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Franck Passi a fait du chemin. Alors qu'il souhaitait choisir son interlocuteur il y a encore quelques semaines, l'entraîneur de l'OM a finalement répondu à nos questions. C'était jeudi, après la pause déjeuner, sur les hauteurs du centre Robert Louis-Dreyfus. Satisfait après "une très bonne séance", le coach a pris le temps d'évoquer tous les sujets de l'actualité olympienne, une heure durant : début de saison, recrutement, vente du club, transition, objectifs, avenir personnel... Souriant et décontracté, parfois froissé par le choix des mots, l'entraîneur de l'OM a livré sa vérité. Entretien.
Joueur, recruteur, éducateur, adjoint, traducteur, entraîneur : vous avez tout fait à l'OM ?
Traducteur ? Oui, bon... J'ai vu beaucoup de facettes de ce qu'est l'OM. Et il y en a une autre puisque lorsque je n'étais pas ici, j'étais supporter du club. Je connais l'OM dans sa globalité.
Quelle est la plus passionnante ?
Elles sont complètement différentes. Mais joueur, dans un club comme l'OM, c'est exceptionnel. Entraîneur, c'est une fonction que j'adore et qui me procure beaucoup d'adrénaline, mais ça n'a rien à voir. Quand tu es joueur, tu es au coeur du jeu tous les jours à l'entraînement, pendant les matches... En étant entraîneur, on essaie de préparer les choses, d'influer comme on peut pendant le match, mais on ne joue pas, on n'est pas au milieu du terrain.
On parle rarement avec vous de ce que représente l'OM à vos yeux...
Je suis supporter depuis le premier jour où j'ai mis un pied ici. La ferveur des supporters m'a pris. J'ai épousé cette ville, ma femme est de Marseille, mes enfants y sont nés... L'OM, c'est un ensemble, et c'est Marseille en général. En étant recruteur, je me suis aussi aperçu que l'OM était mondialement connu. C'est un club qui a gagné la Ligue des champions, il n'y en a pas beaucoup...
Avez-vous l'impression d'être en décalage avec l'image sulfureuse et enfiévrée que renvoie le club ?
Je ne suis pas en décalage. Par contre, en tant que responsable de l'équipe, je me dois d'avoir la tête froide. Déjà, joueur, je ne suis jamais tombé dans la folie qui tourne autour de ce club, même si je me suis laissé porté par cette folie. Mais pour bien travailler, il faut avoir la tête froide. Et aujourd'hui, à 50 ans, je crois avoir les pieds sur terre.
Adjoint de Baup, d'Anigo, de Bielsa et de Michel, intérimaire de certains, vous êtes devenu numéro un cet été. Comment vivez-vous cette nouvelle aventure ?
Je la vis très bien, même si cela n'a pas été simple. Je suis arrivé dans un moment de transition historique. Qui dit transition dit mutation du budget avec une baisse considérable du poste "salaire joueurs". Il y a eu un recrutement à faire, un exode de joueurs en fin de saison... Ce n'était pas la période la plus facile, mais c'était exaltant de pouvoir reconstruire un club et une équipe qu'on aime. Ça m'a tenu à coeur. On est parvenu à faire équipe avec Jean-Philippe Durand à la cellule de recrutement, Basile Boli est intervenu après et, ensuite, Gunter Jacob est arrivé. On a essayé de créer un projet et une inertie sportive.
Quel regard portez-vous sur vos quatre premiers mois ?
Le plus difficile était sur la fin du mercato où, pendant un mois, il n'y a plus eu du tout de mouvement. À cet instant, on s'est dit qu'on allait avoir une équipe incomplète. Surtout que j'avais donné ma parole aux recrues en leur disant que tel ou tel joueur allait nous rejoindre. Le fait de voir que je n'arrivais pas à conclure était difficile à vivre. Ensuite, on ne pourra pas aller plus vite que la musique. On a fait une préparation sans avoir l'ensemble des joueurs. L'équipe se met en marche petit à petit, on est en train de construire pierre par pierre pour que l'équipe soit de plus en plus performante et puisse assumer son rôle dans ce championnat.
Qu'avez-vous appris de ces quatre entraîneurs ? Concrètement, comment vous en servez-vous cette saison ?
Je ne vais pas vous dire ce que j'ai appris de chacun. Ce serait très long. Ce que je sais, en revanche, c'est que chaque entraîneur que j'ai côtoyé m'a apporté des éléments. En les voyant travailler, j'ai récupéré de bonnes choses que j'applique tous les jours. Mais c'est le cas depuis que j'ai commencé, avec Gérard Bernardet ou Pichi Lucas. J'ai aussi appris des entraîneurs qui m'ont dirigé car, sur le terrain, j'avais un rôle de leader, j'étais souvent leur relais dans l'équipe. Je n'ai jamais appliqué bêtement les consignes, j'ai reçu des messages que j'arrivais à vérifier sur le terrain, ou pas. C'est comme cela qu'on se fait sa propre idée.
