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Jacques-Henri Eyraud: «L'OM doit devenir un club exemplaire»
Plus d'information sur l'image A gauche Frank McCourt, et au centre Jacques-Henri Eyraud. Marseille, 18 février 2017.
© FRANCK PENNANT, AFP
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Football
Laurent Favre
Publié vendredi 21 avril 2017 à 17:08, modifié vendredi 21 avril 2017 à 17:09.
FOOTBALL
Jacques-Henri Eyraud: «L'OM doit devenir un club exemplaire»
Le nouveau président de l'Olympique de Marseille est un personnage atypique dans le milieu du football professionnel. Prof à Science-Po, diplômé de Harvard, passionné par les sports américains, Jacques-Henri Eyraud dévoile son plan pour relancer le club le plus populaire du monde francophone
Depuis le 17 octobre 2016, l'Olympique de Marseille n'est plus en mains suisses. Margarita Louis-Dreyfus, veuve de Robert Louis-Dreyfus (qui avait acquis le club en 1996) et compagne de l'ancien président de la BNS Philipp Hildebrand, a vendu l'OM à l'homme d'affaires Frank McCourt. Aussitôt, le milliardaire américain a désigné son homme de confiance, le Français Jacques-Henri Eyraud, pour gérer le club au quotidien. Un choc culturel. Jacques-Henri Eyraud (49 ans), profil de gendre idéal, est parisien, diplômé de Harvard, passionné de sports américains et professeur à Science-Po. Goguenard, le monde du foot en était convaincu: ce «Schpountz» descendu sur la Canebière allait se faire dévorer tout cru par le «contexte» marseillais.
Six mois plus tard, l'OM a fait revenir en France l'entraîneur Rudy Garcia et les internationaux Patrice Evra et Dimitri Payet, est remonté de la douzième à la cinquième place du championnat de Ligue 1 et a signé un contrat record avec l'équipementier Puma (15 millions d'euros par saison pendant cinq ans à partir de la saison 2018-2019). Dans les locaux administratifs du club, à La Commanderie, les témoignages sont unanimes: enfin un vrai manager, qui donne une ligne et implique ses équipes. Le boss est là, en t-shirt rouge Google. Le buste est droit, les pieds bien ancrés dans le sol, héritage de sa pratique des arts martiaux. Mais c'est pour parler du redressement de l'OM qu'il a accepté de recevoir Le Temps.
- Le Temps: Quelle était votre évaluation de la situation à votre arrivée à l'Olympique de Marseille ?
- Jacques-Henri Eyraud: J'ai d'abord fait le constat d'une organisation qui avait besoin d'une vision. Les collaborateurs avaient besoin qu'on leur présente un projet, des objectifs, un plan d'action, et que chacun sache rapidement ce que l'on attendait de lui. C'est toujours la grande question: un club de football est-il une entreprise comme une autre? C'est un débat qui me passionne et pour ma part, j'agis ici comme s'il s'agissait d'une entreprise quelconque, avec tout de même des spécificités. Le deuxième constat, c'est que le club avait besoin de renouer les liens avec ses différentes parties prenantes: les collectivités locales, les partenaires commerciaux, les acteurs du football local. Comment, très vite, leur donner des signes que le projet allait se faire avec eux et pas contre eux.
- On avait pourtant l'impression jusqu'ici que tout le monde se mêlait de l'OM, et que c'était ça le problème...
- Je ne crois pas. Vous faites probablement référence au débat qui a eu lieu pendant des années au sujet des associations de supporters et de la billetterie. Moi, ce qui m'a interpellé au contraire, c'est qu'il y avait vraiment peu de dialogue - en tous cas un dialogue insuffisant - entre l'ensemble de ces parties prenantes et le club. Et la question était comment leur faire comprendre que nous n'allions certainement pas diriger notre projet depuis notre bunker. Avec les difficultés du passé, ce club s'était un peu recroquevillé sur lui-même dans un réflexe de défense.
