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Pour l'instant, on n'a vu -degun à la Commanderie… " " Degun ", à Marseille, c'est personne. Une expression difficile à traduire en américain. Depuis lundi 29 août et la présentation officielle à la mairie sur le Vieux-Port de Frank -McCourt, le futur repreneur de l'OM, les salariés du plus imprévisible des clubs de football français guettent les changements. Au siège, pas encore de date pour la tenue d'un comité d'entreprise extraordinaire, appelé à donner son avis – consultatif – sur le plan du nouvel actionnaire. Pas de communication de l'investisseur californien, ancien propriétaire de la franchise de baseball des Dodgers de Los Angeles, ni de ses conseillers français, l'avocat Didier Poulmaire – qui s'occupait des intérêts de l'ex-nageuse Laure Manaudou ou du footballeur Yoann Gourcuff – ou le chef d'entreprise Jacques-Henri Eyraud, patron de Paris-Turf.
La seule missive parvenue sur les mails du personnel cette semaine est signée du président Giovanni Ciccolunghi, sympathique intérimaire de 73 ans, moustache débonnaire et accent italo-suisse, qui rappelle à chacun des salariés que " tout le monde doit rester à son poste et travailler aux dossiers en cours ", selon un des destinataires.
L'ouverture de négociations exclusives entre Margarita Louis-Dreyfus, veuve de Robert Louis-Dreyfus, qui a raflé le club marseillais en 1996 pour un euro symbolique, et son acheteur de 63 ans, n'a pas déclenché un débarquement à l'Olympique de Marseille. " Nous n'avons pas encore les clés et nous respectons les étapes légales ", rappelle-t-on, autour de Frank McCourt. La révolution américaine de l'OM commence en coulisses, chargée d'autant d'espoirs que d'interrogations.
La première question concerne le délai d'installation de la nouvelle équipe. " Tout le monde a intérêt que cela aille vite ", piaffe déjà Didier Quillot, directeur général exécutif de la Ligue de football professionnel (LFP). Dès cette semaine, M. Quillot a écrit au repreneur pour " l'inviter à présenter son projet et les garanties qu'il donne devant la DNCG ", le gendarme financier de la Ligue. Le nouveau patron de la LFP voit le changement à l'OM comme une " bonne chose ". " Cela prouve, assure-t-il, que des investisseurs privés, qui misent leurs fonds propres et pas ceux de fonds d'investissement, croient en notre potentiel sportif et économique, notre capacité à redresser l'écosystème du foot français et à le rendre profitable. "
En juin, Didier Quillot raconte avoir tenu un discours séducteur à l'homme d'affaires américain : " Je l'ai vu à sa demande et nous avons eu une discussion de plusieurs heures. Il m'a dit qu'il souhaitait investir dans le football en Europe, qu'il s'était rendu en Angleterre et en Espagne… Je suis sûr de l'avoir convaincu de venir en France plutôt que dans ces pays. " " Notre championnat a besoin de compétition, se réjouit-il encore. L'année dernière, le PSG a gagné avec 30 points d'avance… C'est trop. "
L'impatience des décideurs du football pro de voir un OM revigoré relancer l'intérêt de la Ligue 1 ne suffit pas à accélérer les choses. " Je ne vois pas McCourt aux manettes avant 2017, assure un cadre du club. Même s'il a consulté les documents mis à disposition par la banque Rothschild, personne ne peut imaginer qu'il lâche des millions d'euros sans vérifier l'état réel de l'OM. " Les équipes du repreneur se fixent, elles, un délai de deux mois et estiment qu'en matière d'études, " beaucoup de choses ont été faites ". En 2007, Robert Louis-Dreyfus a -attendu trois mois après l'ouverture des négociations exclusives avec le Canadien Jack Kachkar, pour casser le protocole de vente. " Nous avons donné toutes les conditions nécessaires pour totalement rassurer le -vendeur ", rétorque-t-on autour de Frank -McCourt, où l'on s'irrite fortement des -allusions à l'acheteur fantôme de l'OM, condamné en 2011 par le tribunal correctionnel de Paris pour " escroquerie ".
