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« Je ne veux p as que mon club meure dev ant moi ! »
Appelé au chevet d’un OM empêtré dans ses crises, le nouveau coordinateur sportif des Olympiens a accepté de raconter les dessous de ces derniers jours très agités. TEXTE
Jean-Marie Lanoë, à Marseille
Quelle semaine ! En l’espace d’une huitaine, l’Olympique de Marseille a vu la tête de son entraîneur (Michel) rouler dans la sciure, celle de son président (Vincent Labrune) rouler dans la boue, le tout sur fond de révélations d’écoutes téléphoniques qui n’ont pas fait beaucoup pour la réputation du calme olympien. Une p’tite séquence agitée au cours de laquelle les Marseillais ont décroché une qualification pour la finale de la Coupe de France, mais toujours pas le maintien officiel. Intronisé coordinateur sportif de l’OM depuis quelques jours, Basile Boli a accepté de raconter, en toute franchise, ses derniers jours, dans cet hôtel de luxe marseillais d’où l’on aperçoit la Bonne Mère, là-haut, par temps clair.
« Êtes-vous titulaire d’un diplôme de marabout ?
(Il rit.) Pas du tout. Je suis catholique croyant, je prie tous les matins. Mais je n’ai pas de diplôme comme ça, non.
Depuis quand, exactement, tenez-vous un rôle à l’OM ?
Tout est parti de Braga (NDLR : en Ligue Europa, le 22 octobre 2015), un match catastrophique (défaite 3-2). Vincent (Labrune) me dit : “Accompagne-moi, je vais les engueuler dans le vestiaire.” Là, il balance ce qu’il a à leur dire et se retourne vers moi : “Tu peux leur dire un mot ?” J’ai répondu que ça n’était pas ma place. Je sors et je me fais alors tirer le bras par Lass (Diarra) qui me dit : “Ne laisse pas tomber ! Ton passé te donne du poids.” Mandanda et d’autres font de même. Moi, j’étais venu en touriste. J’ai dit alors : “O.K., si ça part des joueurs, il faut se réunir.” Les joueurs ont apprécié. J’ai dit à Vincent que s’il avait encore besoin de moi, c’est lui qui voyait. Mais je me suis pris au jeu, tout en bossant sur mon musée*.
Trois jours plus tard, on vous a aperçu dans les tribunes du stade Pierre-Mauroy à l’occasion du match face au LOSC (victoire 2-1). Qu’y faisiez-vous ?
Il y avait une vraie fracture entre Nkoulou et le club. J’aime ce joueur. J’avais une admiration sans borne pour la charnière Nkoulou-Diawara, le doux et le dur. Je me suis demandé pourquoi Nkoulou allait si mal. En grand frère, j’ai pris ma voiture, j’ai dormi à Lille et je suis allé discuter avec lui. Il m’a craché le morceau. Vers 13 heures, le même jour, Labrune, qui ne savait pas qu’on avait déjà discuté, a voulu le voir. Et Nkoulou lui a dit : “Non, non, j’ai parlé avec Basile, c’est fini, vous allez voir ce que je vais faire ce soir ! Tout va bien.”
Reste que votre véritable prise de pouvoir est plutôt associée à vos critiques** à l’égard de Michel après OM-Bordeaux (33e journée, 0-0)...
Il faut quand même rappeler qu’un truc extraordinaire s’était passé à Bastia (32e journée, 2-1). Après le match, Michel craque et dit : “Je me casse.” Devant les joueurs, il s’adresse au capitaine (Mandanda) pour dire qu’il démissionne. Il envoie aussi Franck Passi voir le président pour lui annoncer sa décision. Après, Margarita Louis-Dreyfus a refusé cette démission, mais un truc s’était cassé. Moi, je pense que quand un entraîneur déclare qu’il s’en va, c’est qu’il n’y est plus !
Votre réaction après le match contre Bordeaux était-elle préméditée ?
Pas du tout. Et Vincent ne m’a jamais demandé d’intervenir. J’avais déjà un peu discuté avec le coach et je lui avais dit : “Il faut mettre des guerriers pour s’en sortir.” Mais j’aurais dû me retenir.
Vous regrettez votre intervention ?