Tout ceci avait été mûrement réfléchi avant d'arriver aux manettes du club le 17 octobre dernier et a donné lieu à un plan dit des «100 jours». Lorsque l'on reprend une entreprise en difficulté, il est important d'impulser des changements rapides. On ne fait pas tout dans les 100 premiers jours mais si, durant grosso modo les trois premiers mois, vous n'avez pas impulsé un mouvement de nature différente, démontré un nouveau management, vous aurez de plus en plus de mal à le faire dans six mois, dans douze mois. Donc il y avait cette obsession de montrer qu'une page nouvelle allait s'écrire.
- Qu'avez-vous fait concrètement ?
- La première priorité a été de faire évoluer l'équipe managériale, chargée de la gestion au quotidien, et d'abord celle responsable de la gestion sportive. Dans la première semaine de mon arrivée, nous avons changé le coach [le Français Rudi Garcia], et puis très rapidement derrière le directeur sportif [l'Espagnol Andoni Zubizarreta], pour mettre en place les fondations du projet sportif. Cette priorité donnée au sportif s'est concrétisée également en janvier lors du mercato d'hiver, pour lequel nous avons mobilisé 40 millions d'euros d'engagement pour quatre nouveaux joueurs: Dimitri Payet, Patrice Evra, Morgan Samson, Grégory Sertic. Ce mercato très actif, le plus actif de la Ligue 1 derrière le PSG, était aussi pour nous le moyen de montrer que nous n'avions pas de temps à perdre.
Sur l'aspect organisationnel, j'ai renouvelé les deux tiers de l'exécutif, en amenant des profils différents, parfois étrangers. Nous avons recruté deux personnes qui avaient des compétences éminentes au FC Barcelone, dont une au niveau marketing. Nous avons également engagé un spécialiste de la billetterie venu de l'industrie du divertissement. Définir une stratégie très claire a été notre seconde priorité. Cette stratégie repose sur quatre piliers. D'abord la performance sportive, bâtir une équipe au fil des saisons qui soit capable de jouer les premiers rôles en Ligue 1 et participer à la Ligue des Champions. Ensuite, travailler notre base de fans en France, en Europe et dans le monde. Comment leur proposer la meilleure expérience de Ligue 1 possible, à la fois le jour du match dans le stade et autour du stade, mais aussi le reste de la semaine? Comment impliquer nos fans, les informer? Comment les associer à la gouvernance du club? Dans le cadre des «100 jours», j'ai passé une quinzaine d'heures à discuter avec les associations de supporters. Ils ne doivent pas se substituer à la direction du club, mais ils ont des idées, ils sont créatifs et ils donnent tellement à ce club qu'il faut être capable non seulement de les reconnaître mais aussi de les écouter.
Troisième axe de cette stratégie: la place de l'OM dans la cité. Nous voulons absolument devenir une entreprise éminemment citoyenne. Nous avons un rôle à jouer dans le tissu associatif, en terme de cohésion sociale. Nous devons, en tant que club de foot, redonner autant qu'on nous donne. Le club doit être beaucoup plus actif au sein de sa communauté, dans ses actions caritatives comme dans ses actions citoyennes, pour devenir vraiment un club exemplaire.
- C'est la vision américaine du club comme acteur d'une communauté...
- Oui. C'est très important, surtout à Marseille. Dès mon arrivée, on m'a prévenu de l'impact de l'OM sur la ville. Quand l'OM perd, Marseille est triste, quand l'OM gagne, les gens ont le sourire. C'est passionnant. J'ai vécu des années à Paris; que le PSG gagne ou perde, vous ne voyez pas la différence dans la rue. Ici, vous la voyez. C'est charnel, physique. C'est très impressionnant. Il faut répondre à cette spécificité-là.
Nous le ferons dans une discipline budgétaire qui ne nous empêchera pas de dépenser beaucoup mais de le faire avec un objectif de pérennité sur le long terme. Nous prévoyons deux saisons, deux saisons et demie de déficit, parce que ce sera le temps de l'investissement. Mais après, il faudra vite arriver à l'équilibre financier, dans une rigueur de gestion très importante. Lors des transferts, l'OM aura son prix de réserve, au-delà duquel il se retirera de la compétition pour un joueur.
