lui dire que c'était une honte. J'ai travaillé sept ans de ma vie à Aubervilliers et en ce qui concerne les rongeurs j'aurais des choses à dire. C'est grotesque.
Évra vous a-t-il fait part d'insultes racistes lorsqu'il a frappé un supporter à Guimaraes (le 2 novembre, avant un match de Ligue Europa) ?
Dans cette affaire, Patrice Évra a assumé jusqu'au bout son geste. Il a compris qu'il avait commis une faute irrémédiable. À partir de ce moment-là, son futur à l'OM était compromis. Il en a tiré toutes les conséquences. La résiliation de son contrat s'est faite sans drame. Il y a eu une explication franche. Le public marseillais n'est pas un public raciste. C'est tellement méconnaître la sociologie des virages. C'est insupportable d'entendre ces choses.
Mais y a-t-il eu des insultes racistes à son encontre ?
Je n'en ai pas eu connaissance.
Évra ne jouait plus beaucoup et avait un gros salaire, est-ce que son dérapage ne vous a pas arrangé au final ?
Absolument pas. Le départ d'Évra est un échec. Il est regrettable. Il s'était toujours parfaitement bien comporté dans le vestiaire jusqu'à ce geste. Et, sur le terrain, il avait donné ce qu'il pouvait donner. On regrette ce départ, il était inévitable.
Plus que son départ, c'est tout son passage à l'OM qui ressemble à un échec...
Non, je ne dirais pas ça. C'est un pro dans sa préparation, dans sa motivation, sur le terrain. Il a connu des performances diverses mais il a fait des bons matches et on a tendance à l'oublier. Il y en a eu des moins bons. Ce qui est certain c'est qu'il mérite du respect. Il a commis l'irréparable, mais aidé par une poignée de supporters, qui se sont comportés ce jour-là d'une façon inacceptable.
Vous les avez identifiés ?
Une enquête se poursuit. On n'est pas aidés par le contexte sur place. On s'est expliqués très directement avec les groupes.
Il était devenu un peu la tête de turc du public, est-ce que vous n'avez pas sous-estimé ce désamour ?
Contre Rennes, toute l'équipe s'est fait siffler. Le coach aussi et en des termes durs. Je ne sais pas si j'ai sous-estimé ça. Ce n'est pas aux supporters de faire l'équipe.
Ses vidéos du lundi sur les réseaux sociaux vous embarrassaient-elles ?
Ces vidéos n'engageaient que lui. Elles n'entachaient pas l'image de l'OM. C'était sa responsabilité. Il se mettait en scène et chacun est libre de juger de la pertinence de ces vidéos.
Quand il donne à manger à un SDF après la défaite contre Rennes…
(Il coupe, agacé.) On ne va pas passer quinze minutes sur Patrice Évra.
Vous lui avez donné une indemnité de départ ?
(Très agacé.) On peut passer à un autre sujet ? Il est allé jusqu'au bout de son contrat, enfin, pas au bout de son contrat, jusqu'en décembre
Vous avez rejoint le conseil d'administration de la Ligue, c'était important de faire peser la voix de l'OM ?
En un an, on a essayé de faire un travail sur la représentativité de l'OM dans les différentes instances. On est plus présents dans les cercles où on prend des décisions. Je suis très heureux de rejoindre le conseil d'administration de la Ligue, où j'ai été élu de manière soviétique avec 100 % des suffrages, ce qui m'a touché. J'essaierai de ne pas travailler dans cette instance uniquement comme représentant de l'OM mais comme quelqu'un qui a envie de servir l'intérêt général du football français.
Au départ, vous aviez préféré prendre du recul sur les instances, sur le milieu. Vous commencez à l'appréhender et à en comprendre les ficelles ?
Pendant un an, j'ai fait très attention à écouter. J'ai été une éponge. Maintenant, il est temps que je puisse m'exprimer et aider à un travail productif. Je pense qu'il y a beaucoup d'enjeux importants à la Ligue. Ce qui m'a frappé en devenant un acteur de l'intérieur, c'est que c'est un milieu extrêmement conservateur. Or, je crois qu'il y a un enjeu de modernisation très important.
Dans quels domaines ?
Je ne parlerai pas de la gouvernance parce qu'il y a une réflexion aujourd'hui. Je pense que la Ligue 1 a besoin de s'organiser en société commerciale et en une structure qui sera pleinement en ordre de marche pour générer des revenus, se développer à l'international et travailler sans les contraintes liées au monde associatif, qui sont un frein à son développement. Le deuxième chantier, c'est la technologie, dans tous les domaines : le digital, son importance demain dans la promotion du football, dans la relation avec le supporter. Et la technologie, aussi, au service de l'arbitrage. Un arbitre sans l'assistance vidéo, c'est un docteur sans l'imagerie médicale. Il continuera peut-être à faire quelques erreurs mais il en fera beaucoup moins. Enfin, le troisième chantier, ce sont les agents, parce que le paysage en la matière est catastrophique.
C'est-à-dire ?
Andoni(Zubizarreta) hallucine de recevoir parfois des appels de cinq personnes différentes pour le même joueur. Si certains agents sont de très grande qualité, nombreux laissent pantois. Et il ne manquait plus que Booba pour rehausser le niveau...
Que préconisez-vous ?