Oui. Tout le monde s’est demandé si elle était téléguidée, alors qu’elle était spontanée. Je protégeais prétendument Vincent Labrune... Simplement, le message de Michel ne passait plus. Mais j’aurais pu dire les choses autrement. Je connais Marseille, je sais comment ça part. Je n’étais évidemment pas content et j’ai mal expliqué mon ressentiment. Et on a transformé tout ça en faisant croire que j’étais un sniper de Vincent Labrune... qui n’était pas au courant. En aucune façon il ne m’a demandé d’intervenir.
Qu’avez-vous pensé de la réplique de Michel quelques jours plus tard*** ?
Qu’il était dans son rôle. Et qu’il était très doué en communication. Ça lui permettait aussi de casser cette spirale négative autour de lui. Mais je ne l’ai pas mal pris.
Michel est-il le principal responsable de la saison poussive des Marseillais ? Aucun reproche à faire aux joueurs ?
J’ai été deux ou trois fois un peu dur avec Ben (Mendy) qui, comme arrière gauche, tente cinq petits ponts par match et en manque trois... Si tu as été joueur à l’OM, il n’est pas sorcier de lui dire : “Défends d’abord !” Sinon, tu mets ton costume, tu prends ta douche et tu te casses !
Qui vous a demandé de prendre du galon au moment du limogeage de Michel pour devenir coordinateur sportif ?
Margarita Louis-Dreyfus m’a appelé le lundi. Elle était à Paris et j’y étais aussi. On a défini mon nouveau rôle avec des avocats. J’ai signé un contrat de trois ans. C’est une décision qui vient d’elle.
Ça veut dire quoi précisément “coordinateur sportif” ?
Mon rôle, c’est de définir le projet sportif du club à court et à moyen terme, de la formation jusqu’aux professionnels. Mais, comme nous sommes en situation de crise, la priorité est notre équipe première. Il ne faut pas qu’elle descende ! Il va falloir aussi redonner goût aux futurs investisseurs. Mais ça ne se fera pas du jour au lendemain.
Après votre nomination, quelle a été votre priorité ?
Après en avoir discuté avec Franck (Passi), je suis allé expliquer aux leaders de l’équipe – à notre capitaine, Steve (Mandanda), en premier lieu, mais aussi à Cabella et à Alessandrini – ce que je voulais faire. Je suis également allé voir le nouveau directeur général (Luc Laboz) qui fait l’audit. Je me suis entretenu aussi avec Mendy, Barrada, Michy (Batshuayi)...
Comment s’y prend-on pour redonner un peu de vie et d’envie à un groupe un peu en perdition ?
J’ai un ami. On n’est pas intimes, mais c’est un champion. Je l’ai connu à Paris durant mes années Bus Palladium et Bains Douches quand je fuguais d’Auxerre. On est restés très liés. Dans tous les moments difficiles, il est toujours là. On n’a pas le même destin, mais les mêmes ambitions. Ces jours derniers, cet ami a toujours été près de moi, au téléphone ou par SMS. Il n’a qu’un seul et gros défaut, c’est qu’il supporte le PSG !
Et qui est ce grand champion qui joue les conseillers ?
Cet ami a préparé psychologiquement le PSG avant sa victoire en Coupe d’Europe (la C2 en 1996, contre le Rapid Vienne). C’est Yannick Noah !
En quoi et comment s’y est pris Noah pour vous aider ?
Il m’a parlé de ses expériences, de Gaël Monfils qui ne voulait pas aller jouer avec le groupe France le premier tour de Coupe Davis en Martinique et pourquoi il imagine que Gaël le remerciera dans quelques années puisque ce fut un truc inoubliable. Il m’a parlé, de trucs perso, de tout. Après notre qualification face à Sochaux, il m’a aussi apporté une vraie réflexion sur la nouvelle génération.
Du genre ?
(Il nous montre sur son smartphone un long SMS de Yannick Noah.) En fait, il m’a dit qu’il ne fallait pas en vouloir aux joueurs de la nouvelle génération d’être comme ils sont, mais qu’il fallait leur montrer que, dans la vie, il y a des règles et qu’elles sont indispensables si on veut gagner quelque chose. Je fonctionne comme lui.
