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Qui est vraiment Jacques-Henri Eyraud, le président de l'OM ?
Après une longue opération séduction, le président de l'OM est entré dans le vif du sujet à l'été 2017. Sûr de lui, prêt à en découdre avec ses contempteurs, il reste fidèle à une éthique tout en self-control.
Jean-Claude Gaudin aime les longs récits et monsieur « Courte » (Frank McCourt, le propriétaire de l'OM). Le maire de Marseille trouve que Jacques-Henri Eyraud est un personnage « intéressant », mais aussi précieux : « Il parle très bien anglais, il fait la traduction lors de nos déjeuners avec monsieur Courte. Le pauvre, il ne mange rien du repas ! » Gaudin adore les tablées qui s'éternisent et les anecdotes qui défilent, Eyraud expédie son assiette en quelques secondes et évite le café comme le moment de se livrer.
À quarante-neuf ans, la vie de « JHE » tient dans ce tableau Excel consulté au réveil, qui recense tous ses rendez-vous de la journée, à la minute près. Le président de l'OM ne s'attarde pas au téléphone en rendez-vous, et « il aime conclure la discussion comme s'il lui fallait avoir le dernier mot », sourit Olivier De Los Bueis, ancien journaliste à Foot365, racheté en 2001 par Sporever, société dont Eyraud fut le directeur général de 2000 à 2009.
JHE l'a annoncé aux salariés de l'OM, dès son arrivée, en octobre 2016 : il est à un tiers dans l'immédiateté, à un tiers dans le moyen terme, à un tiers dans le long terme. Il a ajouté : « Chacun doit trouver son rythme. » Son discours a fait fureur : « Certains employés sont carrément tombés amoureux de lui », confie un cadre du club. Un an et un plan de départs volontaires plus tard, la lune de miel est terminée, mais JHE continue de foncer. Il transforme la PME OM en start-up, avec des employés plus jeunes, plus flexibles, rarement issus de Marseille et de ses environs. La stratégie est pensée, il veut sortir des réseaux du passé.
L'automne dernier, il s'est nourri de nombreuses rencontres locales, de René Malleville, supporter à la crinière blanche et au verbe salé, à Omar Keddadouche, truculent président de l'ASC Vivaux-Sauvagère, un club du Xe arrondissement de la ville, en passant par Claude Perrier, alors PDG de la Provence. « Il faut une bonne dose de courage pour venir à la tête de l'OM, dit Perrier. Jacques-Henri n'était pas dans le foot, il n'est pas marseillais. Je lui ai parlé de la ville, du peuple marseillais, exigeant - et à juste titre. Son projet est ambitieux, pour l'OM, pour la ville, mais, s'il n'a pas les résultats, il se fera assaisonner. » Dans ce type de conversations, JHE est à l'écoute, accumule les infos, en donne peu sur lui-même, se veut parfois chaleureux avec son interlocuteur : « J'aimerais bien travailler avec toi. »
Cela n'est jamais suivi d'effets. Eyraud est dans la même approche que son oncle, Pierre Talbot, ancien médecin chef de la Fédération française de tennis, qui a passé la fin des années 1980 à décortiquer des matches pour chronométrer le temps réel de jeu et classer les joueurs dans des filières (rapide, intermédiaire, longue) en fonction de leurs efforts et de la durée des échanges. Le jeune Eyraud est fasciné par la méthode et les statistiques patiemment récoltées. Il aime le sport dans son ensemble, mais n'a jamais éteint sa télé les yeux embués quand son club de coeur a pris une branlée. « Il est comme le Charmless Man de Blur, confie un ancien cadre de Sporever, société dont JHE était le directeur général de 2000 à 2009. Il peut parler de tout et n'importe quoi, sans s'enflammer, sans passion derrière. »
Basé à Paris, Eyraud va voir des matches au Parc des Princes. Installé à Aix-en-Provence après avoir pris la tête de Paris-Turf, il file parfois au Vélodrome. À ses journalistes, au mitan des années 2000, il demandait déjà comment fonctionnait un club, la communication, le marketing, les rapports aux supporters. « Il a un peu le profil de Jean-Claude Blanc à Paris (directeur général délégué du PSG), il aurait pu débarquer à Bordeaux, à Monaco, à Saint-Étienne, l'important pour JHE est de réussir en appliquant ses idées », confie l'une de ses plumes, surprise de retrouver son JHE si tempéré dans le chaudron marseillais. « Jamais je n'aurais pu être président d'un autre club de foot que l'OM », assure Eyraud, chassant une idée fortement reçue dans son entourage.
Adolescent, ce fils unique vit dans une HLM du XVIIe arrondissement parisien, porte d'Asnières, quand un pote serbe lui parle d'un drôle d'art martial, le taekwondo, l'emmène dans un dojo près du lycée Carnot où sévit l'honorable Do Jun-sang. JHE s'immerge dans la discipline, au point de prendre des cours de langue coréenne. En 1985, à dix-sept ans, il se présente aux Championnats de France juniors au stade Coubertin, en - de 64 kilos, et domine Christophe Pinna, future étoile du karaté, au premier tour. « C'était un autre taekwondo, un vrai sport de combat où il fallait presque mettre un K.-O. pour marquer un point, sourit Joseph Rocamora, favori de l'épreuve mais battu par JHE en demi-finales. Jacques-Henri n'était pas un bourrin, il s'avérait technique, dans la réflexion, il faisait déclencher l'adversaire pour mieux le contrer. »
Rocamora et Eyraud vont devenir des copains de chambrée en équipe de France pendant quelques mois, avant que le second ne soit rattrapé par les études. « Il passait encore nous voir après avoir commencé Sciences Po, mais il avait choisi une autre carrière », ajoute Rocamora, médaillé de bronze aux Mondiaux 1989. À peine majeur, Eyraud a perdu son père et se sent « redevable » : son hommage posthume sera de persévérer dans les examens et les concours.