" Marseille vous accueille à bras ouverts. Maintenant, il va falloir gagner… Il va falloir mettre des sous. " Avec son style unique, mi-bonhomme, mi-menaçant, le maire de Marseille (LR), Jean-Claude Gaudin, a résumé, à l'attention du repreneur de l'OM, la pensée de ses administrés. En réponse, l'Américain n'a donné aucun détail sur ces futurs engagements financiers à celui qu'il appelle déjà " Mister Maire ". Parfaitement briefé par ses -conseillers en communication, l'agence Image 7, M. McCourt a brossé le supporteur marseillais dans le sens de son ambition inassouvie. " L'expérience m'a appris qu'on ne pouvait posséder un club comme l'OM, mais qu'on en était le serviteur ", a-t-il assuré, avant de dérouler le plan " OM champion project ", dont l'axe premier est de bâtir " une équipe qui vise le titre de champion de Ligue 1 chaque année ".
Marseille a toutefois bien noté qu'elle -hérite d'un actionnaire quatre fois moins riche que Margarita Louis-Dreyfus et ses 7 milliards d'euros – selon le magazine -Forbes – de fortune personnelle. " Ce critère ne peut être définitif. MLD est très riche, mais elle a mis très peu dans le club et presque rien depuis les deux dernières saisons ", note un des dirigeants de la Vieille Garde 84. Ce groupe du virage Sud, formé d'anciens des Ultras, a fait l'événement ces -dernières semaines sur les réseaux sociaux, avec son " MLDGo ", détournement potache du jeu Pokémon Go qui demandait le départ de l'actionnaire majoritaire.
En affichant l'ambition d'être champion de France, Frank McCourt place la barre haut. A l'altitude des 500 millions d'euros du budget annuel du Paris-Saint-Germain façon Qatar Sports Investment (QSI) ? Dans le camp du repreneur, on refuse de confirmer les 200 millions d'euros de budget annuels estimés par le journal L'Equipe. On préfère évoquer " la tradition, la culture foot de Marseille, l'ambition internationale et l'outil que représente le nouveau Vélodrome ". Autant d'éléments, avec une formation de jeunes joueurs enfin à la hauteur, sur lesquels la nouvelle direction compte pour relancer une dynamique et s'installer à nouveau au sommet du football français.
Présent dans le bureau du maire de Marseille lors du passage de Frank McCourt, l'adjoint aux sports (LR) Richard Miron retient la formule de Margarita Louis-Dreyfus : " Elle m'a dit : “Il a de l'argent, du temps et la volonté de s'occuper du club…” " Un triptyque confirmé par l'entourage du futur propriétaire : " Ce sera un actionnaire très présent. Il ne va pas gérer l'OM depuis les Etats-Unis et assistera à de nombreux matchs. " Sa venue, le 18 septembre au Stade-Vélodrome, pour le sommet contre Lyon, est déjà à l'étude.
" Pourquoi investit-il en Europe ? s'interroge tout de même Richard Miron. Quand on met 150 millions d'euros dans un club, entre achat et fonctionnement, c'est qu'on a des raisons, non ? " Lui voit se profiler, derrière McCourt, des entreprises qui, grâce à la notoriété de l'OM, souhaitent mettre un pied sur le continent. " Et pourquoi pas une vente du club, à moyen terme ? ", poursuit-il. Une stratégie d'investissement qui ne semble pas être celle privilégiée par Frank McCourt sur le dossier OM, mais qu'il maîtrise totalement. En 2012, il a cédé les Dodgers de Los Angeles pour la somme record de 2,15 milliards de dollars (1,9 milliard d'euros), huit ans après les avoir achetés 430 millions.
L'annonce de l'arrivée de l'Américain a eu un premier effet : décoincer les dossiers de transferts en instance. Au coup de sifflet final du mercato, mercredi 31 août à minuit, l'OM affiche un bilan flatteur. Elle retient le milieu de terrain international Lassana Diarra, récupère le défenseur Rod Fanni, 34 ans, attire l'attaquant camerounais Clinton Njie et obtient le prêt du prometteur William Vainqueur, ancien Nantais qui jouait à l'AS Rome. L'équipe de l'entraîneur Franck Passi s'en retrouve un peu plus compétitive.