L'élargissement du mandat de la DNCG au contrôle des agents va dans le bon sens mais l'essentiel du mouvement doit venir de l'éducation des joueurs. Ce sont eux qui se laissent convaincre par des individus qui leur feront faire les mauvais choix.
Avez-vous vu le penalty qu'a obtenu Lyon à Toulouse (2-1, mercredi) ?
Ce que je me pose comme question… (il s'interrompt). Je vais demander à Rudi d'intégrer dans les protocoles d'entraînement un stage au Cercle des Nageurs de Marseille. Quand Rudi dit qu'il nous manque un peu de vice, je crois qu'il a raison. Après, c'est tellement peu glorieux de gagner sur une action comme ça. Mais les enjeux sont ce qu'ils sont et il faut employer les armes qu'emploient certains.
Vous pensez qu'il faut sanctionner la simulation a posteriori, comme en Angleterre ?
Je n'ai pas envie d'accabler les arbitres. Je serais incapable de faire leur métier. Mais si le plan autour de l'arbitrage s'appelle professionnalisation, c'est bien que l'arbitre n'est pas encore professionnel, donc aidons-le à le devenir. Avec l'assistance vidéo, et vite. On est à l'OM depuis une saison et demie, et si on prend les chiffres depuis la saison 2016-2017, l'OM a bénéficié de cinq penalties, Lyon en a bénéficié de dix-neuf. (Il insiste.) Dix-neuf. Je ne suis pas paranoïaque, mais je veux juste comprendre. Avec la vidéo, le penalty de Mariano Diaz n'aurait pas été validé.
Que pense Zubizarreta de l'arbitrage français ?
C'est intéressant, parce qu'Andoni est un individu bien élevé, respectueux de tous, amoureux du football. Quand il vous dit:"Jacques-Henri, je n'ai jamais vu ça", vous êtes obligé de l'écouter. Il est surpris. Cela doit être l'union sacrée, il ne faut pas tirer dans un sens pour son intérêt. Il faut arriver à une relation et un arbitrage le plus performant possible.
Concernant Konstantinos Mitroglou, commencez-vous à vous dire que vous vous êtes précipité ?
Non. Mitroglou est arrivé blessé, et on le savait. Il est arrivé après des heures passées dans mon bureau, Andoni, Rudi et moi, à réfléchir sur les possibilités encore ouvertes à la fin du mercato. On a fait une erreur dans ce mercato, c'est qu'on a eu des discussions avec un joueur qui ont trop duré (Aboubakar). Et ça, c'est une erreur qu'on essaiera de ne pas reproduire.
Voulez-vous des renforts cet hiver ?
L'équipe type est là, elle vit bien, je trouve qu'elle progresse. Contre Lyon, en termes de jeu, une critique qu'on nous a souvent faite, nous étions au-dessus des Lyonnais. Donc, les renforts seraient plutôt des doublures. Et c'est difficile, au mois de janvier, de trouver des bons joueurs qui vont beaucoup moins jouer. Ce qui peut changer ça, ce sont les départs. S'il y a des départs, là, on regardera.
Des jeunes ? Est-ce la nouvelle idée directrice ?
Quand on est arrivés à Marseille, avec Rudi et Zubi, notre constat était qu'on avait besoin d'être sur les deux tableaux. C'est une vraie stratégie. À Marseille, peut-être plus qu'ailleurs, il faut des joueurs forts dans leur tête, des joueurs d'expérience. On a été critiqués là-dessus au début alors que si vous regardez la réalité de l'effectif, elle est très hétérogène, composée de joueurs très expérimentés mais aussi de jeunes. Il est certain qu'à partir de maintenant, on va plutôt se focaliser sur les jeunes.
Pourquoi n'allez-vous pas chercher ce type de joueurs en Amérique du Sud ?
Zubi est allé chercher Luiz Gustavo. Rien que ça, c'est pas mal. La cellule de recrutement a regardé 635 matches depuis quatre mois. Il regarde ces marchés-là, bien sûr. Ce serait tellement facile pour lui de recruter des Espagnols. Il les connaît tous. Zubi identifie des joueurs qui lui semblent le mieux adapté à nos besoins. Et il a les discussions avec Rudi et moi qu'il doit avoir sur ces profils, leur coût et tous les autres critères.
Comment est organisée la cellule de recrutement ?
On a huit scouts, une cellule pro, dirigée par l'adjoint de Zubi, Albert Valentin, ils se répartissent les zones géographiques. On a aussi bâti une cellule sur les jeunes, dirigée par Sébastien Pérez. Là, on est sur des profils de 11 à 17 ans. Ça, il n'y avait pas. Ils sont quatre personnes. C'est un gros travail de structuration de l'entreprise dans tous les domaines.
Dans le JDD, en mai, Zubizarreta évoquait une stratégie : dégoter des pépites de L 1, les développer, avant de les revendre à un grand club européen, avec l'exemple de Sanson. Est-ce la suite du projet ?
Oui, on regarde beaucoup ça. C'est intéressant. Sanson est un bel exemple.
Mais il n'y a pas besoin de Zubizarreta pour aller chercher Sanson…
Ah bon, parce qu'il est espagnol ? Le mec est espagnol, il devrait ramener des Espagnols et des Sud-Américains ? Au contraire, il a le professionnalisme de regarder les besoins du club, les profils au sein de l'équipe et d'aller voir partout. Une partie de notre cellule travaille sur l'Europe du Nord, de la Hollande à la Scandinavie. »