Parlons de la patte Franck Passi. Quels sont vos principes de jeu ?
C'est du jeu avec ballon. Je suis parti de l'idée de ce club, de sa devise "Droit au but", pour attaquer. On a vu comment les supporters se sont régalés avec Marcelo Bielsa, durant ces six mois où on était présents sur le but adverse. En faisant le recrutement, on a mis des pièces pour créer ce jeu-là. Il est évident que si j'avais eu des joueurs différents, j'aurais fait avec une autre idée de jeu.
Quels sont vos modèles d'entraîneur ? Et les équipes qui vous inspirent ?
Il y a plusieurs modèles. J'ai été fou du Milan AC d'Arrigo Sacchi. L'ordre, la défense, la réduction d'espaces, la projection en contre-attaque. Et puis j'ai adoré le Barça, mais pas seulement celui de Pep Guardiola. L'identité du Barça elle-même, avec cette participation collective, le contrôle du jeu et le ballon dans les pieds.
Arrivez-vous à mettre cela en pratique avec cet OM ?
On n'y arrive pas à 100 %. Mais on voit tout de même que notre équipe a souvent la possession, qu'on arrive à créer des occasions de but. Il nous faut moins de déchet et plus de maîtrise dans le jeu, mais ça se met en place peu à peu.
À quelle place au classement peut terminer cet effectif selon vous ?
Pour moi, on doit finir cinquième, sixième ou septième. Ce devrait être la place à laquelle termine l'OM.
Et pour l'instant, vous êtes quatorzième... Quel est votre discours ?
Le message est simple : on a joué Nice, qui est deuxième, et Lyon, une équipe de Ligue des champions et dont on connaît la qualité. Dans ces matches-là, on a joué d'égal à égal. À Nice, on aurait pu gagner ; contre Lyon, on aurait même pu créer la surprise sur la dernière action. En même temps, contre d'autres équipes d'un niveau différent, mais dont il faut tenir compte dans ce championnat, je crois qu'on a eu assez de maîtrise pour gagner les matches. Ce que j'essaie d'expliquer aux joueurs, c'est : "Oui, on a fait des erreurs, oui on est coupables de ne pas avoir gagné, mais l'avenir est serein car on va s'améliorer en continuant à travailler."
On nous a dit : "Franck a des idées, mais le plus dur pour un entraîneur est de s'adapter au groupe mis à disposition pour être efficace. Et lui a un effectif très limité". Qu'en pensez-vous ?
L'effectif est limité. On le savait. À l'arrivée, j'ai quand même un onze qui fonctionne, voire un groupe de quatorze joueurs. On savait qu'on ne pourrait pas avoir l'effectif des années précédentes. Mais avec l'ambition de chacun, individuelle et collective, et l'entente dans le groupe, on va arriver à passer les problèmes qu'on peut rencontrer.
Depuis le début de saison, plusieurs de vos choix étonnent (l'utilisation de Sarr en latéral droit à Rennes, les sorties de Thauvin contre Lyon et Rennes, le petit Lopez lancé dans des conditions compliquées à Guingamp et à Rennes, l'entrée en jeu d'Hubocan face à Nantes, les consignes à Anguissa à Angers) : comment percevez-vous les critiques ?
Je connais la musique. Si on gagne, comme contre Nantes, les choix sont bons. Si on a des problèmes, comme à Rennes ou à Angers, ça veut dire que les choix ne sont pas bons. Mais quand je fais un choix, il y a une histoire derrière. Je ne me tourne pas vers le banc en disant : "Allez, aujourd'hui c'est à toi, demain ce sera à l'autre".
Non, ce n'est pas comme ça. Il y a des impératifs de valeur, de fatigue, d'enchaînement de matches, de résultats, aussi. Certains joueurs commencent très bien un match et le terminent moins bien. Par contre, je fais confiance à tous les joueurs que je convoque et ils peuvent rentrer à tout moment. L'idée, c'est toujours de gagner le match. On peut dire le lendemain ou le surlendemain qu'on aurait pu faire différemment. Mais c'est trop facile. Prenons la rentrée de Sarr à Rennes : oui, c'est de ce côté-là que viennent les deux buts. Par contre, je ne crois pas qu'on ait perdu à cause de ça.
Vous le referiez ?
