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Frank McCourt : « Je gagnerai, c’est certain »
Dimanche 18 septembre, le milliardaire américain Frank McCourt, 63 ans, sera dans les tribunes du Stade-Vélodrome pour la rencontre entre l’Olympique de Marseille (OM) et l’Olympique lyonnais (OL), en clôture de la 5e journée de Ligue 1.
Avant cela, le futur propriétaire du club phocéen a longuement reçu Le Monde, mercredi, à l’Hôtel Peninsula, dans le 16e arrondissement de Paris, pour présenter, en exclusivité, les grandes lignes de son projet. Ambitieux, l’élégant homme d’affaires entend fixer « des objectifs précis » à l’OM, ce « géant endormi » dont il souhaite faire un « club gagnant » et un concurrent direct du Paris-Saint-Germain (PSG).
Pourquoi avez-vous décidé de racheter l’OM, un club qui connaît des difficultés politiques, financières et sportives ?
Avant tout, j’aime le sport. L’OM est une opportunité dont on m’avait parlé il y a quelques années. Cela m’a intéressé et je me suis renseigné. C’est devenu plus sérieux il y a quelques mois. J’ai pu constater beaucoup de similitudes entre la situation de l’OM et celle du club que j’ai possédé auparavant. J’ai senti qu’on avait là une marque magnifique qui pourrait être relancée très rapidement.
Qu’est-ce qui a fait la différence avec les autres dossiers de rachat ? Le fait que vous payiez cash ?
La personne la plus habilitée à vous répondre serait Margarita Louis-Dreyfus [l’actuelle propriétaire du club]. Ma proposition était directe, forte financièrement, et j’ai l’expérience nécessaire pour remettre l’OM sur le bon chemin.
Avez-vous regardé des matchs de l’OM depuis le début de saison ?
J’ai vu des extraits de plusieurs matchs. Evidemment, nous n’avons pas encore les résultats dont nous avons besoin [l’OM est quatorzième au classement de la L1]. Mais ce qui m’encourage, ce sont les efforts que je vois.
Vous avez comparé l’OM à un « géant endormi ». Pourquoi ?
Dans le sport, peu d’équipes sont des marques emblématiques. L’OM est clairement l’une d’entre elles. J’ai utilisé cette expression de « géant endormi » car c’est une équipe qui n’atteint pas un niveau de performance qu’elle peut ou devrait atteindre, et n’a pas l’impact sur la scène mondiale qu’elle peut et devrait avoir.
Vous avez racheté pour 430 millions de dollars (383 millions d’euros) l’équipe de baseball des Dodgers de Los Angeles, en 2004, et l’avez revendue pour un montant record de 2,15 milliards de dollars, en 2012. Quel prix avez-vous consenti pour racheter l’OM ?
Je ne vais pas vous donner d’éléments ou des détails chiffrés. Je ne pense pas que cela soit approprié. Ce que je peux en revanche vous dire, c’est qu’acheter l’OM, ce n’est pas une question de prix. Il s’agit d’un projet gagnant pour ce club, avec le potentiel incroyable qu’il y a ici.
Le Stade-Vélodrome appartient à la ville de Marseille et est géré par la société privée Arema. Comptez-vous, à terme, proposer de racheter le stade ou sa concession ?
Nous ne faisons pas de demande dans ce sens et nous acceptons évidemment les conditions et les termes du contrat entre le club et la ville. C’est une réalité prise en compte dans la transaction. Nous verrons bien ce que l’avenir nous réserve.
Espérez-vous gagner de l’argent avec ce club ?
Selon moi, on ne réalise pas une telle opération avec l’ambition de gagner de l’argent. Ce n’est pas notre priorité. Notre plan repose sur quatre piliers : monter une équipe de qualité qui sera en mesure de gagner le championnat chaque année ; offrir une expérience inégalée à nos supporteurs, la meilleure de la Ligue 1 ; être un modèle, apporter notre contribution et notre soutien à la ville de Marseille et devenir un acteur important de la communauté marseillaise ; garantir la stabilité financière.
Si nous prenons le soin d’ériger les quatre piliers de notre projet, « l’OM Champions Project », et que nous réussissons ici, tout le reste va se mettre en place de lui-même.
Ferez-vous des annonces en matière de recrutement pour le mercato d’hiver ?
Peut-être. Cela aurait du sens de recruter. Néanmoins, c’est très important que tout le monde comprenne qu’il s’agit d’une année de transition. Nous avons seulement signé un accord pour acheter le club. Gardez à l’esprit que je ne le possède pas encore. Nous allons regarder les disponibilités dans le cadre du mercato d’hiver. Pour nous, notre vrai objectif sera juin et le marché estival. La saison prochaine sera une saison-clé et davantage sous contrôle.
Que pensez-vous du championnat de France ?
C’est un championnat incroyable, avec beaucoup de potentiel. Il y a tant de joueurs formés en France qui partent jouer dans les autres championnats. On peut vraiment développer la Ligue 1 pour concurrencer les autres championnats européens. Il n’y a aucune raison que ça ne marche pas. L’avenir s’annonce radieux pour la Ligue 1. C’est la raison pour laquelle je me suis impliqué.