Qu’a-t-il pensé de votre intervention auprès de Michel ?
Je lui avais effectivement envoyé un message à ce sujet, mais il n’a pas pris position. Je lui expliquais que je n’aurais pas dû. Lui pensait que Michel aurait dû démissionner depuis longtemps. Il m’a dit : “Toi, tu es de Marseille, lui, il est de passage.”
Vous êtes désormais associé à Franck Passi. Vous vous connaissez depuis longtemps tous les deux ?
Depuis 1988 et mes fiançailles à Thiès, au Sénégal. On y avait disputé un jubilé organisé par Pape Diouf. J’étais en chambre avec son frère Gérald. Et puis, par la suite, on s’est retrouvés face à face en Championnat et je ne lui ai pas dit bonjour. C’est lui qui me l’a rappelé il n’y a pas longtemps ! Je lui ai expliqué que j’avais des problèmes de concentration et que, dans ces moments-là, je ne voyais plus personne !
Pensez-vous que Passi ait les épaules suffisamment larges et solides pour redonner un peu d’allant à cette équipe d’ici à la fin de la saison ?
Franck sait se faire respecter. Je l’ai déjà vu reprendre un joueur de volée. Il ne se fait pas marcher dessus. Il me convient très bien ! Il est plus calme que moi. Lui, il bout à l’intérieur, moi, je le fais savoir tout de suite. Mais il a l’intelligence du manager. Franck, pour moi – et je ne dis pas ça parce qu’on est dans le même bateau –, est capable de tenir une équipe de Première Division, comme Frédéric Antonetti ou Laurent Blanc. Il est armé pour ça. Il m’a vraiment épaté dans son discours, dans sa manière de travailler.
Entre l’épisode Michel, la révélation des écoutes de Jean-Pierre Bernès au sujet de l’OM parues dans « L’Équipe » ou encore la fragilité de la position de Vincent Labrune, l’OM vit une fin de saison plus que compliquée. Comment résiste-t-on à cette effervescence perpétuelle ?
Vous savez, j’étais l’ennemi juré de ce club quand j’étais à l’AJA. Et, quand je suis revenu de mon premier stage avec l’OM, il y avait une banderole sur laquelle était écrit : “Basile au zoo, libérez les animaux !” Une fois que tu as vécu ça, tu apprends à encaisser et tu ne peux que progresser pour faire taire les a-priori. À Marseille, beaucoup de choses te font avancer !
Pourquoi, au fond, aimez-vous tant ce club ?
Je n’étais pas né que mon père en était déjà supporter, puisqu’il y était arrivé en tant que tirailleur sénégalais. Moi, habitant Romainville, j’étais supporter du PSG, j’étais ramasseur de balle pour les Surjak, Dahleb, Toko… En fait, la première personne qui m’a fait aimer Marseille, c’est Canto, quand il me parlait de lui et de son père au Vélodrome. C’était fabuleux. Aujourd’hui, si on dit quelque chose de méchant de Marseille, c’est à moi qu’on le dit. Je ne le fais pas exprès ! Peut-être que Marseille ne m’aime pas ? À moi, il a tout donné. Mais je ne veux pas que MON club meure devant moi ! Les joueurs m’ont pris en affection et vous voudriez que je me barre ? J’ai passé dix ans ici à apprendre mon métier. Ce club m’a tout donné. Je n’ai pas honte de dire que c’est Jean-Pierre Papin qui m’a appris à frapper dans un ballon, Carlos Mozer, l’art de la bonne détente, et Casoni, le dézonage ! Je me suis marié ici, j’ai un stade qui porte mon nom ; j’ai pleuré ici. J’aime la ville, même si je n’y habite pas.
Quel est l’objectif du coordinateur sportif à court terme ?
Le maintien. Je n’imagine pas qu’après avoir gagné avec l’OM la Coupe d’Europe, j’assiste à sa descente en Ligue 2. Quel paradoxe ! Il nous faut 43 points (l’OM en compte 41). à l’AJA, mon vieux marabout Guy Roux me disait : “A 43 points, on se maintient, c’est sûr.” Putain, quand je pense qu’il m’a fallu venir à Marseille pour vivre ça ! »