Complètement ! L'impératif était de bloquer les joueurs de vitesse sur ce côté. On y est arrivé pendant dix-douze minutes. En revanche, si on reprend les actions de but dès le début, il y a beaucoup d'erreurs en amont. On se focalise trop sur l'erreur finale, alors que ça commence souvent beaucoup plus loin.
La chance donnée à Doria, le retour de Fanni ou la venue de Gomis sont salués. Ça valorise vos choix...
Il y a parfois des surprises pour les gens qui viennent au stade. Mais, pour Rod Fanni, lorsque j'ai vu l'enveloppe qui nous était accordée pour recruter et par rapport aux besoins liés à l'OM, comme la maturité, j'ai pensé immédiatement à lui. Sans le voir, sans l'appeler. Pour les gens, il arrive des Émirats. Mais il a passé six mois en D2 anglaise en tant qu'arrière droit, à Charlton, et connaissant le rythme de jeu pour y avoir joué (à Bolton, 1999-2001, ndlr), je ne me suis posé aucune question sur sa santé et sur sa capacité à assumer un rôle de défenseur.
Pour Doria, je lui ai donné sa chance en préparation et il a gagné sa place. C'est salutaire. Pour avoir été recruteur, on sait que les Sud-Américains peuvent mettre deux ou trois ans avant de s'adapter à l'Europe. C'est son cas. Il n'était pas prêt, il n'aurait pas dû arriver en star (l'OM le présentait comme "l'avenir du Brésil"). Mais en étant le capitaine de la sélection U21 du Brésil, il est arrivé avec ce statut. Tout le monde pensait que c'était un joueur mature, mais il n'a que 21 ans...
Le dernier, c'est "Bafé". Il avait sa réputation, il voulait venir à l'OM. Il nous rend ce qu'on lui donne. C'est bien. Il est dans le partage, la transmission, il assume son rôle de capitaine et de leader du groupe. On n'a pas seulement recruté sur la qualité, mais on a travaillé sur les hommes car on savait qu'on n'aurait pas droit à l'erreur.
Certains disent que le costume d'entraîneur de l'OM est trop grand pour vous. Ce que pensait Vincent Labrune à votre sujet. Que leur répondez-vous ?
(Il hausse les épaules) Je travaille. Je n'ai même pas envie de le commenter car, pour savoir si le costume est trop grand ou pas, il faut laisser travailler les gens. Je suis arrivé dans un moment très difficile, et je crois qu'il faudrait davantage mettre en avant le fait qu'on a construit une nouvelle équipe avec un budget bien moindre. Maintenant, il faut que cette équipe se retrouve dans une zone où on va accepter que c'est une bonne équipe. À partir de là, on pourra se poser la question si Franck Passi aura bien travaillé ou pas.
Au moment d'accepter, avez-vous songé au fait que c'est toujours très compliqué de réussir à Marseille pour quelqu'un issu du club ? Ne valait-il pas mieux partir pour mieux revenir ?
C'était mon idée de départ. Ça a été un hasard que je me retrouve dans ce groupe pendant quatre ans. Je m'étais dit, un jour ou l'autre, il faudra partir pour faire mes armes comme entraîneur. Après, quand on me propose le poste, il faut avoir du caractère. Personne n'est insensible face à la critique. Mais il faut avoir le mental de pouvoir continuer et d'avoir un plan, de l'ambition. Je n'ai pas réfléchi au fait que ce serait dur, je savais que ça le serait. Depuis quatre ans, c'est dur...
En fait, c'est de plus en plus dur depuis quatre ans...
Oui, et on sait pourquoi. On a perdu des joueurs très importants. J'ai dit un jour qu'on avait perdu des joueurs qui valaient 15-20M€. Des fois, je parle vite et je ne me fais pas assez comprendre, mais je voulais dire des joueurs qui valent aujourd'hui 20M€. Il faut relancer l'équipe. C'est le job. Je suis persuadé qu'elle peut le faire, et qu'elle peut même surprendre.
Vous avez connu Bielsa et son staff pléthorique, qu'avez-vous pensé quand vous avez accepté de devenir coach avec un staff technique réduit à peau de chagrin, où seul Stéphane Cassard a connu le haut niveau ?
Peau de chagrin, ça me gêne... Michel est arrivé avec un analyste vidéo, un préparateur physique et un entraîneur adjoint. Ce qu'on voit dans la plupart des staffs en France. Il n'y a que Marcelo Bielsa qui avait besoin de huit ou dix personnes autour de lui car le travail était différent, très individualisé. Thomas Fernandez est un entraîneur ; qu'on soit soit coach de National, de Ligue 2 ou de Ligue 1, on est coach.