Des arrivées financées par MLD et validées par le clan McCourt. " Bien sûr que j'ai eu des contacts avec les repreneurs, -assure un des agents en négociation avec l'OM. Comme dans toute entreprise, lorsqu'une vente est en cours, les acheteurs sont consultés sur les décisions. " " La question pour l'OM était d'assurer un minimum de survie sportive, reprend cet agent. Mais les sommes engagées, autour de 10 millions d'euros, ne représentent pas grand-chose à l'échelle du foot et des deux parties… " Dans l'esprit du repreneur, la saison sera une transition en attendant le rendez-vous à ne pas rater : juin 2017 et l'ouverture du prochain marché des transferts. Au mercato de janvier, tout sera question d'opportunités.
Frank McCourt savait-il, en jetant son dévolu sur l'OM, qu'il retrouverait dans les tribunes du Stade-Vélodrome des Yankees et des Dodgers ? Deux clubs de supporteurs qui comptent chacun plusieurs milliers de membres. Christian Cataldo, président-fondateur des Dodgers marseillais, s'amuse de la coïncidence : " Au début, -certains ont même cru que c'était moi qui rachetait le club ", galèje-t-il… Dans le local de la place Etienne (7e arrondissement), les supporteurs se pressent un peu plus nombreux que ces dernières semaines pour -reprendre leur abonnement. " Depuis la victoire contre Lorient (2-0), il y a un petit -afflux ", convient M. Cataldo. L'effet -McCourt ? " Non, l'effet du départ de Margarita que tout le monde attendait, corrige-t-il… L'Américain, on ne sait pas encore ce qu'il va nous proposer. "
La campagne d'abonnements s'est arrêtée le 31 août. Chez les Dodgers, on atteint à peine 50 % des ventes de la saison précédente. " Et encore, dans ce contexte, c'est inespéré ", assure le capo ultra. L'OM, qui caracolait à 33 000 abonnés en juillet 2015, dépasse avec peine les 10 000 cette saison. Une potentielle augmentation du prix des places, comme celle – mal – vécue à Manchester United, lors de l'arrivée des Glazer, d'autres spécialistes américains du sport pro, inquiète-t-elle le fan marseillais ? " On ne sait pas encore qui sera directeur sportif, qui sera l'entraîneur, quels joueurs l'OM compte acheter…, s'agace Christian -Cataldo. Une fois que tout sera installé, on pourra parler du prix des billets ! "
Dans son processus d'installation, le -futur patron de l'OM n'a, en tout cas, pas -ciblé comme une priorité le rachat du -Stade-Vélodrome, qu'il a découvert lors du match France-Albanie de l'Euro 2016. Reprendre les trente-trois ans de concession restant au groupe Arema, dans le cadre d'un partenariat public-privé fiscalement douloureux pour les Marseillais, dépasserait de toute façon son budget. L'équipe McCourt prévoit plutôt une collaboration fructueuse avec la filiale du groupe Bouy-gues, pour développer les revenus du stade, et avec Orange, dont le contrat de naming doit être inauguré le 2 octobre. La présence de Jacques-Henri Eyraud, qui connaît bien l'opérateur téléphonique, auprès de Frank McCourt doit encore faciliter les choses.
" A Marseille, l'OM n'a pas de clients, prévient le professeur Pierre Dantin, vice-doyen de la faculté des sports de Luminy et ex-secrétaire général du club. Ici, nous avons des supporteurs qui, lorsqu'ils ont un acte d'achat, réagissent à leur passion. Il faut que le nouveau propriétaire intègre cette notion, s'il veut correspondre à la ville. " " Frank -McCourt prendra le temps nécessaire pour comprendre l'ADN et la culture de ce club. Il ne copiera pas les Qataris ", promet un de ses conseillers. " La ferveur fait partie du package, reprend-on à la Vieille Garde, qui rappelle que le mouvement ultra français est né au Vélodrome en 1984. On ne voudrait pas que son idée du stade ce soit pop-corn à tous les étages et tout le monde assis. Mais on va pas faire de procès d'intention. " Après vingt années de gestion Louis-Dreyfus couronnées d'un seul titre de champion de France (en 2010), les Marseillais ont – presque – appris la patience.