- Quelle doit être la part de la masse salariale dans le budget du club?
- On sait que c'est un ratio important en terme de gestion, et qu'au delà de 65%, 70%, cela devient délicat. Nous allons dépasser ce ratio dans ces premières années parce qu'on ne percevra les fruits de notre repositionnement stratégique que dans deux ou trois ans.
- La ville n'est pas très riche, le prix des places est historiquement très accessible, la popularité de l'OM en Afrique génère peu de revenus. Comment faire de l'argent avec ces données?
- Le marché africain n'a pas encore le potentiel économique du marché asiatique mais ce continent a produit tant de talents incroyables que, quand on a le retentissement qu'à l'OM en Afrique, on se doit de travailler sur cette question. Au Vélodrome, nous avons aujourd'hui 5500 place Premium, 10% de la capacité du stade, c'est un assez bon rapport. Il y a beaucoup de choses à faire pour repenser ces offres, d'un point de vue tarifaire comme en prestation de service. Marseille, c'est deux millions de personnes, mais on peut aller bien au-delà de la ville et même de la région. Le nombre de fans de l'OM en Île-de-France est incroyable. Aujourd'hui, la notion de courts séjours, de week-ends qui intègrent un match au Vélodrome, se développe. Ce sont des choses sur lesquelles on peut travailler.
- Vous avez paraît-il été très impressionné par une récente visite au FC Barcelone. Par quoi précisément?
- Le stade du Camp Nou n'est pas en très bon état, ils ont un projet de rénovation à 600 millions d'euros. Mais de l'intérieur, l'organisation en place est extrêmement professionnelle. Leur stratégie n'est pas de développer un club de foot. Ils travaillent à développer la «marque sportive» - c'est comme cela qu'ils la présentent - la plus aimée et la plus réputée au monde. Ils ont aussi cette tradition de grand club omnisport et je trouve très intéressant que le CEO du Barça soit un ancien joueur de handball. Enfin, j'ai été impressionné de voir à quel point ils veulent intégrer de l'innovation et de la technologie au service de cette marque. Non seulement pour aider le staff technique et les joueurs, mais aussi pour développer des contenus et des services, voire des objets, qui seront demain estampillés FC Barcelone. Ils ont créé le Barça Innovation Hub, qui ouvre le club à des partenariats avec les universités, des labos de recherche publics comme privés, des marques. Ça, c'est le futur. Alors bien sûr, cela fonctionne parce que le Barça gagne mais je trouve que c'est très malin. Et moderne.
- En football, on en revient toujours au résultat. Il faut gagner, dans un milieu compétitif et aléatoire...
- Nous savons très bien qu'il y a le PSG, mais aussi Monaco, Lyon, Nice, Lille. Mais nous sommes là pour jouer les premiers rôles et nous qualifier pour la Ligue des Champions dès que possible. Une fois que l'on a dit ça, il faut bien écouter ce que l'on dit: je ne dis pas que ça se passera tout de suite. L'osmose d'une dynamique sportive, ça met du temps à se matérialiser. Ce n'est pas un sprint, c'est un marathon.
- Un club comme l'OM peut-il échapper au modèle économique de la valorisation de joueurs?
- Moi, ce qui ne frappe un peu, c'est le paradoxe dans lequel évolue le football français. On se félicite de la qualité de la formation à la française et on explique que la France est la pépinière de tous les grandes ligues européennes. Comment se réjouir que nos jeunes renforcent les clubs étrangers? Comment se satisfaire d'équilibrer les comptes par la vente de talents? Un modèle vertueux, ce serait que les jeunes joueurs restent plus dans les clubs français et que les clubs puissent grâce à leurs revenus d'origines récurrentes s'économiser de devoir vendre. Il faut travailler, notamment sur les droits télés, définir une stratégie sur dix ans et combler petit à petit notre retard.
EN DATES
1968 Naissance à Paris
1985 Champion de France junior de taekwondo
1998 MBA à la Harvard Business School
2000 Fonde le groupe de production et d'édition Sporever
2009 PDG du groupe Turf éditions
2016 Nommé président de l'OM par le nouveau propriétaire Frank McCourt