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Frank McCourt Nous devons élaborer une nouvelle architecture du Web
L’entrepreneur américain plaide pour une refonte du réseau en open source, qui laisserait aux utilisateurs la propriété et le bénéfice de leurs données ainsi que leur exploitation, dans un cadre de gouvernance coopératif visant le bien commun
Ces dernières semaines, les discussions au Congrès américain, puis au Parlement européen, ont une fois de plus souligné les effets néfastes des réseaux sociaux. Encore une fois, les Parlements du monde occidental cherchent des réponses aux dommages causés par ces plates-formes, liés dès l’origine aux défauts de leur conception. Encore une fois, les décideurs politiques et les dirigeants de la Silicon Valley s’interrogent sur la mise en place d’une surveillance accrue et d’une stricte réglementation. L’autre voie serait de voir ces géants du numérique modifier par eux-mêmes et volontairement leurs pratiques. Mais cela n’arrivera pas. Et encore une fois, le débat se concentre sur les moyens de réparer un modèle, pourtant indéniablement et irrémédiablement brisé.
Il est grand temps de dépasser cette infrastructure technologique, car elle génère ses profits à partir de dommages. Internet comporte des avantages indiscutables, mais son modèle actuel déforme le système économique en s’appropriant nos données personnelles et en les vendant au plus offrant. Les médias sociaux abîment le discours public en privilégiant le clic au détriment de la vérité et en rendant la désinformation et l’indignation plus rentables que les faits. La technologie est conçue pour le profit des plates-formes ; elle ignore l’individu. Elle transforme nos modes de vie à notre insu et érode les institutions civiques censées renforcer la cohésion de nos sociétés. Tous ces maux ont un impact disproportionné sur les personnes déjà vulnérables ; ils ont un effet d’inégalité toxique. Il en résulte une perte de confiance, qui menace nos démocraties. Il est temps de résoudre le problème, une fois pour toutes.
L’utilisateur au centre du projet
Big Tech a tenu sa promesse : « Aller vite et tout casser ». C’est une situation irréversible, irréparable, qui ne peut pas être traitée par la simple réglementation. Au lieu de chercher à réparer un modèle cassé, nous devons élaborer une nouvelle architecture d’Internet, imaginée et construite sur une base plus équitable, dans un esprit positif. Le but est de réinitialiser complètement notre modèle technologique afin de développer une nouvelle approche en plaçant l’utilisateur au centre du projet. Il s’agit de l’optimiser pour en garantir l’accès et l’équité, dans le souci constant du bien commun.
Cela peut sembler audacieux. Mais c’est aujourd’hui à notre portée. Il est d’ores et déjà possible de construire un protocole Web en open source. Dès sa conception, il transférerait le contrôle des données personnelles aux particuliers. Il encouragerait les développeurs à innover en permettant à tous les utilisateurs de bénéficier directement de la valeur économique de leurs données. Avec une approche collaborative et interdisciplinaire, nous pouvons réunir des technologues, des experts en sciences sociales, des éthiciens, des juristes et des économistes pour imaginer un nouveau cadre de gouvernance à même de tracer la voie de cette prochaine génération numérique reposant sur une « technologie éthique » afin de rendre les progrès durables à long terme. Avec le soutien de personnalités qualifiées et d’institutions, nous pouvons construire une dynamique de changement donnant la priorité aux personnes plutôt qu’aux plates-formes, ouvrant de nouvelles pistes et donnant vie à un engagement social, économique et civique fécond.
Cycle mortifère
C’est le but même de notre projet Liberty, que nous venons de lancer, avec un protocole Internet déjà partagé au sein de la communauté mondiale du logiciel libre, et un institut créé pour mener les recherches autour de la gouvernance du numérique, avec des chercheurs réunis sous les bannières de l’université de Georgetown, à Washington, et de Sciences Po, à Paris.
En suivant cette direction, nous trouverons le chemin le plus sûr. Nous devons restituer la propriété et le contrôle des données personnelles aux individus, leurs véritables propriétaires. Nous devons intégrer des normes et des principes dans les processus opérationnels utilisés pour développer de nouveaux services digitaux, des applications, voire la nouvelle génération de réseaux sociaux. C’est à ce prix que nous repositionnerons la technologie au service du bien commun.
Nous proposerons un nouveau modèle de partage de la valeur créée par Internet, aujourd’hui captée à leur profit par quelques entreprises surpuissantes. Malgré les problèmes causés et exacerbés par l’infrastructure Web actuelle, nous avons la capacité de construire une architecture civique plus ouverte et plus équitable – un Internet pour tous. En utilisant une meilleure technologie avec un cadre de gouvernance pour la guider, nous avons une réelle occasion de renforcer notre démocratie, de réparer notre tissu social, de créer une économie plus équitable et d’assurer un avenir meilleur pour nous tous.
Bien sûr, la réalisation de cette vision ne sera pas facile. Si nous voulons agir dès cet instant, en mettant fin au cycle mortifère d’échec et d’indignation, nous devons d’urgence prendre des mesures en faveur de l’intérêt général. Nous devons prendre conscience de la défaillance du système actuel. En nous contentant de le modifier, nous ne parviendrons jamais à résoudre l’ensemble du problème. Des ajustements mineurs ne peuvent pas rétablir la confiance ou créer le cadre inclusif indispensable pour nous emmener là où nous devons aller.
Il est temps de cesser de se focaliser sur un espoir de réparation. La situation actuelle nous impose d’agir rapidement dans un effort collectif pour transformer le fonctionnement d’Internet.
Le Mobde