Souvent dépeint par ses anciens salariés comme un gars du XVIe arrondissement, froid, sûr de lui, courtois mais jamais dans l'ostentation, JHE a grandi dans un tout autre environnement. Maman est prof de français dans un collège d'Aubervilliers, papa est inspecteur pour l'Académie de Paris, « 90 % de la famille est dans l'enseignement », précise-t-il. Très tôt, et Gaudin sera content de l'apprendre, il part en Angleterre ou aux États-Unis pour peaufiner son vocabulaire. En 1997, après six ans passés au service communication d'Euro Disney, JHE va suivre les conseils de ses deux mentors dans cette société, le président, Philippe Bourguignon, et le directeur général, Steve Burke : il retournera outre-Atlantique pour effectuer un MBA (master of business administration) à Harvard.
Dans le Massachusetts, tous les étudiants pensent à monter leur start-up, la révélation tombe : entrepreneur, JHE sera. Il lancera Sporever avec Patrick Chêne en 2000, s'enorgueillit encore aujourd'hui de ces émissions télé quotidiennes diffusées depuis les Jeux de Sydney, une première sur le Web, ou des matches en direct sur les téléphones développés dès 2002 avec son partenaire historique, Orange. Les Français ayant à l'époque des modems 56 k et des Nokia 3310, ces innovations passeront au second plan.Dans ses boîtes, JHE aime les prises de parole séduisantes devant un auditoire, préfère encore les fiches au PowerPoint, organise des plans de départs volontaires sans ciller, se plaît dans la négociation.
« C'est sûr que tu vas ferrailler avec lui pour une augmentation de 2 % et non de 2 000 €, ou sur des forfaits de frais kilométriques, dit Olivier De Los Bueis, ex-cadre de la rédaction de Foot365. Moi, j'avais un papa comptable, donc, je préparais bien mes arguments avant d'entrer dans son bureau ! JHE ne vend pas du rêve, il vend des réalités économiques. Mais j'ai toujours eu confiance en son jugement, il sait utiliser les gens selon leurs compétences. » Aux salariés de Sporever, après la cotation en Bourse en 2005, JHE propose des actions bloquées sur dix ans plutôt qu'une augmentation. Bonne idée pour se payer des expressos en 2015 : la valeur de départ du titre (12 €) est tombée à 1 euro sur la décennie, après un pic à 60 euros.
Il inclut des clauses de confidentialité dans les ruptures à l'amiable de simples kinés
Et à l'OM, comment négocie-t-il ? JHE a beau vouloir en faire une entreprise comme une autre, la matière reste particulière, versatile. « Il paraît que je fais trop de com... et c'est de la com, ça ? », nous disait-il, narquois, après la signature de Patrice Évra, convaincu d'avoir frappé un coup énorme, à la hauteur du salaire de l'ancien Mancunien. En juillet, il s'est servi d'un rapport favorable de la chambre régionale des comptes pour amender en dernière minute l'accord avec la mairie de Marseille et faire baisser le montant du loyer du Vélodrome. Gaudin ne lui cédera pas l'hippodrome Borély, où JHE rêverait d'implanter le centre d'entraînement : « On va agrandir le parc pour les Marseillais. »
Le président plaisante rarement. Il inclut des clauses de confidentialité dans les ruptures à l'amiable de kinés du club, Jean-Georges Cellier et Jérôme Palestri, traque la moindre fuite. Il accueille en mai les dirigeants de Nice avec le sourire et un épais dossier sous le bras détaillant des supposées irrégularités du club azuréen dans le domaine de la formation. Il tape et voit si ça répond. Il joue, aussi, avec les symboles. Fin juin, au moment de la signature de son contrat, Frank Anguissa et son représentant le trouvent vêtu d'un maillot du Cameroun, numéro de Marc-Vivien Foé sur le dos.
Ce midi-là, au moment de boucler son portrait, on retrouve JHE à l'hôtel Intercontinental. Il a une douleur derrière la cuisse, il vient d'acheter un sac de frappe et ne s'est pas assez échauffé. Il habite entre Saint-Victor et la Corniche, dans un cadre cossu, sans ostentation. Il ne parle pas d'argent ou de politique, mais le terme « macronien » qu'on lui a accolé cet été lui a bien plu. Sa femme et ses deux filles l'accompagnent parfois au stade, mais il n'est pas question d'en parler ou de les présenter. Encore moins d'organiser des dîners de couples avec d'éventuels copains : « Je me préserve, dit Eyraud. Je me donne beaucoup dans la vie professionnelle, alors le soir, les rares week-ends sans match, je consacre du temps de qualité à ma famille. »
Qu'est-ce qui le dirige ? L'argent, le succès, le pouvoir ? Impossible à dire, et sans doute pas si important pour le boss, monsieur « Courte ». « Jacques-Henri, ce n'est pas un rigolo, on n'est pas de la même génération et on se côtoyait peu, confie Jean-Claude Séroul, grand propriétaire de chevaux, actionnaire de Paris-Turf à hauteur de 34 %, un groupe dont JHE fut le directeur général de 2009 à 2013, puis l'actionnaire principal. Il n'était pas du milieu hippique, il s'est vite intégré. Il est rigoureux, fiable, efficace, il défend sa société. »La moindre critique actuelle sur sa gestion de l'OM le touche. Comme sur le tatami, il attend le moment pour contre-attaquer.