Quel type de propriétaire serez-vous ?
Un propriétaire qui veut gagner et qui gagnera, c’est certain. Je souhaite être très impliqué dans les affaires du club. Mais je ne managerai pas au jour le jour. Je suis un propriétaire actif, c’est essentiel pour gagner. Choisir des gens qui ont une expertise, comme Jacques-Henri Eyraud, au poste de président, c’est leur donner la légitimité pour manager et agir au quotidien. C’est crucial que le propriétaire, le président et les autres dirigeants soient sur la même longueur d’onde. C’est la clé de la victoire.
Viendrez-vous souvent à Marseille ?
J’ai l’intention de venir souvent et d’assister à autant de matchs que possible. Jacques-Henri Eyraud, lui, habitera là-bas. Il sera sur le terrain. Il sera, sur beaucoup d’aspects, mes yeux.
Pourquoi avez-vous choisi de nommer M. Eyraud à la présidence de l’OM ?
C’est un leader fort. Il a une expérience de manager mais c’est aussi un entrepreneur créatif. Il connaît bien le sport et les médias. J’aime son style simple et direct, il ne complique jamais les choses. Nous sommes sur la même longueur d’onde sur ce qu’il faut faire pour propulser à nouveau l’OM au sommet. Quant à l’avocat Didier Poulmaire, il continuera à me conseiller, ma famille et moi, au-delà des affaires de l’OM, et il me représentera quand je ne pourrai pas être là. Mais il n’y aura qu’un seul président : Jacques-Henri Eyraud.
Quelle sera la feuille de route assignée à M. Eyraud ?
La clé est qu’il adhère totalement au projet et ses quatre piliers, aux objectifs fixés, et qu’il mette en œuvre le plan. Concernant la manière, c’est là que son style et son approche uniques entrent en jeu. Mais on ne doit pas se tromper par rapport aux objectifs fixés.
Avez-vous déjà une idée de la personne à qui vous allez confier le poste de directeur sportif ?
Le club a un directeur sportif, M. Gunter Jacob. C’est très important que le futur propriétaire respecte le processus de vente. Je ne suis pas encore le numéro un. Nous avons des matchs importants à disputer, notamment celui de dimanche contre Lyon. Une équipe est en place avec un entraîneur et un directeur sportif et je les soutiens à 100 %. Quand j’aurai pris l’équipe et que je serai plus au fait des choses, j’aurai peut-être des idées différentes. Là, je veux voir des victoires sur le terrain.
Quel bilan faites-vous du règne des Louis-Dreyfus ?
Cela ne serait pas juste de ma part de dresser un bilan ou de faire des commentaires à propos du passé. Je n’ai jamais rencontré personnellement Robert [décédé en 2009]. J’ai beaucoup de respect pour lui et sa famille. Je me concentre seulement sur l’avenir. Mon objectif est de ramener cette équipe sur la plus haute marche.
Combien de temps resterez-vous à l’OM ?
Pour ma famille et moi, j’ai l’ambition d’être propriétaire de l’OM pour très très longtemps. Je vois cela sur plusieurs générations, pour mes fils et ma fille.
Dans quelle mesure souhaitez-vous concurrencer le PSG, ou du moins accroître la concurrence en Ligue 1 ?
Nous devons être dans la compétition. Je ne suis pas qatari. Je ne fais pas partie de cette catégorie. Comme je l’ai dit, nous devons concurrencer directement le PSG. On ne pourra pas devenir champions sans le battre. Nous devons le défier et le battre, ainsi que tous les autres clubs de Ligue 1. C’est notre objectif.
Comptez-vous rétablir la rivalité entre l’OM et le PSG ?
Absolument, c’est la rivalité-clé pour Marseille, pour la Ligue 1 et le football français, et la clé pour nous pour pouvoir battre le PSG et devenir champions. Nous ne sommes pas là pour être deuxièmes.
Quel budget de fonctionnement sera mis sur la table chaque saison ?
Je ne veux pas donner de chiffres précis, mais le budget va augmenter, il doit augmenter. Nous voulons battre le PSG, être dans le top 3 de la Ligue 1. Et nous avons l’intention de dépenser ce qui est nécessaire pour atteindre nos objectifs, y compris notre but premier qui est de bâtir une équipe capable de gagner le championnat.
De nombreux supporteurs des Dodgers ont une opinion négative de vous. Comprenez-vous leurs critiques ?
Oui, bien sûr. L’expérience des Dodgers a été très douloureuse. Quand je regarde derrière moi, j’ai acheté ce club en 2004, et les six premières années, jusqu’en 2009, se sont très bien passées, avec une très belle série sur le plan des résultats.
Nous avons acquis une franchise qui ne gagnait pas depuis seize ans, et non seulement nous avons atteint les play-off dès la première année, mais nous avons participé à ces play-off quatre des six premières années, ce qui n’était jamais arrivé pour les Dodgers de Los Angeles. Et pour la première fois depuis trente-trois ans, nous avons atteint les finales du championnat deux années consécutives. Nous avons acheté une équipe qui était en 30e et dernière place en termes de performances financières des clubs américains de baseball, et qui est revenue en première place l’année où nous l’avons cédée : la meilleure performance de tous les clubs. Et nous avons clairement relancé la marque.
Et juste au moment de ce pic, alors que nous allions dans la bonne direction, j’étais en train de me séparer et j’ai divorcé. Ma vie personnelle est allée dans le sens opposé. Et ça a été le point d’inflexion, le moment où les choses ont mal tourné. Et j’ai tiré des leçons importantes à cette époque, qui vont m’être très utiles pour mon rôle à l’OM.
Les critiques des médias californiens étaient surtout orientées sur la manière dont vous avez géré les finances des Dodgers…
Aux Etats-Unis et plus particulièrement dans une ville comme Los Angeles, lorsqu’on devient une figure reconnue dans le milieu du sport, et que l’on est soudain engagé dans un divorce public, cela devient le filon pour les médias, les pages people et pour les tabloïds ; et cela ne donne jamais un bon résultat. Mon cas avait deux choses uniques – et ça fait partie des plus grandes leçons que j’ai apprises. Premièrement : l’actionnariat familial est une bonne chose dans le sport, mais pas la gestion familiale. Il faut des gestionnaires professionnels.
La seconde leçon – et je n’en ai parlé à personne –, c’est que durant mon divorce j’ai pris une décision : c’est de ne pas parler aux médias. Mes fils m’ont demandé de ne pas parler de mes relations avec leur mère par médias interposés. Je savais qu’il y aurait un prix à payer. Mais je ne me rendais pas compte des proportions que cela prendrait.
Il y a une vieille citation attribuée à Aristote : la nature a horreur du vide. Je ne laisserai plus personne parler pour moi, et c’est pourquoi je suis ici.
Pensez-vous que les supporteurs de l’OM vous aimeront ?
Je souhaite vivement gagner leur respect, et je le ferai chaque jour avec autant d’efforts que possible, je travaillerai dur, 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Les supporteurs veulent gagner. Et moi aussi. Ce qui est bien dans le sport, c’est que l’on peut convaincre sur le terrain. Tout le monde connaît le gagnant et le perdant.
Marseille veut des stars et des résultats. Etes-vous le propriétaire qui va lui apporter cela ?
Je veux de bons résultats et je vais naturellement en exiger. Mon expérience m’invite à penser que gagner, c’est trouver la bonne formule entre les stars qui peuvent être des leaders dans les vestiaires et sur le terrain, et former de jeunes talents. Cet alliage est crucial. Car une ou deux stars ne peuvent pas gagner à elles seules le championnat.
Qu’évoque pour vous le 26 mai 1993 ?
J’ai beaucoup à apprendre de l’OM mais pas cette date. Celle-là, je la connais. Je sais quand le club a été fondé : en 1899. Et c’est presque le deuxième jour le plus important du club : celui, historique, où l’OM a gagné la Ligue des champions. Maintenant, nous devons créer une date aussi importante dans le futur.
Le règne des Louis-Dreyfus a été marqué par un certain nombre d’affaires judiciaires, notamment en ce qui concerne la gestion des transferts…
Je souhaite ne faire aucun commentaire sur le passé. Je n’ai pas les détails et je suis pleinement concentré sur le futur. Pour moi, notre intégrité et notre réputation représentent la base de notre projet pour briller à nouveau.
Comment comptez-vous restaurer la réputation de l’OM ?
En étant très direct et très transparent et en faisant exactement ce qu’on a dit qu’on ferait. Ce ne sont pas que des mots. Il faudra des résultats tangibles.
Cela passe-t-il par une méfiance envers certains agents qui gravitent autour de l’OM ?
On contrôlera l’intégrité de tout le monde.
Pourquoi souhaitez-vous mettre l’accent sur la formation ?
Nous pouvons faire mieux dans ce domaine. La seule manière d’arriver à gagner le championnat chaque année, c’est d’avoir un bon vivier, un « pipeline » de joueurs talentueux. Le marché des transferts, ce n’est pas la manière la plus sûre de construire une équipe de haut niveau. Si nous avons la patience d’investir dans de jeunes talents, de les former dans l’esprit de l’OM, nous aurons un système sur mesure.
Quelle place accorderez-vous aux supporteurs dans votre projet ?
Prépondérante. Sans les supporteurs, il n’y a pas l’OM tel qu’on le connaît. C’est l’un des grands atouts de l’équipe. C’est très rare d’avoir des supporteurs comme ceux de l’OM. Je viens de Boston, où le sport est pris très au sérieux. Nous voulons donner aux supporteurs de l’OM la meilleure expérience de la Ligue 1. Il y a des choses qu’on peut faire toute l’année entre les matchs pour impliquer les supporteurs, encourager un mode de vie, comme, par exemple, organiser une grande fête de fin de saison.